Dans quatre ans, les Éclaireurs Israélites (E.I.) auront 100 ans ! Or regarder le passé d’un mouvement qui a eu une telle longévité n’a rien d’évident : beaucoup de notions et de sujets dedans notre quotidien de la deuxième décennie du XXIe siècle présentaient un tout autre aspect pour nos ancêtres scouts (et inversement, bien entendu).
Il en est ainsi de l’écologie qui dans son aspect politique et militant, n’est apparue que dans les années 1970 en ce qui concerne le grand public, l’élection présidentielle de 1974 servant de révélation grâce à la candidature de René Dumont. Avant cette date, l’écologie est tout simplement une science qui étudie l'interaction des êtres vivants au sein de leur environnement. En revanche, l’une des caractéristiques du scoutisme a été, depuis sa création, de s’intéresser à la nature, qui est un des éléments importants de la vie des Éclaireurs, particulièrement lors du camp d’été, aboutissement de l’année scoute. Dans la loi de l'Éclaireur, telle qu'elle apparait dans le carnet des brevets édité en 1953, l’article 6 s'énonce ainsi : "L'Éclaireur est bon pour les animaux et n'abîme par les plantes.
Nous ne pouvons pas, dans le cadre de ce court article, énoncer toutes les manières dont le sujet de la nature a été abordé aux E.I. à travers les ans, mais il me semble que l’un des moments importants s’est manifesté au court des années 1940. On sait, en effet, le paradoxe que constitue la défaire, puis la mise en place du régime de Vichy, pour les mouvements du Scoutisme Français, et en particulier pour les E.I. Alors que les ordonnances antisémites allemandes se multiplient en zone nord, tandis que le gouvernement français applique ses propres mesures contre les Juifs dans le sud, les E.I. vont pouvoir réaliser les rêves éducatifs des années 1930, permettre à des centaines d'enfants et d'adolescents de vivre un scoutisme permanent, que ce soit dans les maisons d'enfants ou encore dans les centre agricoles, et ce pendant plus de trois ans.
Le renforcement du lien avec la nature se fait essentiellement dans les fermes, d'abord et avant tout au chantier rural de Lautrec, dans le Tarn, dirigé par Pivert (Denise Gamzon) et, sur le plan spirituel, par Léo Cohn. Le journal du Cantier rural, Sois-Chic, témoigne de ce rapprochement entre les scouts juifs et la nature qui les entoure. Prenons par exemple le numéro XII de février 1942, qui est publié au moment de la fête de Tou Bichvat. On trouve une chronique agricole écrite par Adrien Gensburger, ingénieur agricole, E.I. de Mulhouse et future dirigeant de l'une des compagnies de résistance des E.I. Sa chronique est consacrée à l'agnelage, c'est-à-dire la naissance des agneaux. L'Éclaireur de Lautrec n'est plus seulement "bon pour les animaux", mais il participe directement à la vie de l'animal. Comme le conclut Adrien : "il faudra donc que le berger [E.I.] fasse preuve de jugement, d'adresse, de beaucoup de douceur et de prudence."
L'article suivant, rédigé par Léo Cohn, s'intitule : "Le judaïsme au chantier". On pourrait penser que nous sommes loin de la vie dans la nature, or Léo pose immédiatement le lien qui existe entre le judaïsme et le monde, montrant que le vie religieuse est tout simplement LA VIE : "En dehors de beaux laïus, de tampons plus ou moins imaginaires sur les cartes d'identité , d'offices mal fréquentés et de cours d'hébreu obligatoires, le judaïsme devrait avoir une influence profonde sur toute notre vie, sur l'organisation du travail, sur le choix de nos cultures, aussi bien que sur nos menus, notre ménage, sur notre habillement et notre hygiène. Je ne puis assez répéter que le plan initial et essentiel de notre chantier prévoyait cette renaissance complète d'une VIE JUIVE. Et je prétendrai toujours que n'est pas à sa place dans un chantier E.I.F. celui qui ne souscrit pas entièrement au double idéal du retour des Juifs à la Terre - et du retour du judaïsme au Juifs."
Dans la suite de l'article, Léo prend l'exemple de la laiterie du chabbat et de la façon dont elle se doit de fonctionner en application de la Loi. Dans l'article suivant, le meme Léo Cohn adapte de l'hébreu un conte de Yehouda Steinberg sur les arbres attendant leur jugement le jour de Tou Bichvat :
"(...) Et les enfants sautent, dansent et s'amusent dans la neige, ils courent d'un arbre à l'autre et saluent chacun spécialement :
LÉ'HAYM ! Pour la vie, pommier ! et non pour la mort.
LIVRAKHA ! Pour la postérité, prunier ! et non pour la malédiction.
LASOVA ! Pour l'abondance ! cerisier ! et non pour la disette !"
Plus loin, Catapulte , dans un poème sur le 15 Chvat, explique que si, contrairement aux autres peuples, les grandes et les celliers d'Israël sont restés obscurs et désolés "c'est que tu as renié l'enseignement de Moïse et délaissé la doctrine de Dieu". Certes, on trouve aussi un article de Feufo Josette Rousso-Kauffmann qui, "Puisqu'il s'agit d'arbres...", rappelle au passage les mérites de l'école paysagiste du milieu du XIXè. Mais ce qui est frappant, malgré tout, c'est le lien qui parait si naturel aux chroniqueurs de Sois-Chic entre cette nature qui les entoure et qu'ils vivent, et ce judaïsme vivant qui les habite. De là, sans doute, le fait que dans Tivliout - Harmonie, paru en 1945 mais rédigé entre 1941 et 1943 à Lautrec, Castor place dans "La vie religieuse" tout ce qui est consacré à la nature et, pour nous, tout ce qui se rapporte à cette révolution écologique dont notre monde de 2019 a tant besoin. Terminons donc ce bref aperçu que j'ai tenté de tracer par quelques lignes du fondateur du mouvement des E.I. : "L'homme et le monde. - Sentiment de joie dans la nature. - La révélation dans la nature chez tous les mystiques de toutes les religions. La notion du rythme et de cycle. - L'idée juive de l'Alliance entre l'Homme, le Monde et Dieu."
Le "labour léger" à la ferme-école de Lautrec en 1942.
Publié le 28/05/2019