Le rapport de la littérature biblique et rabbinique au règne animal est triple : éthique (il faut respecter l’animal), contemplatif (on admire la création divine dans la variété du vivant) et mimétique (on s’inspire du monde animal qui nous donne des leçons). Ce dernier aspect est sans doute le moins connu : les animaux sont des sources d’inspiration en matière de vertu.
Le respect de l’animal
De nombreux textes bibliques ou talmudiques évoquent les animaux. Outre les questions liées aux règles alimentaires, beaucoup de lois concernent l’interdiction de les faire souffrir.
Les hommes pieux se distinguent notamment, dans les récits hagiographiques, par leur sensibilité à l’égard du monde animal. On se souvient que lorsque le serviteur d’Isaac cherche une femme digne de son maître, il décide de choisir celle qui se proposera d’abreuver ses dix chameaux (Genèse 24, 14). Même issue d’un milieu idolâtre, une femme faisant preuve d’empathie envers un voyageur et ses animaux mérite forcément de devenir l’épouse du patriarche.
On raconte que le célèbre rabbi hassidique Zoucha d’Anipoli allait de ville en ville récolter des fonds pour faire libérer un prisonnier. Le maître accomplissait le précieux devoir religieux de pidyon chévouim (libération des captifs). Un jour qu’il attendait le retour d’un homme fortuné qu’il voulait solliciter, on le fit patienter dans un salon au milieu duquel se trouvaient de beaux oiseaux en cage qui décoraient la maison. Le rabbin n’hésita pas à ouvrir la cage considérant que sa mission de libération des prisonniers pouvait aussi prendre cette forme…
Admirer le vivant
Outre le respect dû à l’animal, on trouve également dans la littérature religieuse une invitation à contempler les merveilles de la Création par l’observation des êtres vivants. Il faut relire, par exemple, la longue description pleine d’émerveillement de rabbi Haïm David Azoulay (surnommé le ‘Hida). Ce rabbin-voyageur du XVIIIe siècle raconte minutieusement, dans ses carnets, les merveilleux animaux observés lors de sa visite des zoos de Londres ou de Florence. Rabbi Israël Isserlin , quant à lui, n’avait jamais vu un lion de sa vie. Lorsqu’on en amena un dans sa ville pour la première fois, il alla au zoo en plein chabbat, pour le contempler de ses yeux.
Cette dimension contemplative prend également la forme d’une écoute particulière : celle du chant entonné par chaque créature divine dans une polyphonie cosmique inaudible pour le profane. C’est ce qu’enseigne un texte classique du judaïsme, le Pérek chira, dont l’origine est probablement talmudique. Le préambule de ce texte raconte que le roi David, auteur du Livre des Psaumes, s’enorgueillit de composer de magnifiques chants. « Alors, une grenouille se présenta et lui dit : David, ton exaltation est infondée car je chante mieux que toi. » Et le texte d’énumérer, sous forme de versets bibliques, les « paroles » du chant du chien, de celui de la souris, de la fourmi, de l’escargot et d’une vingtaine d’autres animaux. Sait-on, par exemple, que le corbeau chante ainsi : « (Dieu) donne sa nourriture aux bêtes, aux petits des corbeaux qui la réclament » (Psaumes 147,9) ? Quant aux poissons, ils chantent : « La voix de Dieu est sur les eaux » (id. 20,3). Certains Juifs pieux récitent quotidiennement ce Pérek chira et joignent ainsi leur voix et leurs louanges à celles de l’ensemble des êtres vivants.
