Le Rabbi de Kotzk, grand maître hassidique polonais du XIXe siècle, est connu pour l’audace et la gravité de sa pensée. Il critique toutes les formes de conformisme et de routine dans la pratique religieuse.
La pensée de ce maître hassidique polonais né en 1787 dérange. La seule présence de son nom accolé à une anecdote ou à un commentaire annonce un moment de vertige et de jubilation. Ses enseignements piquants et sulfureux, son ton souvent subversif et la hauteur de ses vues s’en- racinent pourtant dans un profond et douloureux questionnement existentiel. L’aube – cha’har –s’écrit en hébreu avec les mêmes lettres que la noirceur – cha’hor – car la clarté matinale est fille des ténèbres. C’est au plus profond de la nuit que commence à briller l’étoile du matin. « Étoile du matin » – Morgenstern – c’est le nom de ce maître de sagesse : Ménahem Mendel Morgenstern, le Rabbi de Kotzk. Cette « bonne étoile » est au nombre des astres qui aident les navigateurs avertis à trouver leur voie.
Ménahem Mendel naît au sein d’une famille prestigieuse et l’un de ses grands-pères fut un disciple du Baal Chem Tov, le fondateur du hassidisme . L’anecdote raconte que, lorsqu’il a 5 ans, un incendie détruit la maison de sa famille. Trouvant sa mère en larmes, l’enfant s’étonne qu’elle éprouve tant de peine pour de simples biens matériels. Mais la mère explique qu’elle ne pleure pas pour les murs et les meubles mais parce que l’incendie a détruit son bien le plus précieux : l’arbre généalogique de la famille, issue d’une lignée de vénérables rabbins remontant à des sommités talmudiques. Avec naïveté mais prémonition, le gamin rassure sa mère en disant : « Si ce n’est que ça, je t’en referai un autre qui commencera avec moi ! »Toute sa vie fut à la hauteur de sa promesse : ne pas se contenter d’une ascendance prestigieuse mais vouloir devenir soi-même le premier d’une dynastie.
Extrêmement doué, il commence très tôt à étudier la Tora et le Talmud. Mais aucun de ses maîtres ne parvient à assouvir sa soif de connaissance. Son ambition est grande et il aspire ouvertement à se forger un destin hors du commun. Un ca- marade lui en fait la remarque d’un ton moqueur : « Tu donnes l’impression de vouloir devenir un second Baal Chem Tov ! » Ceà quoi le jeune homme répond sans détour : « C’est bien cela ! LeBaal Chem Tov a-t-il donc déclaré qu’il n’aurait pas d’égal ? Jevoudrais pour ma part le surpasser ! » Son orthopraxie est sans faille mais il adopte des attitudes originales et fait montre d’unepensée audacieuse. On lui demande pourquoi il s’éloigne des usages de son père. « Au contraire, répond-il, mon père n’a jamais rien fait comme ses parents. Fidèlement, je l’imite... »
Le jeune homme quitte Lublin et son maître qui ne le comprendguère. Avec un petit groupe de disciples, il erre de village en village, ne trouvant nulle part où s’établir. C’est alors qu’ils arrivent à Kotzk où ils sont accueillis par des jets de pierres.« Voilà qui est d’excellent augure, dit le Rabbi. Ici, au moins, on n’est pas indifférent ! » Il y a dans la pensée du kotzker une hardiesse intempestive qui a pu sembler trop avant-gardiste pour ses contemporains : « Je ne suis pas de ma génération », disait-il. À Kotzk, les fidèles ne se balancent pas durant la prière, comme le font la plupart des Juifs pieux. La communion avec Dieu est intérieure et aucun signe extérieur de piété n’est visible. On étudie la nuit, volets fermés, de sorte que quelqu’un de passage dans le village ne saurait soupçonner le niveau d’érudition pourtant inégalable des disciples du kotzker rebbe. Concernant cette discrétion des hassidim de Kotzk on avait coutume de dire : « Il est plus facile de trouver un disciple du Rabbi de Kotzk en train de commettre un péché que de le surprendre en train d’accomplir un devoir religieux ! »
La sobriété religieuse n’implique pas, bien au contraire, une pratique rituelle sèche ou routinière. Le kotzker n’a de cesse de dénoncer la piété non accompagnée de ferveur intérieure. « Celui qui prie aujourd’hui pour la seule raison qu’il a prié hier, disait-il,vaut moins que le pire des impies. » Une année, alors que tout le monde prie avec ardeur lors de Roch Hachana, le kotzker s’est isolé dans un coin de la synagogue, les lèvres closes. Il est en proie au doute. Il pourrait discrètement « faire comme tout le monde » et passer inaperçu... mais le maître, qui considère que « le silence est parfois la plus belle des voix », ne triche pas. Ni avec les autres, ni avec Dieu.
Il confiait par ailleurs que son personnage biblique préféré n’était autre que le Pharaon, « car au moins, il sut tenir tête à Dieu ! » Si le non-conformisme de ce sage a souvent été souligné, son audace s’exprime surtout, et de façon saillante, dans ses interprétations piquantes et efficaces de versets bibliques ou de maximes talmudiques. Interprétations qui soulignent généralement la singularité du rapport à Dieu, la valeur de l’effort ou la critique de la piété démonstrative.
Publié le 26/10/2018