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L'amour de l'humour juif

Ecrit par Entretien avec Adam BIRO- Propos recueillis par Liliane Guignier


Vous distinguez l'humour de l'ironie, et critiquez cette dernière. De même, vous écrivez sans majuscule le nom d’un « humoriste » français antisémite.
Quelles sont donc les limites de l’humour ?
Parlons d’abord de l’ironie. Je citerai André Comte-Sponville : « L’ironie peut tuer, l’humour aide à vivre, il vous libère », l’humour établit des liens, l’ironie
ne vous aide pas. Spinoza dit que « l’ironie participe de la haine et, comme telle, est condamnable ». L’ironie vous enfonce, vous écrase. L’humour, c’est
évidemment de l’amitié et de l’amour. On ne se moque pas, on rit, on plaisante. Donc, pour moi, la distinction est très importante, et si c’est un « dictionnaire
amoureux », l’humour s’apparente à l’amour, et l’ironie à la haine. Dans tout le dictionnaire, j’ai décidé d’écrire le nom des salauds ou ceux que je
considère comme tels, comme Céline, Wagner, Hitler ou Staline, en minuscule. En effet, en tant qu’éditeur, je m’intéresse aux lettres et à la forme des lettres. La
majuscule est une sorte d’hommage que je rends à quelqu’un et là, je n’ai aucune envie de rendre hommage à ces personnes-là. La limite de l’humour c’est la haine, comme je l’ai dit. Quand on parle d’humour, on parle d’amour, et on établit un lien. Quand je raconte un witz, je tisse un lien et, si vous m’interrompez en disant que vous connaissez déjà l’histoire, vous m’avez fait très mal, vous m’avez empêché de tisser ce lien. J’ai trouvé dans un livre cette phrase d’un humoriste anglais : « un gentleman est celui qui ne connaît pas la blague qu’on lui raconte. » Il y a une phrase de Desproges qui dit : « On peut rire de tout mais pas avec n’importe qui », voilà pour moi la limite de l’humour. Je n’ai pas envie de rire avec tout le monde et en particulier pas avec ceux qui font du mal…

Pourquoi votre dictionnaire commence-t-il par la lettre B ?
C’est bien sur un clin d’œil à la première lettre de la Bible, celle du mot Bérechit, « au commencement ». Je me prends pour Dieu, je suis un créateur et
moi aussi je commence mon dictionnaire par B ! Je poursuis bien entendu par le A. Cela n’a aucune autre signification que d’être un jeu. 


Que fait Charlie Chaplin, qui n’était pas juif, dans votre dictionnaire ?

Charlie Chaplin n’est pas du tout là par hasard et cela pour deux raisons. D’abord, énormément de gens le considèrent comme un Juif, et Jean-Paul Sartre
lui-même, dans ses Réflexions sur la question juive, le cite comme l’exemple même du Juif. Hannah Arendt, elle, le considère comme le prototype du Juif.
Il est vrai que, notamment dans ses premiers films, il incarne l’innocent traqué en tant qu’émigré, misérable mais qui, chaque fois, s’en tire. C’est un Juif malin,
celui qui gagne quand la police le poursuit. Il représente le type même du Juif traqué, avec un grand chapeau, qui émigre aux États-Unis et qui vient de
descendre du bateau à Ellis Island… Il n’était pas du tout juif mais anglican et baptisé, mais il était tout à fait conscient de cette image qu’il véhiculait.
Je me permets de vous conter une mini-anecdote personnelle : j’ai fait sa connaissance lorsque j’étais collégien à Lausanne et je lui ai serré la main. Je lui
ai dit : « Bonjour Monsieur » et il m’a répondu : « Bonjour Monsieur ». Cela est resté dans la légende familiale avec plus de gloire que si j’avais gagné des
millions à la loterie.

Dans votre Dictionnaire amoureux de l'humour juif, il y a une entrée :
« Dictionnaire amoureux de l'humour juif ». On tourne en rond ?

On ne tourne pas en rond. C’est une façon pour moi de faire le point avec moi- même et c’est le « je » qui parle. À quel titre j’écris ce livre ? Je suis juif mais ni
croyant ni pratiquant, et ce n’est sûrement pas le fait d’être juif qui m’y autorise. Dans la même collection, il y a des livres sur la Grèce ou sur Venise qui n’ont
pas été écrits par des Grecs ou des Italiens. Je suis littéralement amoureux de l’humour juif dont je découvre, au fur et à
mesure de mes lectures, discussions et finalement de mon écriture, les attraits et les détails comme ceux d’un être que l’on aime. J’aime la forme concise et je
suis amoureux des histoires juives. Dans ma conception du monde, il y a la création, l’amour et l’humour.

Quel est le but de votre dictionnaire ?
Le but de ce livre est de démontrer que l’on peut tout surmonter et se moquer de tout, même de la mort. Ce livre a pour but de donner du plaisir et de passer un
bon moment et de ne pas sombrer dans la morosité. 

Vous écrivez, en citant I.B. Singer, que « toutes les histoires juives perdent de leur charme à la lecture ». L'humour est-il uniquement une tradition orale ?

C’est vrai qu’une blague c’est essentiellement une tradition orale. Dans les shtetls, on n’écrivait pas, on racontait. Preuve en est que lorsque l’on vous
raconte une blague et que vous la racontez à votre tour, automatiquement vous la changez, vous y apportez votre être, votre accent, votre personnalité, vos tics,
etc. Une histoire se raconte, et dès que vous l’écrivez, vous la figez et vous érigez un monument pour quelque chose de vivant et qui n’a pas besoin d’être en pierre.

Quelle est la question que l’on vous pose le plus fréquemment ? 

« C’est quoi l’humour juif, et quelle différence par rapport aux autres formes d’humour ? » 

Voilà ma réponse : au départ, c’est la même chose, c’est de l’humour ; mais l’humour juif sert à quelque chose. En effet, l’humour belge ne
sert à rien, si ce n’est à être drôle et à tisser du lien, et c’est déjà essentiel. Songez que le premier Juif, Abraham, a ri quand Dieu lui a annoncé alors qu’il
avait 100 ans et sa femme 90 ans qu’il aurait un fils. Et il a appelé son fils « il rira ». Le premier Juif rit et il appelle son fils il rira, c’est extraordinaire.
L’humour juif est consubstantiel au judaïsme. Je connais des Juifs méchants et bêtes et des Juifs de toute catégorie sociale ; mais je n’en connais aucun qui n’ait
pas d’humour. C’est un moyen de se défendre et aujourd’hui avec la renaissance de l’antisémitisme, c’est notre seule arme.

Publié le 26/12/2022


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