Numéro 15 - Retour au sommaire

ENTREPRENDRE

Ecrit par Entretiens

Noé Debré

 

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous parler de votre parcours professionnel ?

Je m’appelle Noé Debré, j’ai 35 ans et je suis scénariste et réalisateur[1]. Je suis un ancien E.I. de Strasbourg, puis du groupe local Dufrénoy. J’ai très vite su, à 17 ans, ce que je voulais faire dans la vie : du cinéma. Mon entourage, qui me voyait plutôt en prépa puis à Sciences Po ou en école de commerce, a accueilli l’idée avec suspicion et, disons, en adoptant un scepticisme bienveillant. Mais j’étais vraiment déterminé et je ne voulais volontairement pas me laisser de porte de sortie, de peur de devoir éventuellement l’emprunter. Je savais bien que dans ce milieu il y a très peu d’élus et je voulais tout faire pour y arriver.

 

Dans ce parcours couronné de succès, s’est-il agi de chance ou d’efforts ?

Les rencontres – et surtout celle avec celui qui fut mon maître, Thomas Bidegain – ont été décisives. Mais en l’occurrence ce fut une rencontre que j’ai provoquée, pas le fruit du hasard. Ensuite, entre 18 et 21 ans, j’ai énormément travaillé et lu. Du matin au soir. J’étais terriblement stressé car je n’avais plus d’autre choix que de réussir. J’avais compris que, statistiquement, il y avait plus de chances de réussir sa première année de médecine que de devenir scénariste. Et donc j’essayais de bosser autant que mes camarades qui étaient en médecine. Des années après, j’ai raconté à un ami économiste comment mes efforts avaient porté leurs fruits. Mais il m’a expliqué qu’il s’agit d’un biais rétrospectif, le survivorship bias, qui fait qu’on attribue à nos seuls efforts ce qui, en réalité, relève en grande partie des aléas. En tant que scénariste, je suis habitué à élaborer des trames narratives où les événements s’enchaînent selon une causalité logique. Or, le cinéma et une grande partie de la littérature reposent sur un grand mensonge car dans la vraie vie – et dans l’écriture dramatique audacieuse – les histoires n’ont absolument aucun sens, tout n’est que détours et hasards ! En prendre conscience, cela donne le vertige.

 

La tradition juive a-t-elle été pour vous une source d’inspiration ?

Si je reviens à la question de l’effort et du travail, je dirais que oui, sans nul doute, car le judaïsme est une école de la privation (renoncer au goûter d’anniversaire d’un camarade de collège qui a lieu un vendredi soir, ne pas manger comme tout le monde, etc.), qui forge une certaine discipline, l’habitude du contrôle de soi. Cette éthique du travail a peut-être également à voir avec mes origines alsaciennes. En terre protestante, le travail est une vraie valeur. Cela se traduit chez moi par une certaine discipline : je me lève tôt, je travaille tôt. Et je cesse de travailler à 20 heures, au risque, sinon, de ne faire que ça. Je ne réponds pas au téléphone le samedi et c’est un rythme qui me convient, même si l’écriture obéit à des règles qui demeurent mystérieuses et que chacun a sa façon de procéder.

Dans un autre registre, je dirais que l’école juive (où j’étais en primaire) et tous les récits bibliques qu’on nous racontait ont à voir avec ma vocation de scénariste. Quelle richesse, tous ces textes ! La tension entre Jacob et Esaü, la jalousie des frères de Joseph, etc. Les récits de la paracha hebdomadaire ont nourri mon imaginaire de scénariste, tout cela me parle !

 

Samuel Knafo

 

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous parler de votre projet professionnel ?

Je m’appelle Samuel, j’ai 22 ans et je suis un ancien E.I. Depuis mes 13 ans, je rêve de devenir pâtissier. Cette passion est sans doute née durant les heures passées en cuisine avec ma mère et mes grand-mères. Le vrai déclic a été un stage réalisé en classe de 3e chez Fauchon. Puis j’ai « patienté » jusqu’au bac en faisant quelques semaines de stage chaque année chez des pâtissiers. Après le bac, j’ai fait un CAP pâtisserie, puis j’ai intégré un bachelor, en 2e année, en art culinaire et entrepreneuriat. Mes parents ont bien fait d’insister pour que j’aille jusqu’au bac car c’était une condition nécessaire pour ces études. Je pensais être ensuite embauché comme pâtissier salarié mais il y a eu la pandémie, et mon premier poste n’a pas duré. Pendant le confinement, il fallait bien s’occuper alors j’ai fait des livraisons de repas de chabbat et de pâtisseries. Et j’ai décidé de lancer ma propre pâtisserie dans le 17e arrondissement de Paris. Cela ne fait que quelques mois mais pour l’instant les choses se passent bien. Nous sommes deux pâtissiers et une apprentie. C’est une pâtisserie casher ‘halavi (produits lactés), ce qui est très rare dans le casher mais qui se développe. C’était un choix évident pour moi, car une pâtisserie sans lait est moins qualitative.

