Le Codex d’Alep fait partie de ces manuscrits mythiques du judaïsme, qui ont connu des voyages et des péripéties plus grandes que celles de la vie de beaucoup d’hommes. Un mystère digne des meilleurs thrillers.
Le Codex d’Alep, en hébreu, Keter Aram Tsova, appelé aussi la Couronne d’Alep est la plus ancienne version de la Bible hébraïque retrouvée à ce jour. Elle a été écrite entre 910 et 930, dans la région de Tibériade, par un scribe du nom de Shlomo ben Bouya’a, sous l’œil avisé de son maître, le très célèbre Aharon Ben Moshe Ben Asher. Ce maître est reconnu comme le plus éminent de tous les « massorètes », autrement dit les maîtres de la tradition. Ceux qui détiennent l’expertise pour la transmission fidèle du texte de la Bible, avec toutes ses nuances de prononciation et de vocalisation. Ainsi, Aharon Ben Moshe Ben Asher a lui-même vérifié, vocalisé et annoté largement le manuscrit. Le Codex aurait compté en tout 491 feuilles, dont 295 ont été retrouvées et 196 perdues.
Où le Codex a-t-il voyagé ? D’après la page du Codex indiquant ses auteurs et propriétaires, de Tibériade, le livre a d’abord voyagé à Jérusalem, où il a été dédié, vers le milieu du XIe siècle, à la communauté karaïte. On le retrouve ensuite au moment de la première croisade, en Égypte, peut-être après le paiement d’une rançon aux croisés. C’est là qu’il est utilisé par l’un des plus grands maîtres du judaïsme, Maïmonide, qui l’aurait consulté au Caire, et s’en est servi pour ses écrits, comme il le dit lui-même, dans son Michné Tora.
Du Caire, le manuscrit rejoint enfin Alep, en Syrie, probablement vers la fin duXIVe siècle, où il sera soigneusement conservé durant six cents ans. Pendant tous ces siècles, la communauté juive d’Alep, qui connaît la valeur du Codex et s’enorgueillit d’en être la gardienne, a jalousement gardé son trésor dans un coffre en fer, à l’intérieur d’une petite pièce spéciale de la grande synagogue d’Alep. Il était même impossible pourdes étrangers de le consulter !
1947-1958 : du pogrom à l’Alyah.
2 décembre 1947 : nous sommes quelques jours après le vote de la célèbre résolution 181 de l’ONU, qui acte le plan du partage de la Palestine et entérine ainsi la création d’un Etat juif. Les Juifs du monde entier font la fêtemais des émeutes antisémites éclatent rapidement dans le monde arabe et notamment à Alep, qui compte une grande communauté. La synagogue est profanée, les feuilles du Codex sont éparpillées, certains disent même brûlées, on le croit entièrement perdu. C’est du moins la version publique que donne la communauté, pour éviter que le gouvernement syrien ne mette la main dessus. En réalité, le manuscrit est caché pendant une dizaine d’années dans quelques familles juives d’Alep, avant d’être envoyé secrètement en Israël en 1958. C’est à un marchand de fromages, Mourad Mordekhai ben Ezra Faham, que les deux Grands rabbins d’Alep confient un sac en tissu avec la Couronne et un manuscrit mineur du XIVe siècle, appelé la Petite Couronne. Ils le préviennent du danger et le prient d’agir dans le plus grand secret pour apporter le manuscrit en Israël.
La polémique.
Le directeur du Bureau de l’Alyah de l’époque, Shlomo Zalman Shragaï, est fasciné par le Codex et a visiblement intrigué pour le récupérer. Il agit officiellement au nom de l’Etat pour le confierà Ytzhak Ben Zvi, deuxième président d’Israël. Les Juifs d’Alep, qui se considéraient à juste titre comme les gardiens de la Couronne, sont outrés d’apprendre qu’elle a atterri entre les mains de socialistes européens et souvent laïcs (les premiers hommes politiques israéliens), qui, selon eux, ne représentent aucunement le peuple juif. Pendant des années, ils ont essayé de récupérer le Codex, arguant qu’Israël avait profité de la faiblesse du marchand de fromages pour s’en emparer.
Le mystère des feuilles perdues.
Longtemps, on a cru que les pages avaient brûlé dans l’incendie de la synagogue d’Alep, mais des témoignages, du fils du bedeau notamment, puis du trésorier et du rabbin, ont attesté que le Codex était presque entier en 1952. Ne manquaient alors que quelques pages du Deutéronome et d’Isaïe. Une dizaine seulement... Pourtant, à son arrivée en Israël en 1958, il en manque près de 200 ! Parmi les pages perdues on compte : le début, la quasi-totalité des cinq livres de la Tora, quelques pages des Rois et du Livre de Jérémie, plusieurs pages des Prophètes, quelques pages des Psaumes, le Livre d’Esther ainsi que ceux de Daniel, d’Ezra et de Néhémie, la page contenant les auteurs et propriétaires, ainsi que les vingt pages d’annotations à la fin. Autant dire 40% du manuscrit ! Lesgardiens de la Couronne se seraient-ils mués en voleurs ? Toujours est-il qu’à part une seule, remise à l’Etat d’Israël en 1982 par une famille d’Alep émigrée à Brooklyn, les autres feuilles n’ont jamais réapparu... Depuis le 8 février 2016, le Codex d’Alep est inscrit sur la liste des biens du patrimoine mondial de l’Unesco. Et on peut l’admirer (comme d’ailleurs les manuscrits de la mer Morte) dans le Sanctuaire du Livre du Musée d’Israël, à Jérusalem, sous la copie du Rouleau d’Isaïe. Mais il n’est pas dit que ses aventures soient terminées...
Publié le 18/01/2019