Comment avez-vous été recruté par le Mossad ?
Comme souvent, pendant que j’étais à l’armée. J’ai servi quatre ans dans Tsahal, et, juste avant que je devienne officier, ils m’ont donné une mission undercover pendant un mois au Liban. C’était à la fois très intéressant et un gros défi pour moi. Mais visiblement je m’en suis pas mal sorti puisque, deux jours après avoir quitté l’armée, j’ai intégré le Mossad. C’était en 1987, et j’y suis resté durant vingt-huit ans… J’ai pris ma retraite quand j’ai eu 50 ans.
Pourquoi vous ont-ils choisi, à votre avis ? Parce que vous parliez arabe ?
Pas seulement… C’est plutôt pour la variété de mes compétences. Mais oui, parler arabe et avoir l’air de « Monsieur Tout-le-Monde » dans un pays comme le Liban en font partie...
Quand vous étiez agent du Mossad, qui le savait ? Votre femme ? Vos proches ? Vos amis ? Que leur disiez-vous ?
Ils savent que vous travaillez pour le gouvernement, mais ils ne demandent pas vraiment de détails, et vous n’en donnez pas. C’est comme ça... La famille s’y habitue. Les amis, vous en perdez beaucoup au fil des années parce que vous voyagez et que vous êtes souvent absent. Et quand vous rentrez, vous n’avez pas forcément envie de sortir faire la fête et de voir des gens, donc finalement vous êtes un peu isolé.
Vous avez des enfants ?
J’ai une fille qui a 24 ans et un garçon de 28 ans qui travaille avec moi aujourd’hui. L’an dernier, juste avant le début de la pandémie, je ne savais pas trop quoi faire, mais je voulais retravailler. Je ne connaissais même pas l’existence de Zoom. Mais bon, j’ai commencé à donner des conférences en ligne puisque je ne pouvais plus voyager. J’étais dans une agence, mais on ne me donnait pas de missions, donc j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai monté ma propre agence de conférenciers spécialisés dans l’espionnage et l’intelligence. Elle s’appelle Spy Legends, et mon fils en est le directeur général. J’ai commencé en appelant une par une toutes les personnes de mon carnet d’adresses. Deux cents coups de fil… Et ensuite j’ai construit mon site Internet. En espionnant les autres agences, aussi.
Et cela marche bien ?
Très bien, et dans le monde entier ! Au début, je devais supplier les gens pour qu’ils rejoignent l’agence, aujourd’hui ce sont eux qui m’appellent. Je ne leur demande aucune exclusivité, chacun fait ce qu’il veut à côté de Spy Legends. Mais si vous avez besoin qu’on vous aide (à vous présenter, à mettre une belle photo, à faire des vidéos professionnelles…), on le fera. On a des conférenciers dans pratiquement tous les pays. Quand j’ai monté Spy Legend, j’ai recruté également des femmes, et je me suis rendu compte que je n’en avais pas plus de 20 sur 200… Ce n’est pas normal ! Alors j’ai lancé une autre agence, qui s’appelle Women Speakers Online. Avec Spy Legends, je vais devenir le Wikipédia des espions !
Pourquoi les gens sont-ils autant fascinés par les espions ?
Je pense que c’est à cause des films de James Bond. Il est beau. Anglais. Bien élevé. Cool. Il a toutes les femmes qu’il veut. Et il sauve le monde ! Tout seul... C’est un héros, mais c’est surtout un rêve, ce n’est pas réaliste du tout ! Aujourd'hui, je suis consultant pour des films et des séries d’espionnage, et s’ils veulent faire quelque chose de réaliste, je leur dis de faire exactement le contraire ! Par exemple, dans les films on voit arriver l’espion dans un hôtel, parler en russe, etc. Nous, au Mossad, on aurait fait l’inverse… En mission internationale, on ne dit jamais quelle langue on parle. Au lieu de cela, on écoute et on recueille des informations. C’est ce genre de détails qui fait la différence entre la réalité et la fiction.
Dans combien de pays avez-vous eu des missions ?
Je ne peux pas encore le dire en détail. Disons en Orient, en Afrique et en Europe. J’ai voyagé dans plus de quarante pays pendant environ quinze ans.
Votre meilleur et votre pire souvenir de ces années au Mossad ?