 

Dans la mise en place de ce projet, quelle a été la part d’effort, de chance, de providence, de difficultés ?

Personne ne peut imaginer la somme de travail, d’effort, de stress… Je porte tout sur mes épaules, de la pâtisserie à la comptabilité, et j’ai perdu 8 kilos en trois mois. Je ne compte pas mes heures.

Je n’aurais rien pu faire sans l’aide de ma famille et de mes amis. J’ai choisi d’être seul aux commandes de Sam pâtisserie pour ne pas mélanger travail et amitié, mais sans le soutien de mes amis et de mes proches, rien de tout cela n’aurait été possible. Les retours positifs des clients sont aussi une source essentielle de motivation.

 

La tradition juive a-t-elle été pour toi une source d’inspiration dans ce projet ?

Oui, sans doute dans mon rapport au temps. C’est anecdotique mais, par exemple, je me suis fait la promesse de mettre les téfilin chaque jour, en dépit d’un emploi du temps extrêmement chargé. Ce n’est pas toujours simple mais à quoi bon avoir sa propre affaire si l’on n’est pas capable de se réserver au moins quelques minutes quotidiennes pour des choses importantes.

 

Eytan Koren

 

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous parler de votre parcours professionnel ?

Je m’appelle Eytan Koren, j’ai 34 ans. Je suis ancien E.I. J’ai été animateur puis j’ai travaillé au Centre national. Cela a son importance puisque dans l’entrepreneuriat il faut faire un grand écart permanent entre le terrain et la stratégie (vision macro). Le fait d’avoir été à la fois animateur et en charge de la pédagogie et de l’organisation à l’échelle nationale m’a beaucoup aidé, par la suite, à gérer cet « aller-retour » entre l’aspect « quotidien » et une projection à long-terme.

J’ai cofondé Hello Syndic avec un autre ancien E.I., Mikael Asseraf. Il s’agit d’un nouveau modèle de gestion d’immeubles, hybride, à la fois très humain et très digitalisé, adapté à la majorité des immeubles en France qui souffrent de « petits problèmes du quotidien ». On automatise la comptabilité, on automatise les petites interventions, et la vie est plus simple pour tout le monde. La gestion des immeubles se fait via de nouveaux outils qui rendent les choses beaucoup plus efficaces pour les clients comme pour nos intervenants !

 

Quels efforts ont été nécessaires dans cette aventure professionnelle ?

Mon associé et moi-même avons quitté des jobs très confortables et classiques pour nous lancer dans cette aventure qui exigeait une prise de risques – personnelle et financière. Cela a demandé beaucoup de réflexion, d’investissement, d’efforts en tout genre. Mais nous y croyions et pensions pouvoir contribuer à une meilleure qualité de vie pour les habitants. Bien sûr, il y a de nombreux aléas, des moments de chance et des tuiles, qui nous obligent sans cesse à ajuster notre action. Le management de nombreux collaborateurs, clients et prestataires en fait une aventure humaine qui demande de l’écoute et de l’appétence pour les relations humaines qui font notre quotidien.

 

La tradition juive a-t-elle été pour vous une source d’inspiration ?

Mon associé et moi-même avons trouvé dans la tradition une exigence de probité et de transparence qui nous anime, surtout dans un marché qui a mauvaise réputation en la matière. Notre démarche se veut éthique, et notre ambition commerciale n’en demeure pas moins régie par des normes morales, en matière de concurrence par exemple. Nous avons souvent des tensions à gérer entre différents interlocuteurs et la valeur du chalom est également au cœur de notre façon de travailler.

 

Avez-vous des conseils à donner à de jeunes ou de futurs entrepreneurs ?

Premier conseil : il y a un mot clé à avoir en tête, c’est celui de résilience. Lancer une entreprise suppose à la fois des efforts et de la persévérance. On doit toujours avoir une vision claire du marché et de son business. Pourtant, cette vision est sans cesse bousculée par les aléas en tout genre, comme la crise sanitaire. Et il est fondamental de garder le cap pour agir de façon cohérente.

Second conseil : une boîte, cela se finance et ça se gère, et beaucoup d’entrepreneurs sont mal préparés à la gestion financière d’une entreprise, pourtant essentielle pour en assurer la pérennité. Pour nous, les E.I. nous ont aussi appris à bien nous entourer et à construire une équipe cohérente et complémentaire !

