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Les confidences de Noa

Ecrit par Propos recueillis par Lise Benkemoun

Pensiez-vous devenir un modèle quand vous avez débuté votre carrière de chanteuse ? Est-ce une grande responsabilité à vos yeux ? 

Oui, et je la prends très au sérieux. Je n’avais pas prévu cela, ça s’est fait comme ça ! Il y a de nombreuses petites filles et jeunes filles à travers le monde qui s’appellent Noa à cause de moi ! C’est incroyable ! À chaque concert, j’en rencontre une ou deux ou plus. Au début, c’étaient les mamans qui venaient avec un bébé, maintenant elles ont 25 ans. C’est un grand honneur. Et j’essaie d’en être digne.

 

Quelles valeurs aimeriez-vous transmettre ?

En premier lieu l’intégrité. Ce qui signifie être à la fois honnête et vrai. Que votre esprit soit en accord avec votre cœur et vos paroles. En termes d’art aussi, l’intégrité me semble importante. Donc j’ai toujours tenté de produire une musique qui me semblait profonde et belle à partager. J’ai essayé de casser mes propres barrières. Et cela a souvent surpris le public. Mais je ne suis pas une personne qu’on peut enfermer dans des cases ! Parce que je suis yéménite, etc. je devrais faire ceci ou cela ? Non ! J’ai toujours fait ce qui me semblait important, juste et intéressant. 

Ensuite, je voudrais transmettre le courage. Nous devons vivre nos vies sans avoir peur de ce que les autres pensent, disent… Il faut suivre son cœur, vaillamment. 

En troisième lieu, je citerais la notion de responsabilité. Par rapport à ce que nous sommes, ce que nous faisons, par rapport au monde et à la nature. 

En quatrième, je mettrais la compassion. Une notion héritée de la Tora mais que l’on retrouve aussi dans toutes les grandes philosophies, fois ou religions, même si elles mettent d’autres mots dessus. 

Enfin, la solidarité. Le fait que l’humanité soit un seul et même organisme vivant. Que quand l’un d’entre nous a des problèmes, les autres soient touchés, car nous sommes tous interconnectés. Je pense que, durant la pandémie de coronavirus, on a plus que jamais compris cela. Et cette notion de solidarité, on la retrouve évidemment dans mon combat pour la paix, mais aussi dans de nombreuses causes que j’ai soutenues ou pour lesquelles je me suis battue : le féminisme, les droits de l’homme, l’égalité, le combat contre les injustices. Ce que je ne voudrais pas pour moi, je ne le veux pas pour les autres non plus. Et si je peux faire quelque chose, je le fais ! On a plus d’opportunités qu’on ne le croit ! Il faut les voir pour faire changer les choses et foncer. C’est ce que j’essaie de faire en tout cas et avec un peu de chance, les gens le sentent… Votre responsabilité en tant qu’être humain, c’est d’être la meilleure version de vous-même. C’est tout.

 

C’est pour cela que vous avez choisi de vous engager politiquement depuis des années ?

Je ne me vois pas comme une personnalité politique, et la politique en général me semble un monde assez répugnant. Je suis juste une citoyenne engagée. Cela me tient à cœur. Vous pouvez exprimer cela de différentes manières, à la maison, au travail, dans votre communauté ou pour votre pays. L’engagement, pour moi, c’est un mode de vie. Donc quand je manifeste, ce n’est pas à mes yeux une activité politique ; il s’agit de valeurs que je défends. La justice, l’honnêteté, la lutte contre la corruption, la démocratie, l’égalité des droits. C’est très important !

 

Qui étaient vos modèles lorsque vous étiez jeune ? 

D’abord, mes parents… Ils ont été incroyables. Ils ont survécu à de nombreuses difficultés, au manque d’argent et ils étaient toujours dévoués et aimants. Ils nous ont tant apporté, à mes frères et sœurs et à moi. Ils aidaient leur famille. Ils m’ont donné un très bel exemple. Ensuite ma grand-mère Rachel. Ma tante Amalia, qui est une artiste, et son mari, Michael, qui est un grand intellectuel, qui m’a transmis la soif d’apprendre et de lire. 

