Numéro 13 - Retour au sommaire

Quel engagement ?

Ecrit par Échange entre Jérémie Haddad, Sandra Hoibian et Philippe Lévy

Sandra Hoibian. L’enquête[1] a été menée courant juin 2021 auprès de 415 jeunes (18-30  ans) engagés ou l’ayant été au sein des mouvements de jeunesse ou associations étudiantes de la communauté juive française : Bné Akiba, CTeen, DEJJ, EEIF[2], Habonim Dror, Hachomer Hatzaïr, Jeunesse en mouvement, Jeunesse Loubavitch, Moadon, UEJF et Yaniv. Toutes ces associations sont membres du collectif NOÉ pour la jeunesse (FSJU), partenaire de L’éclaireur

Il y a eu presque autant de réponses de filles (54%) que de garçons (46%), avec une grande majorité de réponses de jeunes ayant entre 18 et 24 ans.

L’engagement des jeunes en France fait couler régulièrement beaucoup d’encre. Les dernières élections régionales où le taux d’abstention des jeunes a atteint des sommets en sont symptomatiques. Le vote n’est en effet plus l’alpha et l’oméga de la participation citoyenne en France. Les nouvelles générations lui préfèrent des modes d’action plus « souples », ponctuels, diversifiés, et en dehors des institutions bien installées que sont les anciens partis ou syndicats par exemple. Pétitions en ligne, manifestations conçues avec des fortes mises en scène pour occuper l’espace médiatique, collages, actions sur les réseaux sociaux, etc. 

L’enquête menée auprès des jeunes Juifs engagés dans les mouvements de jeunesse montre que ceux-ci se distinguent par la place centrale qu’ils accordent à deux institutions de la République. En premier lieu, leur engagement associatif est central. Ils s’inscrivent sur ce point dans la lignée historique des associations « corps intermédiaires » qui, par leurs actions respectives, permettent à la société dans son ensemble de s’améliorer. Ils accordent ensuite une place importante au vote, très largement associé à un devoir citoyen. Dans les deux cas (association et vote), leur engagement est très lié à leur identité juive. Avec une question sur la portée recherchée de leur engagement dans la société française, au-delà des questions qui touchent fortement la communauté.

Avant de déployer les résultats, il semble important de décrire plusieurs caractéristiques de ces jeunes Juifs engagés qui expliquent beaucoup de leurs positionnements :  

  • Rappelons tout d’abord que, à l’échelle nationale, seuls 38% des 18-30 ans sont engagés dans une association de jeunesse, culturelle, humanitaire, sportive ou politique[3]. Les plus diplômés sont, en règle générale, plus engagés dans le monde associatif. Il s’agit d’une constante de longue date au niveau national. C’est également le cas chez les jeunes Français. Et les jeunes des mouvements de jeunesse juifs ne se distinguent pas sur ce plan. 90% d’entre eux sont bacheliers ou font des études supérieures (allant jusqu’à bac +5 pour 19% d’entre eux). 85% sont encore étudiants. 
  • Ces jeunes font partie de foyers plutôt aisés : 87% considèrent faire partie de la classe moyenne supérieure (47%), aisée (28%) ou privilégiée (12%), ce qui est presque deux fois supérieur à la moyenne des jeunes Français bénévoles (49%), eux-mêmes déjà de milieux en moyenne plus favorisés que l’ensemble des jeunes de l’Hexagone (37%)[4]. Ainsi, seuls 27% d’entre eux vivent dans des familles où il faut parfois s’imposer des restrictions par manque de moyens financiers. En moyenne, en France, le taux est de six ménages sur dix, et de 45% chez les jeunes bénévoles. 
  • Il s’agit aussi de jeunes qui se distinguent par leur pratique religieuse régulière ou occasionnelle (88% au total). En moyenne nationale, seuls 47% des jeunes bénévoles revendiquent une appartenance religieuse, et 31% des jeunes Français. 
  • Enfin, et probablement en liaison à la fois avec leur niveau de vie et leur pratique religieuse, lorsqu’on leur demande de s’autopositionner sur l’échiquier politique traditionnel, ils indiquent plus souvent être « plutôt à droite » ou « à droite » (41%) contre 20% de l’ensemble des jeunes Français.  

