Numéro 3 - Retour au sommaire

Une approche juive pour la planète

Ecrit par Jonathan Aikhenbaum - Docteur en sciences politiques

L'enjeu écologiste est un enjeu majeur en ce début de troisième millénaire et il interroge profondément le peuple qui a été de tous les combats pour la liberté et la justice sociale. Or, les Juifs peuvent individuellement prendre fait et cause pour la planète, mais les institutions du peuple juif, tant nationales que communautaires, n'accordent à ces questions qu'une importance accessoire et inappropriée face à la taille des enjeux.


La communauté scientifique le martèle : en l'espace de quelques décennies, l'homme bouleverse l'équilibre dynamique et fragile de notre plan!te. La disparition de la moitié des animaux sauvages au cours des quarante dernières années nous fraie la voie vers "l'espèce unique", les émissions massives de gaz à effet de serre affectent durablement et profondément le climat, le plastique menace de peser plus lourd que le poisson dans la mer d'ici à 2050. Un tour d'horizon exhaustif n'est pas possible mais les fronts sont nombreux, les réussites rares et hésitantes. 

Puisque nous sommes les auteurs de ce qui se joue sur la planète, ne faisons pas semblant de nous en étonner et posons-nous la question : est-ce grave, sommes-nous responsables et que devons-nous faire ? À ces questions, chaque culture se doit d'apporter des réponses en procédant à un examen sincère de sa relation au vivant et à la question écologique. 

Nous allons donc tenter ici de répondre, très succinctement, à tous questions : le judaïsme s'intéresse-t-il à l'environnement ? Comment expliquer le faible engagement des Juifs et d'Israël sur les questions d'environnement ? Que faut-il faire et comment monde juif devrait-il s'engager ?

L'éthique juive de l'environnement

Loin d'être une construction intellectuelle facétieuse, l'éthique juive de l'environnement s'inscrit dans les fondements mêmes de la tradition d'Israël. On en trouve les grandes lignes dans le récrit de la Création du monde et de l'homme (parachat Béréchitet dans certains préceptes (mitsvot) dont le plus évident est l'interdiction de dégradation (bal tach'hit).

Le respect de la création et sa préservation active sont donc avant tout des actes par lesquels l'homme marque reconnaissance et respect pour l'Auteur de cette oeurvee. La création (bria) du monde nous est décrite en étapes. Dieu crée le monde et juge sa création comme "bonne". À l'achèvement du sixième jour, il juge l'ensemble "très bien".

Dieu n'est pas uniquement le créateur du monde, il en est également le propriétaire ultime. La Terre n'est pas vendue à perpétuité et "la Terre est à moi [dit Dieu], car vous n'êtesque des étrangers domiciliés chez moi" La préservation de l’environnement n’est pas unique- ment une question de respect, c’est une question fondamentale d'intégrité. On doit respecter le bien d’autrui. Dans ce monde, l’homme n’est donc pas un propriétaire, c’est un gestionnaire responsable. Le midrash le mentionne avec la plus grande clarté, Dieu disant à Adam : "Applique-toi à ne pas abîmer et détruire Mon monde, car si tu le détruis, personne ne le réparera après toi. "

Le gestionnaire responsable utilise mais il ne possède, ni ne dispose ni ne dégrade. À ce sujet, l'ont voit bien là se profiler une lecture totale de la crise de l’environnement. L’homme est pris entre deux feux, c'est un être dont l'identité morale est écartelée entre la possession et la communion, entre l’exploitation et la préservation.

Cet écartement se retrouve dans le récit de l’homme, qui nous est rapporté par deux fois, dans le premier et dans le deuxième chapitre de la Genèse. L’homme exploitant du premier chapitre y fait face à l'homme de la préservation du deuxième. Le rav Joseph Dov Soloveitchik nous livre les clés de lecture de cette typologie humaine dans un ouvrage court mais percutant : Le croyant solitaire . L’homme du premier chapitre de la Tora est fait créateur à l'image de Dieu, il a pour mission de dominer le monde, avec sa partenaire dans ce projet. L’homme du deuxième chapitre est "poussière de la terre", sa mission est le travail et la préservation active d'un monde où rien n’est donné d’avance, ni la nature ni la société dans laquelle l’autre n’existe que si on lui fait une place. 

