Numéro 12 - Retour au sommaire

L'Édito de Jérémie Haddad

Ecrit par Jérémie Haddad - Président des EEIF

La notion de vérité est une des plus analysées, discutées par les philosophes, écrivains, journalistes, sociologues. Tout semble avoir été dit à son sujet, même si notre époque de fact-checking* semble donner l’impression que la difficulté à démêler le vrai du faux est récente. Il n’en est rien. Qu’on songe par exemple à la loi française interdisant les « fausses nouvelles » datant de juillet 1849. Mais on peut remonter bien plus loin et penser aux informations erronées délivrées à dessein par le serpent du jardin d’Éden à une Ève crédule, avec les conséquences que l’on sait (Genèse 3,1).

La tradition juive a-t-elle donc quelque chose de particulier à en dire ? Sans déflorer le sujet qui est au cœur de ce numéro de L’éclaireur, soyons attentifs à un verset très singulier des Psaumes (85, 12) : « La vérité, c’est de la terre qu’elle germera. » N’ayons pas peur d’une lecture en creux : si elle émergera de la terre, c’est que le ciel n’est ici pas concerné. Audace inouïe pour n’importe quelle religion dite « révélée » pour qui la vérité ne peut être qu’une émanation directe de la parole divine. Ici, le psalmiste nous dit autre chose : la vérité se travaille (comme la terre) et sa découverte nécessite un effort. Elle provient aussi de nos expériences subjectives vécues sur terre, qu’il faudra savoir articuler avec cette image tenace d’une vérité absolue indépendante des contingences matérielles.

Que nous enseigne donc la tradition juive ? Que chercher la vérité demande de la patience et de la vigilance, surtout vis-à-vis de nos propres préjugés. Cette vérité est immanente et jamais absolue (p.  10). Si la controverse et la pluralité des interprétations sont valorisées (p. 76), toute opinion ne peut pas être considérée comme véridique et acceptable : un avis n’est retenu que s’il est à la fois fidèle aux sources et argumenté rationnellement (p. 15). Le Talmud envisage toutefois la possible coexistence de plusieurs niveaux de vérité pourtant contradictoires (p. 20). Quoi qu’il en soit, en reconnaissant Dieu comme « juge de vérité », le croyant se montre toujours modeste face à ses « certitudes » (p. 23 et p. 69). De grands penseurs juifs se sont élevés contre le relativisme des valeurs (p. 28) et la foi juive assume l’existence de vérités révélées et de traditions, remparts à ce relativisme (p. 32). La vérité (même dans sa dimension scientifique) est évidemment porteuse d’une dimension éthique (p. 36) et elle est, à ce titre, parfois en concurrence avec d’autres valeurs, comme la concorde (p. 84) ou la sécurité (p. 55, p. 72, p. 93 et p. 94). L’esprit critique et la capacité à interroger sont des vertus essentielles pour le judaïsme. On se souvient que le Talmud débute et s’achève par une question ! Le doute est donc synonyme de sagesse (p. 40). 

Nous continuons dans ce numéro ce que nous avions amorcé dans le précédent : donner davantage la parole aux jeunes et les impliquer dans notre réflexion et notre recherche. Dans cet esprit, deux animateurs E.I. ont mené avec brio l’un des entretiens de notre dossier en interrogeant Marc-Olivier Fogiel (p. 44) sur le rôle des médias dans l’information censée contribuer à la quête individuelle et collective de la vérité. Nous ne pouvions en effet omettre les aspects sociétaux de notre thématique : le rôle de la presse (p. 47) et le danger du complotisme (p. 50), notamment. 

Enfin, notre rapport à la vérité est toujours le fruit d’une construction psychique singulière, consciente ou inconsciente, que mettent en lumière, selon des approches différentes, la psychanalyse (p. 59) et les neurosciences (p. 64), disciplines familières de la notion d’interprétation, centrale dans la tradition juive.

 

Bonne lecture !

 

 

*Vérification des faits.

Publié le 02/06/2021


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