Biomimétisme moral
Mais au-delà des dimensions éthique et esthétique, on peut chercher dans le monde animal une source d’inspiration : le comportement animal, dont l’éthologie a montré l’immense variété, est notamment une source d’inspiration scientifique et technologique. C’est une idée très moderne qui porte le nom de biomimétisme. C’est par exemple en s’inspirant de plantes ayant des propagules munies de crochets menus et souples que l’on inventa le Velcro. Les concepteurs du TGV japonais (Shinkansen) s’inspirèrent pour les pantographes des ailes du hibou, ce qui réduit considérablement le bruit. Pour concevoir l’Airbus A320, les ingénieurs s’inspirèrent de l’aigle dont les ailes sont recourbées de façon variable durant le vol. Sur ce modèle, on conçut donc les rémiges des avions qui permettent de gagner 4% sur la consommation de carburant. Les innovations technologiques qui s’inspirent de la nature sont en effet économes en énergies (à l’instar de la nature au sein de laquelle il n’y a pas de déchets et qui n’utilise que l’énergie du soleil, du vent, de l’eau, etc.).
Mais dans la Bible ou le Talmud, si la nature inspire les humains, ce n’est pas au niveau technique mais sur un plan éthique.
Le patriarche Jacob, bénissant ses enfants, les compare à différents animaux dont il souhaite qu’ils s’approprient les qualités (Genèse 49) : « Tu es un jeune lion, Juda », « Issakhar est un âne musculeux », « Dan sera tel un serpent sur le chemin », « Naftali est une biche qui s’élance », « Benjamin est un loup ravisseur », etc.
Illustrant les enseignements dont les animaux sont parfois porteurs, le roi Salomon nous exhorte : « Va trouver la fourmi, paresseux, observe ses façons d’agir et deviens sage : elle n’a ni maître, ni surveillant, ni supérieur et elle prépare sa nourriture durant l’été, elle amasse ses provisions au temps de la moisson » (Proverbes, 6,6-8). Le Talmud (traité ‘Houlin, p.60b) raconte d’ailleurs qu’après avoir lu ce verset rabbi Shimon ben ’Halafta alla observer attentivement le fonctionnement d’une fourmilière.
Dans le Talmud (Maximes des Pères, 5,20), on trouve l’enseignement suivant : « Yéhouda ben Téma disait : sois hardi comme le léopard, léger comme l’aigle, agile comme le cerf et fort comme le lion afin d’accomplir la volonté de ton père céleste. » Les commentateurs de ce texte célèbre, intégré à la liturgie quotidienne, expliquent en détail chacune des qualités mentionnées et incarnées par les animaux cités.
Les sages du Talmud vont jusqu’à déclarer (traité Érouvin, p.100b) : « Si la Tora n’avait pas été donnée, nous l’aurions apprise en observant les animaux. » Autrement dit, si la révélation du Sinaï n’avait pas eu lieu, les académies talmudiques auraient l’allure de cours de zoologie et les sermons des rabbins sembleraient s’inspirer des Fables de Jean de La Fontaine (dont on pourrait d’ailleurs montrer l’étonnante ressemblance avec bien des textes midrashiques ).
Et les sages d’illustrer leurs propos par quelques exemples : « Nous aurions appris la pudeur du chat (qui se cache pour faire ses besoins), l’interdiction du vol de la fourmi (elle ne touche pas à la nourriture d’une autre fourmi), l’interdit de l’adultère de la colombe (qui est fidèle à un seul partenaire) et le savoir-vivre du coq (qui fait la cour à sa femelle avant de l’entreprendre) » (id.). On peut bien sûr se demander pourquoi nous ne pourrions pas, à ce compte, apprendre des comportements vicieux dont la nature peut aussi nous fournir l’exemple. Ce à quoi les commentateurs répondent, en citant le Talmud, que l’âme humaine a appris la Tora et la vertu avant de s’incarner. Puis elle a oublié ce qu’elle a su, comme dans la théorie socratique de la réminiscence. En observant le vivant, l’âme redécouvre ce qu’elle savait déjà en matière de vertu.
Si le monde animal doit être respecté et admiré, c’est donc aussi parce qu’il recèle des trésors de vertu et constitue une précieuse source d’inspiration.
Publié le 14/05/2019