Et maintenant, évidemment, je vais citer des artistes. En premier lieu, Joan Baez. Une magnifique artiste engagée. On nous a comparées souvent et je dois dire que cela me ravit ! Puis, Barbra Streisand. Pas seulement pour sa voix magnifique, mais aussi pour son engagement, ses talents multiples, sa force. C’est une femme incroyable ! 

J’admire aussi l’écrivain Gabriel Garcia Marquez, qui est un grand artiste et qui a été très engagé dans la révolution de son pays. Et également des musiciens extraordinaires comme Bach et Mozart, non seulement pour leurs créations mais aussi parce qu’ils ont dédié leur vie à la musique et qu’ils l’ont fait pour la beauté de l’art et non pour devenir riches ou célèbres. Je vais citer aussi Martin Luther King et Gandhi, qui ont tellement changé le monde. Nelson Mandela. Rosa Parks pour avoir refusé de s’asseoir au fond d’un bus… 

Et plus récemment Barack et Michelle Obama, Angela Merkel. Et Jacinda Ardern, la Première ministre de Nouvelle-Zélande. Ouverte, engagée, antiraciste, se battant contre les armes à feu… si on pouvait la cloner et la mettre à la tête de plusieurs pays, le monde se porterait mieux ! Voilà une liste partielle mais pas mal du tout de mes héros.

 

La jeune génération a plutôt tendance à prendre comme modèle des stars de la télé-réalité ou des mannequins, plutôt que des intellectuels comme ceux que vous avez cités, cela vous fait-il peur ? 

Honnêtement, oui… Peur n’est peut-être pas le bon mot, mais cela m’inquiète. Je ne pense pas que ces gens aient du mérite, donc quand ils gagnent de l’attention, cela ne va pas. Mais ce n’est pas nouveau et cela s’inscrit dans tout un système dans lequel on peut inclure Trump, les dirigeants populistes, le racisme, les fake news, etc. Tout cela est le résultat d’un monde gouverné par les réseaux sociaux. On le sait maintenant. On a vu les films, on a suivi l’affaire Cambridge Analytica, les sketchs de Sacha Baron Cohen, on a un gros problème de société et on va devoir le régler. Cela prendra du temps, mais je pense qu’on va trouver une solution. Et pour rester optimiste, je dirais - pour revenir à l’exemple de la musique que je connais le mieux -, que les jeunes sont capables d’aimer et d’enchaîner sans problème des « trucs » actuels plutôt mauvais et des classiques extraordinaires. Ma fille adolescente, par exemple, aime écouter des choses « nulles », mais aussi les Beatles, Led Zeppelin, Elton John, Billy Joel, etc. Et c’est encourageant. Et parfois on a de bonnes surprises. Billie Eilish par exemple, je n’aime pas trop sa musique, même si elle n’est pas si mauvaise, mais surtout elle a quelque chose à dire. Elle a été courageuse, s’est engagée et mérite d’être célèbre. Mais le souci, c’est que la raison pour laquelle les gens deviennent célèbres, c’est généralement parce qu’ils permettent au public de se divertir et d’échapper à la réalité. Donc s’ils se mettent à parler de « la vraie vie », ils vont perdre leur popularité. C’est le paradoxe… 

 

Pour finir, vous venez de terminer un nouvel album très jazzy : vous revenez à vos premières amours ? 

Il va sortir début mars, chez un label français, Naïve, avec un single début février. C’est un album « 100% corona » au sens où il a été fait entièrement chez moi, dans mon studio, par Gil Dor et moi-même. C’est un album très intime. Il me semble qu’il reflète tout le respect et l’amour que nous nous portons, au bout de trente ans de collaboration, ce qui n’est pas rien ! On n’aurait pas pu le faire avant. On s’est rencontrés dans une école de jazz et notre premier spectacle en contenait beaucoup. Donc oui, c’est un retour aux sources ! Parce que le jazz, pour nous, c’est la base, comme Bartok ou Beethoven. En ce sens, c’est logique d’avoir fait cela après « Letters to Bach ». L’album s’appelle « Afterology » : j’aime bien ce titre, je le trouve cool. Je suis très fière de cet album et j’espère qu’il vous plaira !          

 

    

Publié le 08/04/2021


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