Curieusement, je dirais que le meilleur et le pire sont réunis dans un seul et même voyage. C’était en octobre 1995, j’avais à peine 30 ans, et je faisais partie de la très petite délégation qui accompagnait Yitzhak Rabin à New York pour l’anniversaire des Nations unies. On voyage dans un avion régulier d’El Al. Le Premier ministre est en première classe avec sa femme, Leah. On fait patienter tous les voyageurs pour les transférer directement de l’avion à une limousine jusqu’à Manhattan, et là commence un ballet infernal qui va durer dix jours ! Rabin a rencontré des chefs d'État, des ambassadeurs, des célébrités, des journalistes, etc., chaque jour c’était la folie ! On a même pris l’avion officiel Air Force One pour se rendre à Washington. C’était très intense et très intéressant. On rentre en Israël et, quelques jours à peine après ce séjour, Rabin est assassiné… Je suis resté sous le choc. Pour lui, pour moi, mais surtout pour le pays tout entier. C’était vraiment une sale période pour Israël…
On a l’impression que le Mossad est devenu moins secret ces dernières années. Par exemple, tout le monde connaît le visage de Yossi Cohen, l’actuel directeur. N’est-ce pas dangereux ?
Le changement est déjà apparu, me semble-t-il, du temps où Danny Yatom était chef du Mossad. Pour ma part, je ne pense pas que ce soit une bonne chose. On a besoin de voyager incognito, de ne pas attirer l’attention, etc. En revanche, ce qui est sûr, c’est qu’aujourd’hui une partie de la bataille se joue aussi dans les médias et sur les réseaux sociaux. Prenons l’exemple du raid en Iran que Benyamin Netanyahou a révélé au monde entier aux Nations unies : c’était un joli coup, aussi bien de l’avoir fait que de l’avoir médiatisé. Idem pour les meetings prétendument secrets avant la signature des accords d’Abraham ou d’autres traités de paix. Ne vous faites pas d’illusions quant aux prétendues fuites dans la presse : chaque fois qu’un truc sort, c’est que le Mossad l’a bien voulu. Il n’y a pas de hasard, c’est contrôlé.
Vous diriez donc que le Mossad est toujours un service d’espionnage mythique ?
Oui, ils sont devenus meilleurs qu’avant, plus forts, mieux intégrés dans le système gouvernemental, notamment avec le ministère des Affaires étrangères. Ils aident vraiment l'État d’Israël à lutter contre ses ennemis, notamment l’Iran. Yossi Cohen est très compétent. C’est le premier à avoir été à la fois chef de la Sécurité intérieure et chef du Mossad, il connaît donc les deux côtés de la question, la publique et la secrète, et sait manœuvrer avec les deux. C’est un atout majeur. En tout cas, il est clair que le Mossad est toujours dans le top 3 des meilleurs services secrets au monde avec la CIA et le MI5.
Qu’est-ce qui explique cela ?
D’abord on a beaucoup souffert en tant que peuple, et, depuis la Shoah, on a l’habitude de se battre. On a l’expérience de la guerre. Ensuite, on est tous différents, cosmopolites, c’est un atout majeur. On peut avoir une jolie blonde, un type basané, un Français, une Norvégienne, tous juifs et dévoués à la même cause et qui peuvent « se fondre dans la masse » dans de nombreux pays. Enfin on est intelligents, et ce n’est pas pour rien qu’Israël est la start-up nation. On sait adapter rapidement la technologie à nos besoins.
Pouvez-vous nous expliquer la devise du Mossad, tirée de la Bible : « Sans stratagèmes, le peuple tombe ; le salut est dans le grand nombre des conseillers » (Proverbes 11,14) ?
Mon interprétation, c’est que pour faire la guerre, il faut être intelligent, créatif et très bien entouré, par des spécialistes qui vous conseillent dans vos décisions. C’est ce que fait le Mossad. Et c’est une bonne devise.
Ce numéro de L’éclaireur est consacré à la vérité. Comment s'arrange-t-on avec elle et avec le mensonge quand on est un agent du Mossad ?
Cela dépend. Évidemment, si vous voyagez sous une fausse identité, vous, vous allez appeler cela du mensonge… Moi, je dirai juste que cela fait partie de la mission et que ce sont les règles du jeu… 99% du temps, au Mossad, on dit la vérité, on est honnêtes et francs. Je dirais même mieux : on sait qu’on peut faire confiance aux autres, même s’agissant de sa propre vie. Au contraire, maintenant que je commence à travailler dans le privé, je trouve que c’est la jungle et qu’on ne peut faire confiance à personne ! Il y a une chose que j’ai retenue de mes missions, c’est qu’à la fin de chaque projet, succès ou échec, il faut s'asseoir et réfléchir. Le but c’est de garder trois « trucs » pour l’avenir et d’en changer trois autres. Vous pouvez essayer !
Publié le 13/07/2021