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Friedrich Nietzsche

Friedrich Nietzsche

Nietzsche est un voyageur infatigable, fuyant sans cesse l’Allemagne pour des climats plus agréables. La rédaction de L’éclaireur a réussi à rencontrer le philosophe à Eze, près de Nice, où il rédigeait un chapitre de son Zarathoustra. Si Nietzsche critique sévèrement le judaïsme de l’époque du Second Temple, apparenté selon lui à la pensée chrétienne qu’il pourfend, il salue la force qui émane de la Bible hébraïque et ne tarit pas d’éloges quant aux Juifs modernes. C’est sans doute pour cela que son œuvre fut si appréciée de grands intellectuels juifs parmi lesquels Max Nordau, Martin Buber, Vladimir Jabotinsky, Sigmund Freud ou encore Stefan Zweig.

Dans cet entretien, tous les propos de Nietzsche sont extraits de son œuvre ou de sa correspondance.


Friedrich Nietzsche, hostile à toute valorisation de la faiblesse et de la pitié, vous avez critiqué le Nouveau Testament dans des termes d’une sévérité sans précédent. Qu’en est-il de la Bible hébraïque ? 

L’Ancien Testament – c’est bien autre chose. Chapeau bas devant l’Ancien Testament ! Ici, je trouve des grands hommes, un paysage héroïque et une chose parmi les plus rares du monde, la naïveté incomparable du cœur robuste ; bien plus, j’y trouve un peuple . Dans l’ « Ancien Testament » juif, le livre de la justice divine, il y a des hommes, des choses et des discours d’un si grand style que les littératures grecque et hindoue n’ont rien à leur opposer. On s’arrête avec crainte et vénération devant ces vestiges prodigieux de ce que l’homme était autrefois... 

Vous êtes très dur, en revanche, s’agissant du « judaïsme sacerdotal » et des pharisiens. Judaïsme et christianisme sont responsables, selon vous, d’avoir valorisé l’amour du prochain, la culpabilité et le ressentiment. Mais votre critique du judaïsme traditionnel n’est jamais transposée aux Juifs modernes que vous admirez. C’est chose rare dans un environnement souvent hostile aux Juifs.

Je me fais un point d’honneur de me sentir absolument propre et sans ambiguité par rapport à l’antisémitisme, c’est-à-dire opposé à lui, ainsi que je le suis dans mes écrits. J’ai récemment été persécuté par des lettres et des feuillets de Correspondance antisémite : pour parler aussi franchement que possible, ce parti (qui n’aimerait que trop pouvoir utiliser mon nom !) m’inspire du dégoût... 

D’ailleurs, vous avez rompu avec Wagner à qui vous reprochiez notamment son antisémitisme. Puis avec votre éditeur pour les mêmes raisons. Qu’en est-il de votre sœur qui est mariée à un antisémite ?

Ce maudit antisémitisme est la cause de la grande fêlure entre ma sœur et moi-même .

Que pouvez-vous nous dire des Juifs du XIXsiècle, vos contemporains ?

Les Juifs constituent sans aucun doute la race la plus forte, la plus résistante et la plus dure qui existe actuellementen Europe ; ils savent s’imposer même dans les conditions les plus dures (mieux même que dans des conditions favorables) grâce à de mystérieuses vertus qu’on voudrait maintenant qualifier de vices, grâce surtout à une foi décidée qui n’a pas à éprouver de honte en présence des « idées modernes » . Les ressources spirituelles et intellectuelles des Juifs d’aujourd’hui sont extraordinaires. Tout Juif trouve dans l’histoire de ses pères et de ses ancêtres une mine d’exemples du sang-froid et de la ténacité les plus inébranlables au milieu de situations terribles, des ruses les plus subtiles pour tromper le malheur et le hasard en en tirant profit. Ils n’ont jamais cessé eux-mêmes de se croire voués aux plus grandes choses. Cette abondance de grandes impressions accumulées que constitue l’histoire juive pour toutes les familles juives, cette abondance de passions, de vertus, de décisions, de renoncements, de combats, de victoires de toutes sortes – à quoi devrait-elle aboutir, sinon, finalement à de grands hommes et à de grandes œuvres intellectuelles ! 

Merci beaucoup, Monsieur Nietzsche, pour cet entretien.

Publié le 11/01/2019


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