Ces trois dernières dimensions (niveau de vie, pratique religieuse, et positionnement politique) expliquent pour beaucoup un engagement plus traditionnel et institutionnalisé que la moyenne des jeunes Français. 

Philippe Lévy. À mon sens, l’appartenance religieuse chez les Juifs ne peut être considérée comme similaire aux autres religions car le judaïsme est une religion, une culture, une tradition et donc un fort lien séculier qui se détache du seul religieux. Un repas, une fête de famille, Israël, des livres, etc. sont autant d’éléments de l’identité juive. Donc c’est moins un attachement « religieux » qu’un attachement à une identité juive.

 

Des jeunes engagés

Sandra Hoibian. L’engagement associatif de ces jeunes est bien évidemment au premier plan de l’implication dans la cité. Ils revendiquent cet engagement associatif comme le moyen le plus efficace pour faire « bouger les choses » (45%). Ils se distinguent en cela très nettement de la moyenne des jeunes Français (11% sont du même avis), et même des jeunes bénévoles (18% sont de cet avis), sans qu’on puisse déterminer s’il s’agit pour eux de considérer qu’ils « font déjà leur part » via le temps qu’ils donnent à la communauté, ou si le collectif associatif est la bonne échelle selon eux pour avoir un réel impact sur le monde. 

Ils se situent par ailleurs dans une participation politique plus traditionnelle que leurs pairs : 27% considèrent le vote comme un levier efficace, soit bien plus souvent que les jeunes bénévoles français (10%). 55% déclarent d’ailleurs avoir voté aux municipales de 2020[5].

En parallèle de ces deux modes d’action qui rassemblent la majeure partie de leurs faveurs, les jeunes Juifs engagés multiplient leurs formes de mobilisation : 76% déclarent avoir récemment signé une pétition ou défendu une cause sur Internet et 66% avoir récemment participé à une manifestation. Des taux sans commune mesure avec la moyenne nationale (47% pour la signature d’une pétition/Internet et 19% pour la participation à une manifestation[6]). Mais ils considèrent ces modes d’action peu efficaces pour changer les choses. Seulement 8% considèrent qu’exprimer des opinions sur Internet pourra avoir un impact significatif (11% de l’ensemble des jeunes bénévoles français), seuls 4% sont de cet avis sur la participation à une concertation publique (7% des jeunes bénévoles français). Ils sont nettement moins convaincus de l’impact des actions protestataires : seuls 7% pensent que les manifestations peuvent faire bouger les choses (12% des jeunes bénévoles français), 1% sont partisans de faire des grèves (8% des jeunes bénévoles français).

À l’instar de ce qui est observé en moyenne dans la jeunesse de France, et plus globalement dans la population française, les jeunes que nous avons interrogés sont très peu impliqués au sein de partis politiques. 87% des parents des jeunes qui ont répondu n’ont pas non plus d’engagement politique direct (membre d’un parti ou d’un syndicat, activisme politique). 

Philippe Lévy. Ces résultats ne sont pas surprenants. Nous savons en effet que les jeunes d’aujourd’hui sont dépolitisés, peu « encartés » au sein de partis et que ceux qui assument leur engagement partisan sont au contraire ringardisés. J’emprunte à la sociologue Ludivine Bantigny l’idée selon laquelle les jeunes héritent d’une double culture, « celle des pères et celle de pairs ». On voit bien, ici, à la fois l’influence de la famille (et une émancipation à son égard assez limitée que nous évoquions déjà dans le numéro 11 de L’éclaireur), une attitude assez révérencieuse vis-à-vis des formes anciennes d’engagement dans la cité et, en même temps, l’influence des autres jeunes côtoyés au sein des différents mouvements de jeunesse et la prégnance dans l’esprit de ces jeunes des causes portées par ces mouvements.

