Monsieur le Grand Rabbin, la Tora est-elle de droite ou de gauche ?
Lorsque l’Éternel reproche à Jonas d’avoir plus de compassion pour un ricin que pour la foule innombrable de Ninive, Il dit : « Et moi, comment n’aurais-je pas pitié de Ninive, la grande ville, où, sans compter une foule d’animaux, il y a plus de cent vingt mille êtres humains qui ne distinguent pas encore leur droite de leur gauche ? (אָדָם, אֲשֶׁר לֹא-יָדַע בֵּין-יְמִינוֹ לִשְׂמֹאלוֹ) » (Jonas 4,11). Et voilà, c’est donc qu’il y a bien une droite et une gauche. Mais on ne dit pas ce qui est mieux. Et la méthode juive est toujours de conjuguer les forces des deux. Nous dirions qu’il faut, dans la société, porter un intérêt au développement économique et avoir des impératifs sociaux. Et droite et gauche sont, en fait, comme une synthèse d’espérances, non pas opposées, mais ajoutées.
On cite souvent l’adage talmudique « la loi du pays est la loi » (dina démalkhouta dina) et les Juifs de France prient chaque chabbat pour la République française. Dans cet esprit, peut-on dire que voter – par exemple à la prochaine présidentielle – est une mitsva (devoir religieux) ?
Je le pense très profondément. Il y a un impératif à s’engager, à être présent aux autres, à la société et voter en est l’expression la plus intime et la plus forte. Lorsque Moïse est jugé, racontent nos textes, Job s’abstient. Et cela lui sera lourdement reproché. Engageons-nous en votant.
Le grand rabbin de France a-t-il des contacts, dans le cadre de ses fonctions, avec les chefs de parti ? Avez-vous constaté une différence, par exemple, entre les partis de gauche et ceux de droite, quant à l’intérêt qu’ils accordent aux institutions communautaires, au sort des Juifs de France, aux questions religieuses en général, etc. ?
Ces sont des questions de personnes et, de tous les bords, vous avez des politiques qui aident, accompagnent, comprennent et aiment leur communauté locale, Israël et le judaïsme en général. Chacun et chacune avec sa sensibilité et ses choix de société, mais avec un même et magnifique élan.
Un rabbin français peut-il (ou doit-il) donner des consignes de vote, à l’instar des nombreuses personnalités rabbiniques israéliennes très impliquées dans la vie politique de l’État hébreu ?
La seule consigne est de pousser à voter car l’abstention fait mécaniquement monter les extrêmes. Et, bien entendu, nous devons dire les dangers des extrêmes. Par-delà les rabbins, le Consistoire, le Crif, l’UEJF et toutes les institutions juives se sont toujours engagés dans ce combat. La violence des discours de certains ou les paroles doucereuses des uns ou des autres ne doivent pas tromper notre communauté, qui sait, d’expérience, combien un affaiblissement de la République et de ses valeurs est toujours l’annonce d’une défaite des libertés et d’une situation plus lourde pour le judaïsme.
Les Maximes des Pères affirment que le sage est celui qui voit ce qui va advenir : sachons anticiper et mener le juste combat de la République et de la fraternité. Et ce combat n’est ni de droite ni de gauche, il est universel.
Publié le 23/09/2021