Numéro 15 - Retour au sommaire

Deviens ce que tu es

Ecrit par Propos recueillis par Lise BENKEMOUN

Wingate, à quelques kilomètres de Netanya, en Israël. Le soleil brille sur l'immense Institut national pour l'excellence sportive qui se trouve en pleine nature... Plus de 5000 universitaires, entraîneurs, athlètes, étudiants et enfants franchissent chaque jour les portes de Wingate. L'institut sert de centre d'entraînement pour les équipes nationales de toutes les disciplines et l'équipe olympique israélienne. Il comprend plusieurs stades de foot et de rugby, une piscine olympique, des courts de tennis, des tatamis, etc. Partout, on voit des jeunes s’entraîner. Ce qu’ils disent ? « On ne doit jamais laisser tomber. On court, on saute, on tombe, on se relève, on persiste et on gagne ! » Entrons donc ensemble dans ce que tout le monde ici appelle « le ballon », qui est en fait le nouveau gymnase high-tech où s'entraînent les futures championnes de gymnastique rythmique et sportive d'Israël. Ayelet Zussman nous y attend. Elle est notamment la coach de Linoy Ashram, qui a remporté la médaille d’or aux derniers J.O. de Tokyo 2020. Elle est assise, un iPad à la main, et commente en direct l'entraînement d’une jeune fille au cerceau. « Lisa, recommence. Plus haut ! Plus fort ! Ta jambe gauche n’est pas assez tendue ! Refais tout l'enchaînement pendant que je parle… Et on en discute après… » 

 

Ayelet Zussman, qu’est-ce qui vous a poussée à devenir entraîneuse ?

Au départ, ce n’est pas ce que je voulais faire, je voulais être chorégraphe. Je pensais que c’était trop dur d’être entraîneur et de faire chaque jour la même chose pendant de longues heures. Et puis j’ai rencontré Linoy, elle avait 14 ans, elle se préparait pour les jeux Olympiques des Jeunes. Elle avait quelque chose de spécial… Une passion. Un truc que je ne pouvais pas expliquer et que je n’avais jamais vu auparavant. J’étais curieuse de voir son potentiel. Et ça m’a donné la force et l’envie de devenir son entraîneuse. Je me suis dit que je devais la suivre du matin au soir… Et c’est ce que j’ai fait !

 

C’est comment d’entraîner des champions ?

C’est beaucoup de travail. Et de responsabilités. Tout le monde en Israël savait que Linoy avait le potentiel pour remporter une médaille, alors on avait une grosse pression sur nos épaules. Même si j’ai interdit qu’on nous dérange pendant tout l'entraînement avant les J.O. de Tokyo, on ressentait cette pression. Je savais qu’elle pouvait être au top. Alors je la poussais encore plus !

 

Comment transmettez-vous le sens de l’effort aux jeunes filles que vous entraînez ?

J’essaie de mettre en place des rituels. Chaque exercice est répété des centaines de fois, à chaque entraînement. Ou vous bossez de 10 heures du matin à 10 heures du soir ou de midi à minuit, peu importe, mais vous savez que vous allez faire douze heures avec moi et que sans cela vous ne rentrerez pas chez vous. Mais les gymnastes que j'entraîne sont d’accord avec ça, elles savent que c’est le prix à payer pour le succès. Elles sont volontaires, je n’ai pas besoin de les pousser. Je n’entraîne que celles qui aiment vraiment la gymnastique rythmique et qui veulent vraiment réussir. Le talent ne suffit pas, il faut vraiment adorer la discipline et avoir une énorme volonté. Exactement ce que j’avais vu en Linoy dès le départ.  

 

Comment se passent leurs journées ?

On commence l’entraînement tous les jours à 7h30 par une demi-heure en extérieur, au soleil, parfois à la plage. Ensuite les filles prennent leur petit déjeuner. De 8h30 à 10 heures, elles suivent une classe de ballet. Puis on démarre le premier entraînement, qui s'arrête à 14 heures. Le suivant débute à 16 heures, jusqu’à 20 ou 21 heures. Deux jours par semaine, on ajoute un long entraînement avec juste une pause de dix minutes, et les filles peuvent rentrer plus tôt chez elles ou étudier. 

 

Comment aidez-vous vos championnes à visualiser le succès ?