Jérémie Haddad. Il faut différencier à mon sens l’engagement associatif de l’engagement politique. L’engagement des jeunes des mouvements de jeunesse, lors de leur entrée dans la vie active, passera majoritairement par un engagement associatif ou par un choix professionnel porteur de sens, loin des « bullshit jobs » évoqués par l’anthropologue David Graeber. Beaucoup de nos anciens travaillent par exemple dans des entreprises du secteur de l’économie durable et solidaire et ayant une gestion responsable des questions sociales et environnementale. L’engagement politique est en effet moins présent, probablement car son efficacité est de plus en plus remise en question.

Par ailleurs, en cette période de désenchantement de la politique et de déstructuration de l’action militante, il faut se féliciter de la fidélité de cette partie de la jeunesse à un engagement au contraire très structuré et structurant. Si j’osais, je dirais que l’engagement déstructuré (qui peine à porter ses fruits à l’instar du mouvement des Gilets jaunes) est une « ruse du capitalisme » qui produit des formes de mobilisation qui le menacent en réalité assez peu.

Sandra Hoibian. Je comprends et partage cette analyse, même si certains combats « déstructurés » et non pyramidaux ont eu pour certains une grande influence comme le mouvement #MeToo.

 

L’intention de voter à la présidentielle

Sandra Hoibian. L’élection présidentielle est un rendez-vous important de la Ve République et un des seuls scrutins qui reste, jusqu’à présent, épargné par le phénomène massif de l’abstention. Assez logiquement, compte tenu de l’importance de ce rendez-vous républicain et de l’importance qu’ils confèrent au vote, 85% des jeunes interrogés déclarent vouloir aller voter présidentielle de 2022 de façon certaine. Si l’on ajoute ceux qui pensent « y aller probablement », on atteint une intention de 94%, nouveau signe de l’importance qu’ils confèrent aux urnes.

Leur motivation principale est le devoir de citoyen (55%), davantage que le soutien à un candidat précis (7%), un projet politique (11%) ou la volonté de faire barrage à un candidat ou à un projet politique (au total 16%). Ces chiffres sont proches des tendances nationales de 2020 (46% par devoir citoyen, 10% pour soutenir un candidat, 10% pour la volonté de faire barrage à un candidat ou par soutien à un projet politique)[7] et signes d’une certaine distance à la classe politique. On notera toutefois un sens du devoir un peu plus présent, probablement en liaison avec les responsabilités assumées dans le cadre de leur vie associative.

Élie, 18 ans : « Je n’ai pas voté aux élections départementales et régionales car je ne sais pas bien à quoi cela sert. Mais je voterai à la présidentielle sans hésiter parce qu’il y aura une campagne, que les médias en parleront. L’enjeu est concret et je serai satisfait d’avoir voté et de m’être impliqué dans la vie de mon pays. »

 

Léa, 19 ans : « Je voterai à la présidentielle de 2022 car il y a une certaine fierté à le faire. »

 

Jonas, 18 ans : « Je n’ai pas voté aux élections régionales et départementales même si j’aurais pu, mais je le ferai sans nul doute à la présidentielle car on en comprend mieux l’enjeu et que c’est un devoir en tant que citoyen. »

Le devenir de la polarité « droite-gauche » 

Sandra Hoibian. La politique les intéresse. 70% ont souvent des discussions politiques en famille. Un peu moins (57%) entre amis. Même s’ils ont conscience que leur construction politique est encore en devenir. Les jeunes pensent en effet que leurs opinions politiques sont en partie ou totalement les mêmes que celles de leurs parents (64%).

Ils ont objectivement une bonne connaissance de l’orientation à droite ou à gauche des grands partis politiques français et de ce que sont, plus généralement, la droite et la gauche[8]. 41% d’entre eux considèrent que les catégories « droite » et « gauche » ne sont plus pertinentes pour l’élection présidentielle de 2022 et 56% pensent qu’elles seront dépassées d’ici dix ans.