 

Adam Levy-Zauberman

 

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous parler de votre projet professionnel ?

Je m’appelle Adam, j’ai 34 ans. Je suis allé aux E.I. de 7 à 25 ans et j’ai créé en 2012 l’entreprise Costockage, qui emploie douze salariés. Nous avons des bureaux à Paris et à Tel-Aviv. Il s’agit de louer des espaces de stockage à des particuliers et à des professionnels. Sur le modèle de Airbnb ou de booking.com, il s’agissait au départ de mettre en relation des personnes possédant des espaces inutilisés et des personnes ayant des choses à stocker. Depuis, nous avons aussi acquis nos propres espaces de stockage. Le principe de garde-meubles est ancien mais l’idée nouvelle qui a bien marché était celle de la mise en relation, qui commençait à s’implanter dans les esprits dans d’autres secteurs.

En fait, cette entreprise a été, après un temps de travail au siège des E.I., mon premier véritable emploi. J’ai toujours rêvé de diriger une entreprise et j’avais plusieurs idées. J’ai retenu celle qui me semblait la plus opportune, et ça a marché.

 

Dans la mise en place de ce projet, quelle a été la part d’effort, de chance, de providence, de difficultés ?

C’est un mélange de tout cela à la fois. À quoi il faut l’ajouter le fait d’avoir su m’associer à la bonne personne et réuni une bonne équipe. L’idée de cette entreprise est surtout le fruit de l’observation d’un besoin concret (on a souvent besoin de stocker des choses) qui ne trouvait pas de réponse adéquate.

Mais je dois dire que j’ai considérablement changé la vision de mes débuts – je voulais à l’époque me développer très vite, très fortement, quitte à revendre la boîte puis à faire autre chose. Aujourd’hui je crois beaucoup plus à un développement plus lent mais plus serein, pour moi et pour mon équipe. Et c’est là aussi qu’il y a un effort : accepter de trouver un équilibre raisonnable entre la prospérité de l’entreprise et la qualité de vie (et de rythme de travail) pour tous ses salariés. Et c’est pour moi la grande leçon du chabbat, que j’extrapole à toute la semaine : il faut faire l’effort de ne pas continuer à travailler une fois rentré à la maison. Il faut faire l’effort – pas évident dans un monde ultra-connecté – de ne pas passer tout son temps à travailler et s’astreindre en fin de journée à ne pas regarder son téléphone ou répondre à ses mails. Cette idée du chabbat, c’est-à-dire de moments où on ne doit pas travailler, je l’ai découverte aux E.I., moi qui venais d’une famille qui ne faisait pas le chabbat. Bien que chef d’entreprise, je n’ai, pendant longtemps, pas eu d’Internet à la maison. Et je laissais mon ordinateur au bureau. C’est une vraie discipline. Plusieurs fois, je suis parti en vacances au bout du monde sans téléphone. Mon associé et mes salariés savaient qu’ils ne pourraient pas me joindre. Une fois, j’ai quand même pris un téléphone mais je l’ai vite renvoyé chez moi par courrier pour profiter pleinement des congés. C’est cet effort, l’effort paradoxal de ne pas travailler sans cesse, que j’essaie de communiquer à mes collaborateurs et qui n’est pas incompatible avec une ardeur au travail et le développement – serein mais volontairement pas obsessionnel – de l’entreprise. Rachi, le célèbre commentateur de la Tora, était vigneron. C’est pour moi un bel exemple : travailler comme moyen (et non comme fin, même si on adore ce que l’on fait) de se libérer du temps pour des choses encore plus importantes (l’étude de la Tora dans le cas de Rachi).

 

Avez-vous des conseils à donner à de futurs entrepreneurs ?

Le seul conseil que je donne aux entrepreneurs est de ne pas écouter les conseils des entrepreneurs ! Il faut se méfier des « tips » des gens qui ont réussi. Car chacun généralise ce qui a été valable pour lui mais qui ne l’est pas forcément pour d’autres. Les expériences personnelles ne sont pas toujours transposables. Dans mon cas, je peux juste dire que le fait d’avoir une équipe sur laquelle je peux compter fut et demeure essentiel.

