Numéro 13 - Retour au sommaire

L'édito de Jérémie Haddad

Ecrit par Jérémie Haddad - Président des EEIF

Lorsque Moïse demande à Dieu de lui nommer un successeur, il s’adresse à lui avec une expression bien particulière et peu usitée : « Élohei harou’hot lekhol bassar, Dieu des esprits de toute chair » (Nombres 27,16). Le midrash, rapporté par Rachi, est éclairant : la spécificité du divin, c’est qu’il appréhende chaque individu dans sa singularité, quels que soient son tempérament, son caractère ou ses émotions. De façon similaire, la qualité principale d’un leader sera, dans la mesure du possible, de ne pas seulement porter attention au groupe dans son ensemble, mais bien à chaque sujet humain, ou a minima à chaque « famille d’esprit » qui le compose, selon le mot de l’académicien François Sureau.

Sur le plan politique, la maturité démocratique nous a, avec le temps, enseigné que ni la droite ni la gauche ne possèdent de vérités absolues mais qu’elles sont plutôt le reflet de ces différents tempéraments, que la kabbale lourianique appelle également les « racines d’âme ». 

Bien qu’elles soient de création récente, les valeurs qui sous-tendent les appellations « gauche » et « droite » sont probablement immémoriales et, à ce titre, ont dû être abordées par une tradition juive qui ne laisse à l’écart aucune expression de la vérité, y compris dans le domaine politique.

C’est donc l’objet de ce numéro de rentrée – qui sera très politique en France – de nous aider à penser la polarité politique droite/gauche.

De quelle manière ? D’abord, en abordant l’équilibre entre libertés individuelles, économie de marché et solidarité, systématiquement en tension. Inconfort qui n’est pas étranger, bien au contraire, à la pensée juive (p. 12, p. 16, p. 18, p. 22, p. 73, p. 94). La modernité a donné un visage nouveau à ces questions, et les Juifs ont joué un rôle de premier ordre aussi bien dans le monde de la banque, de la finance et de l’économie libérale (p. 29) que dans celui de sa plus vive critique : il nous fallait donc interroger les liens qui ont pu unir des penseurs comme Karl Marx (p. 34) ou Léon Blum (p. 38) au judaïsme et aux Juifs.

Nous nous sommes ensuite intéressés à la façon dont les Juifs d’hier et d’aujourd’hui se situent, non sans évolutions, déceptions ou ambiguïtés, sur l’échiquier politique en Europe (p. 50), au Canada (p. 54), aux États-Unis (p. 58) et en Israël (p. 62). Israël où le devenir du kibboutz dans un pays économiquement très libéral et à l’urbanisme grandissant nous éclaire sur les liens entre idéaux de gauche et capitalisme (p. 67). Le cinéma israélien fournit également, à sa façon, une intéressante grille de lecture de la polarité droite/gauche et de sa perception subjective (p. 78).

Au cœur de ce numéro, et pour continuer à donner la parole aux jeunes, nous avons mené une grande enquête auprès des 18-30 ans de la communauté juive (p. 42) : qu’en est-il de leur « conscience politique » ? Vont-ils voter en 2022 ? Que savent-ils de la droite et de la gauche ? Notre enquête fait notamment ressortir les formes particulières que prend leur engagement dans la cité ainsi que la part importante de leur identité juive dans leur implication politique. 

Précisons enfin que les contributrices et contributeurs de ce numéro ont des sensibilités politiques différentes – correspondant souvent à leur propre compréhension des textes traditionnels[1] – et, malgré la neutralité de notre revue, nous n’attendions bien entendu pas d’eux qu’ils masquent en quoi que ce soit leurs propres opinions.

 

Bonne lecture et excellente année 5782 !

                                                                                                                       

1 On comparera par exemple la conception très libérale du Talmud présentée par le rabbin Uriel Aviges à l’idée, défendue par le sociologue Ouri Weber selon qui le projet politique biblique est « proche de l’État providence social-démocrate ». L’un des cadres des E.I. (dont nous publions un texte) considérait quant à lui, en 1944, que « tout ce que le communisme et le socialisme comprennent de noble et d’humain existait en puissance dans les écrits de nos Prophètes ».

Publié le 02/09/2021


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