 

Léa, 19 ans : « Je pense qu’on votera de plus en plus pour un candidat précis et pour ses idées, plutôt que pour son affiliation à la droite ou à la gauche. »

 

Élie, 18 ans : « Depuis Emmanuel Macron, l’opposition droite/gauche est un peu dépassée car il avait constitué un gouvernement réunissant des gens des deux bords. La politique va de plus en plus échapper à ces cases rigides et conventionnelles. On votera désormais pour un candidat quel que soit son rapport à la droite ou à la gauche. Je peux voter pour quelqu’un de gauche en 2022 et pour quelqu’un de droite aux élections suivantes. D’ailleurs, on dit souvent qu’on vote à gauche quand on est jeune et à droite quand on vieillit car on défend nos intérêts. »

 

Maé, 21 ans : « Personnellement, je pourrais voter pour un parti qui dépasse l’opposition gauche/droite mais je suis assez persuadée que c’est une approche minoritaire et que ces catégories seront durables dans la vie politique française. »

 

Philippe Lévy. Ces résultats sont le reflet du discours des médias quant à la tendance inéluctable vers une disparition de ces catégories historiques. Il y a d’ailleurs une certaine admiration de beaucoup de jeunes pour Emmanuel Macron en tant qu’il aspirait à en finir avec l’opposition droite/gauche.

 

Le poids de l’identité juive

Sandra Hoibian. L’identité juive des jeunes interrogés a un impact très fort sur leur engagement. 75% d’entre eux considèrent que leur identité juive orientera leur vote.

 

Élie, 18 ans : « Depuis que je suis petit, on m’explique que l’extrême droite est dangereuse, qu’elle a historiquement été responsable de choses très graves, notamment contre les Juifs. C’est en cela que le fait d’être juif influencera mon vote. »

 

Maé, 21 ans : « Le fait d’être juive me conduit à ne pas voter pour les extrêmes. Mais cela ne m’influence pas pour le reste. S’agissant des extrêmes, j’ai été éduquée dans la crainte de l’antisémitisme de l’extrême droite et j’ai découvert que ceux qui votent à l’extrême gauche (mais pas forcément les partis eux-mêmes) sont souvent, par ignorance, d’un antisémitisme qui prend la forme de l’antisionisme. »

 

Samuel, 21 ans : « En tant que juif, mon vote sera influencé par la volonté de lutter contre l’antisémitisme et contre tout ce qui pourrait libérer la parole antisémite ou entraver la vie juive. »

 

 

Les entretiens qualitatifs montrent que c’est essentiellement la question de l’antisémitisme qui explique que « le fait d’être juif/juive » orientera le vote de ces jeunes ; l’extrême droite est explicitement évoquée. Quand on les interroge sur le possible antisionisme de certains partis d’extrême gauche, ils disent ne pas en être conscients et que c’est surtout l’extrême droite qu’on leur présente depuis longtemps comme un danger qu’ils entendent entraver par leur vote.

Philippe Lévy. Il faut se réjouir de cette très forte intention d’aller voter. On aurait pu redouter un désintérêt total pour ce qui se passe en France, un discours – qu’on entend parfois dans d’autres cadres – sur « ce pays qui n’est pas le mien », etc. Nous continuerons à alimenter cet engagement annoncé via une grande campagne d’incitation menée au sein de la jeunesse juive de France. Nos jeunes doivent aller voter.

Être contre LFI ou le RN, c’est être contre les populismes et donc pour la démocratie, le dialogue, l’échange et le débat. En ce sens, ces jeunes naviguent pour des valeurs et pas seulement contre des partis.

Certes, il est vrai que la ritournelle invitant à la méfiance, celle des familles comme celle de nos mouvements de jeunesse, a surtout concerné l’extrême droite. Les jeunes, qui n’ont pas en mémoire les mots malheureux de Le Pen père à propos du « point de détail », sont toutefois sur leurs gardes s’agissant d’une autre Le Pen. Il n’en va pas de même pour l’extrême gauche.

Jérémie Haddad. Et ce d’autant plus que la conception de la laïcité a énormément évolué ces dernières années (comme l’a montré une récente étude de la Licra, elle n’a pas du tout le même sens pour cette génération que pour la précédente), de sorte que les propos de l’extrême gauche quant à la « tolérance », la légitimité des combats identitaires, etc. ont la sympathie de beaucoup de jeunes. Cette fracture générationnelle sur ces questions est d’ailleurs encore assez mal comprise par la génération des 50-60 ans. Le danger est plutôt du côté de l’instrumentalisation du conflit israélo-palestinien par l’extrême gauche, qui fait porter un véritable risque en matière d’antisémitisme, qui n’est en effet pas aussi bien perçu par la jeune génération que peuvent l’être les dangers de l’extrême droite.