 

Fanny Seroka

 

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Fanny Seroka, j’ai 33 ans. J’ai étudié à Sciences Po Paris, puis j’ai passé le barreau et suis devenue avocate d’affaires pendant quatre ans. J’ai beaucoup aimé ce métier mais il me demandait trop d’heures de travail en ne me laissant pas assez de temps à consacrer à ma vie de famille. J’ai donc quitté ce métier il y a deux ans en décidant de monter une entreprise dans le secteur de la danse, ce qui a toujours été mon loisir préféré.  J’ai créé Dancefloor Paris, une école de danse qui dépoussière l’univers de la danse pour la rendre moins élitiste et plus accessible. Les gens qui fréquentent ce joli studio tout rose (et doté d’un sauna) savent qu’ils peuvent danser de façon décomplexée, progresser et apprendre auprès de professeurs pédagogues et bienveillants. La pandémie est venue bouleverser nos projets et on a dû s’adapter en commençant nos cours en ligne. Ils demeurent encore aujourd’hui accessibles sur Internet en complément ou à la place de nos cours en présentiel.

 

Quels efforts ont été nécessaires dans ce changement de vie professionnelle ?

J’étais loin d’imaginer la quantité d’efforts nécessaires. C’est surtout dans les questions d’organisation qu’il a fallu déployer des efforts et une énergie insoupçonnables. S’autodiscipliner quand on n’a pas de patron sur le dos n’était pas difficile pour moi, j’en avais l’habitude. En revanche, moi qui me croyais organisée, j’ai découvert combien il n’est pas aisé de s’organiser/de tout planifier seule quand on est habituée à ce que tout soit cadré par les institutions au sein desquelles on travaille. Créer ses propres règles de façon complètement autonome, inventer ses propres « process », tout cela n’a rien d’évident.

 

Comment avez-vous réussi à faire face et à fournir ces efforts ?

Tout d’abord parce que nous étions deux dans cette aventure. Quand l’une des associées « lâche » un peu, l’autre est là pour la soutenir et inversement. Cet esprit d’équipe, tous les anciens E.I. en mesurent la valeur et la portée. Par ailleurs, le fait que ce projet soit centré autour de ma passion, la danse, cela donne une motivation et une grande capacité à fournir des efforts. À cela s’ajoute sans doute ma propre personnalité : je ne suis pas d’une nature à lâcher et à laisser tomber les choses que j’entreprends, même quand des difficultés se présentent.

 

Ce projet a-t-il quelque chose à voir avec votre éducation et avec la tradition juive ?

Ce projet, c’est d’abord un lieu de vie accueillant/convivial. Or j’ai grandi dans une famille où on adore recevoir du monde. J’ai donc été très enthousiaste à l’idée de créer un espace accueillant des gens différents (hommes, femmes, jeunes, adultes, etc.) dans une atmosphère chaleureuse. On y vient pour danser mais aussi pour boire un café et discuter.

Par ailleurs, pour moi, le sens de la fête est central dans la tradition juive. Et la danse a une grande importance : pensez aux mariages juifs où on danse des orot avec frénésie.

Enfin, il était évident pour moi que mon projet professionnel devait avoir un sens. Et l’importance du sens de ce que l’on fait est bien entendu l’une des grandes leçons du judaïsme (ce que les E.I. m’ont transmis).

 

Avez-vous des conseils à donner à de futurs entrepreneurs ?

Deux conseils qui ressortent de ce que j’ai dit et qui peuvent permettre, justement, de trouver l’énergie pour fournir les efforts nécessaires dans une aventure professionnelle. Premièrement, si vous vous associez, choisissez très bien votre associé(e) car c’est la clé. Soit on est seul, soit on s’associe avec la ou les bonne(s) personne(s). Deuxièmement, lancez-vous dans un projet qui a du sens pour vous, auquel vous croyez. Si ces deux conditions sont réunies, tout se passera bien !

 

Charlie Sutton

 

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous parler de votre parcours professionnel ?

Je m’appelle Charlie Sutton, j’ai 29 ans. Je suis diplômé de l'École polytechnique et du Technion. Je suis le cofondateur de Datascientest, leader en France des formations dans les data-sciences. Nous formons environ deux mille personnes par an à ce métier, soit plus que tous les organismes et universités de ce secteur des gens dans ce secteur. L’équipe compte une centaine de professionnels dont une quinzaine d’anciens E.I. Cela a été le fruit de gros efforts qui ont été investis intelligemment car l’effort n’a d’intérêt que si l’investissement en temps et en énergie se fait avec sagesse.

 

Justement, dans cette aventure professionnelle, s’est-il agi de chance ou d’efforts ?