La crise de XXe siècle, note Soloveitchik, c’est le déséquilibre entre ces deux pôles de l’identité humaine, quand l’homme du premier chapitre éclipse celui du second. Les deux guerres mondiales, la Shoah, le totalitarisme sont les apanages d'un monde ou l'homme cesse d'être un "croyant solitaire" pour n'exister qu'à travers le personnage de l’exploitant cupide. À l’ère de la crise de l’écologie, l’homme qui préserve la nature s'efface, celui qui l'exploite sans vergogne triomphe. Le déséquilibre de la planète est avant tout la projection dans la réalité physique du déséquilibre de l’identité humaine.

Exil et détachement de l’environnement

L’exil est lourd de conséquences sur la façon dont les Juifs envisagent ce déséquilibre. Avec l’exil, le judaïsme se désintéresse de nombreuses institutions religieuses qui sont liées à l'agriculture sur la terre d’Israël et le calendrier qui célèbre jusqu'alors les cadeaux de Dieu à travers la nature (la fête des prémices, celle du blé ou celle de l’eau) se recentre sur les cadeaux de Dieu à travers l'histoire. Le judaïsme a délaissé la nature et, dira-t-on avec Abraham Heschel, il est devenu bâtisseur du temps.

Cela n'a pas été sans conséquence dans le domaine du développement de la loi, la halakha. Alors que la Michna compilée au IIIe siècle, la Guémara éditée au VIe et le Michné Tora de Maïmonide écrit au XIIe présentent l’ensemble des éléments qui fondent un droit juif de l'environnement incisif et original, le Choul’han Aroukh au XVIe siècle va exclure de son champ de législation tout ce qui n'est pas lié à la vie religieuse et familiale. Le droit juif de l'environnement existe toujours mais il devient parfaitement accessoire dans la vie juive quotidienne. Tout cela est parfaitement normal et naturel dans un mode de vie où ne s'exerce aucune souveraineté. Qui plus est, l'interdiction de pratiquer l’agriculture et les expulsions forgent un caractère urbain fort, qui sera en partie rééquilibré au début du mouvement sioniste mais qui se perpétue même au sein de l'État d'Israël.

Un plan juif pour la planète

Les Juifs doivent s'occuper sérieusement de la question écologique. La profondeur et l’étendue du problème nécessitent en effet beaucoup plus de bonnes volontés qu’il y en a actuellement sur ce terrain politique et social. 

Mais la crise de l’environnement doit surtout interpeller le monde juif dans sa capacité à assumer une vocation universelle alors que le monde semble basculer dans le particularisme et le communautarisme, traits qui portent en eux la faillite d'un projet qui nécessite une immense collaboration planétaire. Le défi de l'unité, c'est de s'occuper du bien commun sans verser dans l'uniformité : ici, c’est œuvrer ouvertement pour une approche juive de la crise planétaire. Les chantiers du judaïsme dans ce domaine sont tout tracés. Il faut avant tout faire aboutir le droit juif de l'environnement, momifié il y a des centaines d'années, et en faire un outil juridique complémentaire d'autres formes de droit pour codifier le comportement humain et sa responsabilité vis-à-vis des autres hommes et de la planète. Cette oeuvre de maturation a une méthodologie simple : il faut soumettre des question d'environnement à des décisionnaires qui devront ainsi définir, au travers de responsa, l’opinion de la Tora sur ces nombreuses questions, ainsi : est-il permis de manger dans de la vaisselle en plastique jetable ? A-t-on le droit de consommer des produits de l’élevage industriel ou de voyager seul en voiture dans une mégapole dense ?

Il ne faut pas attendre d'avoir des réponses pour agir : les communautés juives, et également l’État d’Israël, peuvent et doivent devenir des champions de la défense de la planète en mettant en place des politiques et des habitudes simples : zéro plastique jetable, moins de viande, covoiturage communautaire, bâtiments communautaires à zéro consommation d’énergie, investissement communautaire dans l’énergie verte et dans des projets de protection de la planète, en Israël et ailleurs. Il est grand temps de reprendre possession de la planète.

Publié le 22/03/2019


Si cet article vous a intéressé partagez le

https://www.leclaireur.org/magazine/article?id=78