L’histoire drôle est connue mais, comme souvent dans l’humour juif, elle « quintessencie » l’esprit du judaïsme. Des savants parmi les plus grands climatologues prévoient la fin du monde dans quinze jours : un énorme déluge va dévaster la planète. Les popula- tions sont désemparées, les chefs d’État se réunissent en urgence. Certains penseurs renommés suggèrent un hédonisme débridé durant les derniers jours de l’humanité. D’autres conseillent d’attendre la fin du monde dans la méditation. Les leaders religieux adressent leurs recommandations à leurs fidèles. Certains en appellent au repentir et au jeûne pour que Dieu les prenne en pitié. D’autres privilégient la prière ou d’ultimes gestes de charité pour mériter l’au-delà. Quant aux grands rabbins, ils déclarent : « Il nous reste quinze jours pour apprendre à vivre sous l’eau ! »
Réponse pragmatique et pleine d’espoir qui place l’homme face à ses responsabilités avec une certaine confiance dans sa capacité d’adaptation. L’histoire juive témoigne de la possibilité de surmonter les situations les plus inquiétantes ainsi que, plus récemment, la conviction d’avoir déjà dépassé une forme d’extermination totale. S’agissant de la crise écologique sans précédent que traverse l’humanité, le judaïsme pencherait donc plutôt du côté du « cornucopianisme », conception peu alarmiste selon laquelle l’homme trouvera, au fur et à mesure de son histoire, les moyens ingénieux pour faire face aux différentes difficultés qui se présenteront à lui. Pourtant, c’est au sein même de la pensée juive et en s’inspirant de concepts théologiques fondamentaux que des philosophes comme Hans Jonas ou Günther Anders en ont appelé à la plus grande prudence. Il faut imaginer le pire avant qu’il ne soit trop tard, disait en substance l’auteur du Principe responsabilité qui inspira le principe de précaution. Les aspirations démiurgiques d’une humanité consumé- riste dotée de pouvoirs illimités qui mettent en péril son propre devenir nous obligent, pour la première fois dans l’histoire, à nous poser la question de notre responsabilité à l’égard des générations futures.
La pensée juive contemporaine peut-elle apporter un éclairage au débat écologique ? Quelles leçons peut nous donner le Rabbin des bois s’agissant du respect de l’environ- nement ou de la cause animale ? En outre, les règles religieuses doivent-elles s’adapter à ce contexte écologique inédit ? Les avis sont partagés et les différents courants du judaïsme n’ont, en la matière, pas la même approche . Pour certains, la difficulté à penser les questions environnementales est un effet de l’exil prolongé du peuple juif . Quoi qu’il en soit, repenser la halakha pour tenir compte de l’évolution des consciences im- pliquerait préalablement un changement de paradigme qui nécessiterait un long temps de maturation . En commençant par des réflexions générales puis en nous intéressant à la terre, au végétal et à l’animal, nous tentons dans notre dossier de penser l’écologie à l’aune du judaïsme. Les questions sont abordées d’un point de vue rituel, symbolique, philosophique et politique, sans oublier les enjeux économiques. Comme à notre habitude, notre thématique est également envisagée dans sa dimension artistique avant de laisser place aux rubriques indépendantes du dossier.
Bonne lecture !
Publié le 04/03/2019