Jeu de mots sur « colibri » et ibri, qui veut dire « Hébreu ». Col signifiant « la voix », nous pourrions même entendre dans « colibri », la « voix de l’Hébreu ».
Il n’existe que peu d’associations juives écocitoyennes qui œuvrent pour une prise de conscience des enjeux écologiques et mènent des actions concrètes pour « réparer le monde », selon une formule empruntée aux kabbalistes. Rencontre avec le président de l’une d’entre elles.
Jean-François Strouf, vous êtes président de JudaïQual-Réparons le monde. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette association, son objectif et son rôle ?
Nous avons fondé JudaïQual-Réparons le monde il y a plus de vingt ans. Les raisons qui nous ont poussés à créer une association juive et environnementaliste se sont révélées de plus en plus justifiées au fil des années. L'antisionisme et parfois même l'antisémitisme de certains écologistes se référant à une idéologie paganiste rendaient les Juifs hermétiques aux messages des Verts. Ce n'est pas pour autant que la cause de la planète ne méritait pas que nous nous engagions pour elle ! Aujourd'hui, la prise de conscience de la menace du dérèglement climatique, la tenue à Paris de la COP21 et la signature de L'Accord de Paris en 2015 ont rendu notre action écocitoyenne moins confidentielle. Avec Léa Moscona, nous animons désormais, tous les lundis matin sur Judaïques FM, l'émission « Les pieds sur terre » qui nous permet de sensibiliser les auditeurs aux questions environnementales.
Parlez-nous du logo de votre association.
Ce logo rapproche la sauge Moriah, cette plante qui pousse en Judée et qui a inspiré la ménora (candélabre à sept branches) du Temple, et le colibri, ce héros écologique d'une légende amérindienne : lors d’un incendie de forêt, tous les animaux s'enfuient. Seul le plus petit oiseau prend une minuscule goutte d'eau dans son bec et va la jeter sur les flammes. Les autres animaux lui disent qu'il va se brûler les ailes et il répond : « Moi, au moins, j'aurai fait ma part. »
Comment envisagez-vous le lien entre environnement et judaïsme ?
Il doit d'abord être clair que nous n'avons jamais besoin, pour nous engager pour l'environnement, de la justification des textes fondamentaux du judaïsme : en tant qu'écocitoyens du monde, les enjeux climatiques nous suffisent pleinement. Néanmoins, nos textes sont émaillés de références à la préservation de la planète et au Tikoun olam, la « réparation du monde » et il paraît difficilement compréhensible qu'une grande partie des autorités religieuses juives n'y semble pas sensible.
À ceux qui balaient d'un revers de la main nos appels à agir en faveur du climat ou de l'environnement en nous disant : « Nous sommes déjà en lutte contre l'antisémitisme, pour la mémoire de la Shoah, pour Israël, ou encore pour l'accomplissement des principales mitsvot de la Tora, ne nous détournez pas de notre engagement essentiel », je citerai l'une des Maximes des Pères parmi les plus célèbres : « Si je ne suis pas pour moi qui le sera ? Si je ne suis que pour moi, que suis-je ? Et si ce n’est pas maintenant, alors quand ? »
Cette maxime d'Hillel l'Ancien est tout sauf banale si on la revisite avec un regard nouveau : « Être pour soi » peut désigner l'engagement juif. « Ne pas être que pour soi », c'est l'appel à ne pas se replier ni se ghettoïser et à retrouver notre aspiration à l'universel. Si nous poussons cette injonction jusqu'à son sens le plus large, quoi de plus universel qu'un engagement pour la planète ? Et naturellement, si c'est cette interprétation nouvelle qui nous anime, « et si ce n’est pas maintenant, alors quand ? » prend toute sa force quand nous rapprochons ces mots de l'urgence climatique.
Le judaïsme environnemental n'est pas à proprement parler un courant mais plutôt une nouvelle lecture de nos textes et de nos traditions, qui peut apporter une revitalisation de la double conscience juive et écocitoyenne. Nous pouvons l'appliquer tout au long de l’année juive, même s'il y a des temps forts comme Tou Bichvat, le Nouvel An des arbres. Nous interpelle encore davantage la mitsva de réunir les arbaa minim, les quatre espèces de Soukot (palmier, saule, myrte et cédrat). La bénédiction ne peut-être prononcée que si les quatre espèces sont présentes. N'y a-t-il pas là une forte résonance à notre aspiration à défendre la biodiversité (et aussi le pluralisme) ? On songe aussi à l’institution biblique de la chémita, le repos de la terre.
Concrètement, quelles sont vos actions ? Et celles de vos homologues juifs en Israël, en Grande-Bretagne, aux États-Unis ?
Nous sommes le relais juif des grandes organisations environnementales avec lesquelles nous avons établi des contacts (Greenpeace, WWF, Surfrider Foundation, HOP, World CleanUp Day France, etc.). Nous pratiquons une sensibilisation multidirectionnelle : émission de radio, blog (judaiqual.org), compte Twitter (@kol_ibri), conférences dans les lycées et collèges, vidéos. Et l'action concrète aux côtés des ONG prend ici tout son sens. Par exemple, lorsque nous participons au ramassage des déchets polluants, nous mettons un point d'honneur à arborer le logo de JudaïQual parce que l'implication de Juifs écocitoyens contribue à mieux faire connaître les valeurs du judaïsme à nos concitoyens.
Dans les pays anglo-saxons, la conscience juive environnementale est très présente dans les courants réformé, libéral et massorti (conservative) . Un exemple concret : le docteur et rabbin Zarum, doyen de la London School Of Jewish Studies, appelle à ne pas utiliser un verre de kidouch en plastique, à cause de la dégradation causée par ce matériau qui nuit à la planète. En Israël, la prise de conscience est avant tout citoyenne. L’été dernier, des surfeurs israéliens sont entrés dans le Guinness des records pour avoir constitué la plus longue chaîne le long des côtes contre les choix peu écologiques d'exploitation de la plateforme gazière Léviathan.
Est-il encore temps d’agir pour notre planète ? Que pouvons-nous encore réparer ?
Si on se réfère à l'avis du GIEC (experts pour le climat), il est urgent que les États, les entreprises, les associations et les écocitoyens se mobilisent tous ensemble pour contenir le réchauffement climatique. Et il est toujours trop tard pour ne pas agir !
Nettoyage d'une plage de Tel-Aviv à la pince à déchets pour ramasser pailles en plastique et mégots.
Ramassage au Canal St-Martin avec la Surfrider Foundation Europe.
Publié le 24/04/2019