Sandra Hoibian. Concernant les manifestations, les entretiens qualitatifs montrent que si certains jeunes se mobilisent uniquement pour des causes en rapport avec les Juifs ou Israël (beaucoup sont descendus dans la rue après le jugement de l’affaire Sarah Halimi), d’autres sont sensibles (et se mobilisent) en faveur de l’environnement (« vendredis verts » des grèves étudiantes dont Greta Thunberg a été la figure médiatique) ou contre le racisme.

Maé, 21 ans : « Je me suis mobilisée pour le climat et contre l’oppression des Ouïghours tout comme je suis allée manifester après le meurtre de Mireille Knoll. Mais j’ai l’impression que c’est une attitude minoritaire chez les jeunes Juifs que je connais qui sont sensibles à des causes autres que celles en rapport avec les Juifs ou Israël mais qui, concrètement, auront plus de mal à se mobiliser dans ce cas.

 

En moyenne, ils se considèrent comme sensibles aux questions liées à l’environnement (ils se situent en moyenne à un niveau 5 de sensibilité à l’environnement sur une échelle allant de 0 (totalement insensible) à 7 (très sensible). Mais c’est une sensibilité un peu inférieure aux tendances nationales (Baromètre DJEPVA 2020 sur la jeunesse, INJEP).

Philippe Lévy. Ces résultats posent question. Ne fait-on pas face ici à une logique judéo-centrée qui a du mal à s’ouvrir à l’universel ? Les intellectuels juifs aiment bien parler du tikoun olam (réparation du monde), c’est-à-dire du souci juif pour l’humanité tout entière, mais qu’en est-il dans les faits ? L’exemple de l’environnement est intéressant : les belles valeurs que porte par exemple cette revue (qui avait consacré un numéro à l’écologie montrant comment la tradition juive elle-même pouvait alimenter une réflexion riche sur la responsabilité envers la planète) trouvent-elles un réel écho chez nos jeunes ? Idem pour la question des migrants où une certaine « exemplarité juive » pourrait inciter nos jeunes, à partir de la tradition, à un engagement fort. Or on a au contraire l’impression d’un certain « repli ethnique ».

Sandra Hoibian. Je partage cette question, voire cette inquiétude. À l’échelle nationale, l’échelon local est souvent le marchepied vers un engagement plus général. Or ici, on a tout de même le sentiment que, pour une bonne partie des jeunes, seuls les combats en faveur de la communauté ou d’Israël sont mobilisateurs.

Jérémie Haddad. Pour ma part, je suis ravi du poids de l’identité juive dans le quotidien de ces jeunes. Je rappelle qu’un des objectifs de nos mouvements de jeunesse est précisément de développer une identité juive riche et authentique ! Mais j’irais même plus loin : je me félicite précisément du fait que le judaïsme ne soit pas perçu par eux comme une tradition incitant à voter à droite ou à gauche (comme si le tikoun olam, concept kabbalistique repris de façon étrange par la gauche américaine, était une injonction à calquer les valeurs juives sur le progressisme occidental). Il est sain qu’ils se soucient de la sécurité des Juifs de France et se méfient des extrêmes, tout en restant par ailleurs libres de voter à droite ou à gauche. La tradition juive est porteuse de valeurs, de rituels et de construction d’un capital social. La politique se situe à un autre niveau, celui de la gestion de la société. Et il est rassurant que la part identitaire de leur vote ne concerne pas son contenu strictement politique.

 

Sentiment de compter dans la société et confiance en l’avenir

Sandra Hoibian. 69% des jeunes interrogés se sentent confiants (58% confiants, 11% très confiants) quant à leur avenir immédiat (trois ans à venir). C’est une proportion importante. Mais compte tenu de leur niveau de diplômes et du niveau de vie de leurs parents, on aurait pu s’attendre à une proportion plus élevée. Leur engagement les expose-t-il à une plus grande conscience des menaces qui pèsent sur la société française ?

