Pour avancer (להתקדם), il faut faire un usage éclairé de l’avant (קדם).
En hébreu biblique, « Orient » se dit קדם, qui évoque aussi l’antériorité : pour s’orienter, il faut connaître le passé.
Quelle place accorder au passé dans le présent ?
Peuple de mémoire, « bâtisseurs du temps » selon l’expression du rabbin Abraham Heschel, les Juifs n’ont cessé d’envisager les liens entre répétition (chinoun) et changement (chinouï), tradition et modernité, passé et présent.
Comment, dès lors, ne pas laisser le passé envahir le présent, comme lorsqu’un traumatisme ancien obstrue le présent et condamne le futur ?
La liturgie nous invite à envisager le passé (…בימים ההם) de façon sélective pour vivre le présent (בזמן הזה…). Mais comment décider quelle part du passé il convient de mobiliser aujourd’hui ?
Par ailleurs, la tentation est grande de juger le passé selon des critères modernes, ce que la tradition juive récuse, en rappelant notamment que la loi est toujours entre les mains des sages du temps présent qui écoutent le message ancestral avec les oreilles d’aujourd’hui.
Quelles leçons nous donnent le calendrier juif et le cycle des fêtes quant à l’articulation entre histoire et action présente ?
À l’heure de la cancel culture et du déboulonnement systématique des statues, comment porter sur le passé un regard lucide, ni paresseusement passéiste ni naïvement progressiste ?
De même, le fait d’avoir été victime, individuellement ou collectivement, donne-t-il des droits ? Des devoirs ? Une responsabilité ? Que faut-il conserver du passé ? Que faut-il oublier ? Peut-on tout pardonner ? Peut-on « réparer » le passé ?
Enfin, comment échapper à la concurrence victimaire, et quelle voie emprunter pour éviter ce que Tzvetan Todorov appelait « les abus de la mémoire » ?
Publié le 02/12/2021