Avec mes deux associés, nous n’avons pas compté les heures dans cette aventure mais nous étions grandement motivés. Comme je le rappelle souvent à mes équipes et aux personnes que nous accompagnons, nos efforts ont toujours été orientés dans une direction précise. Avant l’effort, il faut le sens, la direction. C’est comme en trigonométrie, un petit décalage au niveau de l’angle peut rapidement créer une dérive et nous éloigner considérablement de l’objectif. Pour que les efforts ne soient pas vains, il faut vraiment donner du sens à sa mission, que le cap soit clair et sans cesse se demander si les efforts vont dans le bon sens. Plus l’investissement envisagé est important, plus l’effort doit être précédé d’une réflexion exigeante. Et même au cœur de l’action et des efforts, il faut rester critique envers soi-même et voir ce qui peut être amélioré. C’est ce qu’on appelle l’agilité.

La capacité à se retrousser les manches, je la retrouve chez beaucoup d’anciens E.I. Ceux avec qui je travaille et ceux avec qui je suis encore en contact. Quel que soit son niveau d’étude, toute personne passée par les E.I. conserve un peu de cette capacité à allier goût de l’effort et quête de sens, et fait montre d’une capacité à aborder chaque problème avec confiance et courage, en sachant qu’on trouvera une solution. Je côtoie parfois des gens aux C.V. remarquables mais qui, face à certaines difficultés, sont désemparés et pessimistes, tandis que les anciens E.I. sont pétris de courage et d’un optimisme leur permettant de « faire face ». Je résume : l’effort doit absolument s’accompagner d’une direction claire et de la conviction courageuse qu’on va réussir. Sinon, c’est peine perdue.

Quant à la chance ou à la providence, bien sûr que cela entre en ligne de compte mais à condition qu’on se présente à elle avec le kéli, comme on dit en hébreu, le bon « ustensile », pour la recevoir. Il y a des personnes qui utilisent un petit verre pour recueillir les opportunités au moment où il faudrait se munir d’une citerne. Face à des occasions providentielles, encore faut-il se montrer à la hauteur.

 

La tradition juive a-t-elle été pour vous une source d’inspiration ?

Sans nul doute. J’ai grandi dans un foyer assez pratiquant et je le demeure. Je prie chaque jour et j’étudie presque quotidiennement. Le livre de Béréchit (la Genèse) nous apprend que ce qui compte dans la vie d’un Juif ce n’est pas d’être parfait mais de progresser sans cesse. On connaît la tension entre Joseph et Juda qui incarnent deux formes différentes de royauté, comme nous l’enseigne la tradition. Or nous savons que c’est celle de Juda qui a triomphé, notamment à travers la lignée davidique. Cela est surprenant car Joseph, c’est l’homme parfait : beau, sage, préféré de son père, victime de la méchanceté des autres mais capable dans toutes les situations d’une ascension fulgurante (passant d’esclave à vice-roi d’Égypte). De l’autre côté, c’est très différent : Juda porte une lourde responsabilité dans la vente de son frère Joseph, il se retrouve dans des situations délicates comme avec Tamar, etc. Mais c’est Juda qui a obtenu la royauté car son mérite est de progresser sans cesse, d’évaluer ses actions de façon critique : certes, il a vendu Joseph mais il prendra ensuite la défense de Benjamin. Concernant Tamar, il aurait pu taire la situation mais reconnaît à la face du monde sa relation avec elle. Son triomphe est celui de ce qu’on appelle aujourd’hui le test and learn : essayer, rater, améliorer. C’est-à-dire progresser. L’effort n’est donc pas la perfection mais le fait de tendre vers elle et cela me parle beaucoup.

Dans mon activité professionnelle, cela se traduit très concrètement, tout comme le learning by doing qui n’est pas sans rappeler les méthodes E.I. d’éducation par l’action au contact des autres. C’est notre ADN pédagogique. Sur le marché, nous sommes perçus comme l’une des formations les plus exigeantes. Nous pourrions proposer quelque chose de plus accessible et avoir davantage de clients mais nous tenons au contraire pour essentielle la notion d’effort sans laquelle on n’avance pas de façon palpable.

 

Avez-vous des conseils à donner à de jeunes ou de futurs entrepreneurs ?

Je dirais qu’il ne faut jamais vivre un échec sans le transformer en leçon. À l’inverse, il faut aborder les réussites avec modestie pour maintenir le goût de l’effort dont nous avons parlé. Quand on leur donne du sens, les efforts sont toujours payants. Par ailleurs, il ne faut jamais hésiter à solliciter les membres de son réseau quand on fait face à une difficulté. Et j’ajoute que, bien qu’ayant fait de grandes écoles, je n’ai rien trouvé de mieux que le réseau E.I., réactif et qualitatif.

 

 

[1] Noé Debré a reçu la Palme d’or du Festival de Cannes en 2015 pour Dheepan de Jacques Audiard et a été nominé en 2016 pour le césar du meilleur scénario original pour ce même film.

 

Publié le 17/05/2022


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