On me pardonnera, je l’espère, de faire ici une introduction un peu longue au texte de Sois-Chic ! de novembre 1943 que je propose ici. La rédaction de L’éclaireur m’avait demandé de trouver un texte en lien avec la notion de modèle. A priori, cela me paraissait relativement aisé. Plusieurs textes consacrés à des « modèles » étaient proposés dans le cadre de la revue semi-clandestine des E.I., depuis Moché Rabénou (Moïse) en passant par Rabénou Gershom, « Lumière de l’exil » (Xe siècle), et jusqu’à Theodor Herzl. Pourtant, je n’étais pas satisfait. En effet, le vrai « modèle » qui courait entre les pages des différents numéros n’était pas un modèle individuel, celui du héros ou du chef, mais bien un modèle collectif, dans lequel les membres du groupe synthétisaient les apports de chacun, y ajoutant éventuellement des modèles extérieurs mais qui n’étaient nullement centraux. Je me suis rappelé, à cette occasion, la très belle conférence donnée en 1957 devant les cadres E.I. par André Neher sous le titre : « Réflexions sur la notion de chef »[1] et dont je cite juste cet extrait : « Mes récents entretiens avec Castor renforcent cette mienne prise de position : ils m’ont, en effet, amené tout naturellement, en guise de préparation à cet exposé, à relire Tivliout[2]. Or, dans ce guide doctrinal de l’E.I., une notion manque : celle de chef. Non seulement le terme est absent dans le livre, mais la notion même s’en trouve dépassée et annulée, puisque tout converge vers la Cité d’Amour, sans hiérarchie, sans autorité, dans laquelle tout se ferait par échange généreux et par sympathie. »
Une fois ma décision prise, je n’avais plus que l’embarras du choix, car de nombreux textes de Sois-chic !, entre 1941 et 1944, abordent cette question du modèle collectif. J’ai décidé de proposer un très beau texte paru quelques semaines après la dispersion du Chantier rural de Lautrec et la plongée totale des E.I. dans la clandestinité. Ce texte, écrit vraisemblablement par Roger Gotschaux, qui sera tué au maquis E.I. le 8 août 1944, est un bon reflet de ce modèle collectif qui avait été rêvé et partiellement vécu au Chantier rural. Il montre également cette nostalgie de l’expérience de Lautrec quelques semaines après sa disparition contrainte par les circonstances[3].
[1] Que j’ai inséré dans les annexes du très bel ouvrage de Raniero Fontana, André Neher, le penseur et le passeur, éd. Elkana, 2014, pp. 169 à 178.
[2] Petit livre écrit par Robert Gamzon pendant la guerre et paru en 1945.
[3] La quasi-totalité des organisations juives qui continuaient encore à fonctionner officiellement en zone sud, comme les E.I.F. ou l’OSE, se sont auto-dissoutes à l’automne 1943, alors que les nazis se sont mis à arrêter les Juifs français, après leur rupture de la sorte de contrat qui existait avec Vichy depuis les rafles de l’été 1942.
Publié le 24/05/2021