Le judaïsme a été façonné par son rapport singulier aux textes. La centralité du devoir religieux d’étudier et d’enseigner a alimenté une passion addictive pour les textes. Les textes sacrés, d’abord, puis toutes les formes de littérature générant un amour des mots et des lettres et une façon originale d’investir le langage.
Les sages interprétèrent les textes traditionnels avec une grande liberté, se considérant comme les garants du devenir de la parole divine qui, désormais, « n’est plus au ciel ». Les rabbins appréhendaient les textes sans jamais les idolâtrer et en osant, dans le respect de la lettre, prendre pourtant leurs distances avec la littéralité. Décalage fécond postulant le fait que le texte n’est jamais figé et que l’étude est autonome vis-à-vis de la foi. Le texte fut d’ailleurs complété par la « loi orale » assurant souplesse et vitalité de la relation au texte. Les Juifs ont toujours eu une position active face au texte, fût-il considéré comme d’origine céleste.
La passion pour les mots et les textes, leur lecture à la fois fidèle et distanciée, ont sans doute produit des effets durables sur l’identité juive, dont l’humour et l’intérêt pour les mots d’esprit sont des facettes essentielles. Tout comme un certain refus de l’ordre établi. Dans quelle mesure l’obsession textuelle des talmudistes a-t-elle contribué à produire un cadre culturel qui pourrait irradier ceux-là même qui ne sont pas lecteurs de la littérature traditionnelle ? Voilà une question bien vaste que nous avons implicitement soumise aux contributeurs du présent dossier. En quoi ce rapport au texte et au langage a-t-il produit des effets dans des domaines aussi variés que le théâtre, le cinéma, la musique ou la danse ?
Ce lien particulier aux textes a aussi fourni des modèles éducatifs originaux. Est-ce un hasard, par ailleurs, si l’intertexte et l’hypertexte, rendus possibles par les nouvelles technologies de l’information et de la communication, semblent si familiers au talmudiste habitué à jongler avec les textes et les renvois ? Mais ces mêmes technologies et l’accélération de la vie, parfois incompatibles avec l’approfondissement des textes et des idées, ne font-elles pas craindre la fin de la passion du texte, y compris chez les Juifs ? Existe-t-il des modalités nouvelles d’étude des textes ? La société israélienne conserve-t-elle quelque chose de ce texte appeal ? Sommes-nous encore des obsédés textuels ou ce mode d’être-au-monde est-il désormais caduc ou marginal ?
Publié le 07/12/2018