Numéro 2 - Retour au sommaire

Les mots pour le dire

מקרא - Mikra

Le terme mikra désigne l’ensemble des écrits considérés par le Talmud comme « révélés », c’est-à-dire les vingt-quatre livres de la Bible (Tanakh) qui commencent par les cinq livres de la Tora. Pourtant, mikra ne veut pas dire un « écrit » mais un « lu ». La Tora est faite pour être lue. Lue et étudiée par tout un chacun, et lue publiquement. Le chabbat, bien sûr, ainsi que le lundi et

le jeudi qui étaient naguère les jours de marché. L’écrit est destiné à être lu et les textes de la « loi écrite » (c’est ainsi que le Talmud désigne la Bible) ont toujours été accompagnés et enrichis des commen- taires et interprétations de la « loi orale » permettant à l’enseignement biblique dene jamais rester figé.

ספר - Séfer

Séfer veut dire « livre ». A commencer par le séfer Tora, rouleau dont l’écriture et l’usage sont soumis à des règles très précises. Leséfer Tora est écrit sur du parchemin fait avec de la peau de bête, ce qui rappelle, selon un enseignement classique, que les paroles de la Tora doivent s’incarner. Il faut, selon l’expression du Rav Kook, « matérialiser l’esprit et spiritualiser la matière ».

Le mot séfer a notamment donné beit-séfer (« école »), littéralement « la maison du livre ». C’est dans le Coran, et non dans la littérature juive, que l’on trouve l’expres- sion : « Peuple du Livre » pour désigner les Juifs. Eux se considèrent surtout comme le peuple de l’interprétation du Livre.

La même racine (S-F-R) a donné « récit » (sipour) et « compte » (séfira).

לימוד - Limoud

L’étude (limoud), l’élève (talmid), l’enseignant (mélamed), le Talmud (talmoud) et tant d’autres mots proviennent d’une racine (L-M-D) qui est aussi le nom de la douzième lettre de l’alphabet hébraïque, le lamed (équivalent du lambda grec et du « l » latin). Cette lettre est la seule de l’alphabet qui dépasse largement au-dessus de la ligne d’écriture, rappel du fait que l’étude permet de prendre de la hauteur et de s’élever.

פרוש - Pérouch

La racine hébraïque du mot « interprétation » (pérouch), P-R-CH, correspond à l’idée d’explication mais aussi de distance (on retrouve cette racine dans la bénédiction rituelle relative au fait d’arracher – liphroch – la ‘hala de la pâte à pain). Dans les Evangiles, les sages du Talmud sont désignés par le mot « Pharisiens », qui dérive de la même racine. Ce terme, souvent péjoratif, est associé à l’idée d’hypocrisie. Les Pharisiens sont perçus comme des ascètes (idée de séparation). Mais ils sont surtout ceux qui s’opposent aux Sadducéens (qui lisent le texte littéralement), les Pharisiens lisant pour leur part le texte avec une certaine distance, une liberté herméneutique visant à garantir l’équilibre entre tradition et renouveau.

משנה - Michna

La tension entre loi écrite et loi orale permet la vitalité du message biblique. La loi orale est (paradoxalement) mise à l’écrit dans la michna, la partie originelle du Talmud (dont la guémara est l’inter- prétation). La racine du mot michna est très intéressante puisqu’elle peut faire allusion aussi bien à l’idée de tradition (chinoun« répétition ») qu’à l’idée de changement (chinouï). Michna est aussi l’anagramme de néchama (âme), l’esprit du judaïsme résidant sans doute dans cette tradition du changement.

Publié le 20/12/2018


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