Je n’ai jamais dit à Linoy qu’elle pouvait être championne olympique. En revanche, je lui ai constamment répété qu’elle était l’une des meilleures gymnastes du monde. Une des plus belles. Une des plus douées. Et que si elle répétait chaque exercice non pas 100 fois mais 1000 fois, quand elle participerait à une grande compétition, elle ne penserait même pas à tout ce qu’il y a autour, la pression, le public, l’environnement, les juges, etc. Et qu’elle ferait ce qu’il faut de manière automatique. Mais pour arriver à ce niveau d’automatisme, il faut travailler vraiment très dur et tout le monde n’en est pas capable. La réussite est vraiment une question de mental. Il y a de nombreuses gymnastes qui ont le niveau, mais qui ne croient pas suffisamment en elles. Je répétais tout le temps à Linoy qu’elle était la meilleure et la plus jolie, même quand certains juges ou coachs disaient qu’elle devait maigrir. Moi, je lui répétais tous les jours et pendant des années : « Tu es la meilleure, tu es la plus belle, tu as le meilleur corps, tu as le meilleur mental. » Donc peut-être qu'à la fin elle m’a crue !          

 

La médaille d’or de Linoy à Tokyo a-t-elle motivé les autres gymnastes et suscité des vocations ?

Bien sûr ! Tout le monde a vu que les efforts paient. Les autres filles apprécient Linoy à la fois comme sportive et comme jeune femme, elles veulent être comme elle. En plus, Linoy est une exception, elle est israélienne, bien sûr, mais surtout elle est née ici, pas en Russie comme nos autres championnes avant elle ! Alors cela donne encore plus d’espoir et de motivation aux autres.

 

Comment créez-vous les programmes des gymnastes que vous entraînez, par exemple pour les J.O. ?

D’abord, je choisis une musique. J’écoute énormément de musique. J’imagine ce que ma gymnaste pourrait faire sur cette musique. Après je lui fais écouter et, si ça lui convient, on va l’enregistrer en studio. Là, je ferme les yeux et j’imagine ce que ça donnerait. Puis on va au gymnase et on commence à travailler ensemble sur la chorégraphie. Je dis X, elle dit Y et on essaie. C’est un dialogue. On tente de trouver de nouvelles choses, de nouveaux enchaînements qui vont surprendre les juges et enchanter le public. On essaie d’être différents des autres. C’est une démarche très artistique, en fait. Il faut ressentir la musique. Et penser différemment des autres. Il faut être inspiré.

[Entre-temps, elle regarde la jeune gymnaste et lui crie : « Reprends depuis le début. Oui, les tours aussi, et attention à la jambe gauche, je te regarde. »]

 

De quoi êtes-vous le plus fière ?

Du fait que la patience paie ! Je suis d’un tempérament très impatient au départ. Je veux réussir tout, tout de suite. Les jours où je m’énerve, ma collègue Raya Irgo me calme ! [Rires]. Mais je suis contente, le succès est arrivé au bon moment. Et aujourd’hui, quand je recommence tout depuis le début avec une nouvelle gymnaste de 14 ans, je me répète que les efforts et la patience paient. Et que nous formons une bonne équipe.

 

Justement, vous entraînez aussi l’équipe olympique de gymnastique israélienne.

Oui, il y a les entraînements en solo et l’équipe. Aujourd’hui, tout est sous ma responsabilité. C’est très différent comme travail. Le travail individuel dépend du caractère de la gymnaste que vous entraînez. Avec l’équipe, vous devez faire avec cinq ou six personnalités différentes, c’est très intéressant.

 

Avez-vous les infrastructures nécessaires en Israël pour entraîner de futures championnes olympiques ?

Maintenant, oui ! Quand la pandémie a débuté, ils ont construit ce gymnase. Linoy, Nicole et les autres filles ont pu venir vivre ici, à Wingate. Où on a tout à portée de main ! La nourriture, le matériel, le personnel, les médecins, etc. On a les clés du gymnase géant, donc on peut venir s’entraîner quand on veut. On a des sponsors, de bons salaires, un fort soutien de Wingate, de notre fédération et de la fédération olympique, franchement on ne peut pas se plaindre ! Et ils ont mis en place tout ça deux ans avant qu’on gagne la médaille ! Ils ont tout fait pour qu’on puisse gagner ! Alors à plus forte raison maintenant, on continue avec tout cela pour remporter de nouvelles médailles aux prochains J.O., en 2024 à Paris et en 2028 à Los Angeles !

 

Israël est un pays qui compte désormais en gymnastique ?

Tout à fait ! Il y a de nombreux pays qui veulent venir s’entraîner avec nous. Et en juin prochain les championnats européens auront lieu ici, donc ils vont venir !

 

De quoi rêvez-vous maintenant ? Maintenant, je peux rêver de voir le drapeau d’Israël sur la première marche du podium ! Avant que cela arrive, je ne l’avais jamais fait ! J’ai toujours dit à Linoy que l’important ce n’est pas seulement le jour de la compétition, c’est tout le chemin pour y parvenir. On a trois ans d’entraînement devant nous maintenant avec les filles, avant Paris. Elles vont devenir plus fortes et de meilleures gymnastes, mais surtout elles vont grandir et devenir de meilleures personnes. C’est ça aussi la leçon à retenir du sport. C’est peut-ê

Publié le 17/05/2022


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