Numéro 11 - Retour au sommaire

Paul Claudel

Paul Claudel, pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de la législation allemande depuis l’arrivée d’Hitler à la chancellerie ?

La législation abominable et stupide dirigée contre vos coreligionnaires en Allemagne me remplit d'indignation et d'horreur. Personnellement, j'ai toujours compté les Juifs parmi mes meilleurs amis et je n'ai jamais éprouvé de leur part que les procédés les plus délicats. D'autre part, l'étude continuelle que je fais de la Bible m'a pénétré de l'importance prédominante d'Israël au point de vue de Dieu et de l'humanité. C'est Israël, avec un courage héroïque et une audace intellectuelle qui serait inexplicable sans une vocation d'En-Haut, qui a toujours maintenu, contre la puissance de Rome, contre les séductions de la Grèce, l'idée d'un Dieu personnel et transcendant supérieur à toutes les superstitions du paganisme. Et c'est précisément le paganisme renaissant sous la forme la plus basse et la plus hideuse qui vient une fois de plus se heurter à cette pierre inébranlable.[1]

Que pensez-vous des rapports des Juifs à l’argent ?

Seuls les gens obtus et cruels ont pu reprocher aux Juifs leur rôle de grands financiers et les persécuter pour cela, comme ils ont persécuté, martyrisé les Templiers qui étaient, eux aussi, des agents financiers. Je le répète, l’argent est utile. Il est le moyen immédiat de se faire du bien les uns aux autres.[2]

Que vous inspire la position parfois empreinte de méfiance des Juifs à votre égard et notamment au regard de certains de vos écrits ?

Je voudrais qu'Israël se rendît compte que je suis un poète. Dans l'expression de ma pensée, j'ai pu heurter des susceptibilités, dont je comprends d'autant plus les réactions que je déplore les causes dont elles procèdent. Si ma voix s'est élevée pour parler à Israël, elle est une voix fraternelle, amicale, sincère, sans faux-semblant, je suis, je crois, le premier après Léon Bloy à rappeler la vraie grandeur d'Israël, et j'ai eu la joie de m'entendre dire qu'il n'y avait jamais eu d'appel plus sincère, plus chaleureux, plus tendre, pour rappeler à ce peuple la pérennité de la promesse qui fait de lui le fils aîné de Dieu.[3]

 

Quelles sont vos convictions vis-à-vis de la création de l’État d’Israël ?

[Je dirais à Israël :] « Ici, tu es chez toi, il n'y a pas prescription. Il n'y a jamais eu un acte juridique, authentiquement valable pour te déposséder. [...] Tu as eu besoin de l'Univers et l'Univers a besoin de toi, pas ailleurs qu'à cette place qui est la tienne et c'est l'Univers qui l'a redécouverte pour toi. Implante-toi, Israël, dans la rectitude : montre-nous, comme un piquet de fer, ce ciel où toute rédemption aboutit. »

Israël, par sa seule force, reprenant possession de la terre de ses pères, refoulant les occupants, reconnu comme nation autonome par la communauté de tous les peuples ! Ce retour d'Israël à la Terre promise n'a pas eu le caractère d'un accident, mais d'une nécessité. Il n'y avait pas d'alternative. Aussi clairement que possible, il y a eu volonté délibérée de la Providence employant les moyens appropriés.[4]

 

L’éclaireur vous remercie pour cet entretien. 

[1] Lettre de 1936 adressée au Congrès juif mondial.

[2] Interview de Paul Claudel par André Chouraqui dans Le Monde du 3 avril 1952.

[3] Idem.

[4] Paul Claudel, Une voix sur Israël, 1950.

Publié le 29/03/2021


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