Est-ce parce qu’ils font partie de milieux sociaux mieux insérés, qu’ils ont un niveau de diplômes plus important ou un résultat de leur engagement associatif qui leur donne une véritable place dans la société : 80% ont le sentiment que leur avis compte au sein des espaces (scolaire, universitaire, associatif, etc.) dans lesquels ils évoluent. Une proportion beaucoup plus élevée que celle constatée en moyenne chez les jeunes : un jeune sur deux en France a le sentiment que son avis ne compte pas. 

Jérémie Haddad. Il m’arrive souvent de parler avec des dirigeants d’institutions israéliennes qui mettent en avant l’inquiétude des jeunes Juifs de France qui seraient à deux doigts de quitter le pays pour faire leur alya, etc. Ces résultats montrent au contraire que, malgré les craintes de l’antisémitisme, nos jeunes sont heureux et confiants.

Certes, comme le souligne Sandra, ces animateurs appartiennent à des milieux favorisés. Nos mouvements accueillent en leur sein des jeunes de milieux plus modestes mais qui ne deviennent malheureusement pas toujours animateurs (le bénévolat est un luxe de riches !). Il faut également insister sur un point : les compétences valorisées aujourd’hui dans nos sociétés sont précisément celles qu’ils vont formidablement développer durant leur passage au sein de nos mouvements (ces fameux soft skills). Ils sont donc très bien préparés. Combien de chefs d’entreprise et de cadres supérieurs ne cessent de me dire que leur succès professionnel est plus dû à leur passage aux E.I. qu’à leur formation supérieure, aussi prestigieuse soit-elle !

Philippe Lévy. La confiance des jeunes interrogés est d’autant plus rassurante que nous sortons (on l’espère en tout cas) d’une crise sanitaire (et donc économique) qui a un impact énorme sur le moral des jeunes. Outre les hypothèses de Sandra, on peut aisément considérer que l’appartenance aux différents mouvements de jeunesse a également largement contribué à doter ces jeunes de facultés de résilience très précieuses.

[1] Cette enquête aurait été impossible sans l’aide très précieuse d’Avital Amsellem. Qu’elle en soit ici chaleureusement remerciée. 

[2] Les jeunes venant des E.I. représentent 68 % des réponses.

[3] Brice Mansencal L., Coulange M., Maes C., Müller J. (Crédoc), 2020, Baromètre DJEPVA sur la jeunesse 2020, avec la collaboration de Baillet J., Guisse N., Hoibian S., Jauneau-Cottet P., Millot C., INJEP, Notes & rapports/rapport d’étude, 2020.

[4] Enquête Conditions de vie et aspirations, janvier 2021

[5] Pour des raisons de calendrier, l’enquête quantitative a été menée juste avant les élections régionales et départementales de juin 2021 (on n’a donc pas interrogé les jeunes sur leur participation à ces élections). Les entretiens qualitatifs (qui, eux, ont été menés juste après) mettent en lumière un taux de participation très faible (comme à l’échelle nationale puisque l’abstention des jeunes est estimée à 87%) mais que les personnes interrogées lors de notre enquête attribuent à un désintérêt pour ces élections-là qu’ils distinguent nettement de la présidentielle à venir.

[6] Brice et al

[7] Brice et al

[8] Les jeunes devaient associer « droite » et « gauche » à des mots de leur choix (5 maximum). Leurs réponses correspondent à ce qui est classiquement relié à ces deux pôles (« libéralisme » ou « conservatisme » pour la droite, par exemple, et « égalité » ou « progressisme » pour la gauche, par exemple). On demandait également aux personnes interrogées de classer différents partis (LREM, EELV, RN, LFI, LR) comme étant « à l’extrême droite », « à droite », « au centre », « à gauche » ou « à l’extrême gauche ». En très grande majorité, là encore, les réponses correspondent à l’orientation politique généralement reconnue pour ces partis.

Publié le 09/09/2021


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