Numéro 11 - Retour au sommaire

Les confidences de Haïm Korsia

Ecrit par Propos recueillis par Karen Allali

Monsieur le Grand Rabbin, quels ont été vos modèles – figures historiques ou personnalités modernes –, influençant votre vocation et votre action ? 

J'aime votre question qui, en fait, revient à demander : quel est ton rêve ?

J'ai eu trois modèles, trois personnes qui m'ont fait rêver, qui m'ont fait vouloir être… eux, à ma façon. Le Grand Rabbin Emmanuel Chouchena, charismatique directeur de l'école rabbinique, le Grand Rabbin Joseph Sitruk que j'ai eu l'honneur de servir, et Émeric Deutsch, président de la Sofres et président de la communauté de la rue de Montevideo. Chacun d'eux, plus qu'un modèle, a été une forme de père, et donc de repère, et malgré leur disparition, ils le sont toujours. Ils m'ont offert de me découvrir à moi-même.

L'un m'a enseigné à aimer l'action de terrain, l'autre m'a appris à aimer les fidèles et le troisième m'a poussé à chercher toujours et encore à comprendre le monde. Et les trois m'ont expliqué que rien ne se fait sans étude et sans effort. Un jour, je travaillais sous les ordres de M. Deutsch sur une étude à propos des ponts élévateurs pour les garages en France et il m'a fait réécrire cette étude cinq fois. Et c'était une époque où nous n'avions pas les traitements de texte d'aujourd'hui. Et il avait chaque fois raison.

Les trois me manquent. Et ils sont en même temps toujours si présents pour moi…

 

Les rabbins constituent-ils des modèles pour leurs fidèles ? 

Plus généralement, la Tora insiste beaucoup sur la façon dont les valeurs sont incarnées par de grands personnages. Peut-on se construire sans modèles ?

Oui, nous devons incarner les valeurs de la Tora, mais nous sommes faillibles. Voilà pourquoi j'ai toujours pris de la distance avec une forme de sanctification des personnes qui n'est pas très conforme à nos traditions. Mais nos rabbins sont des modèles pour tel ou tel geste religieux. Et c'est beau de refaire ce qu'un père, une mère, un maître, une enseignante pouvaient faire et les retrouver à travers ce geste.

Nous offrons une part de la compréhension des textes, un accès à ce qui est complexe. Mais, à la différence des gourous des sectes, notre vocation est de faire en sorte que nos fidèles puissent devenir autonomes devant les textes traditionnels et puissent se passer de nous. Nous les élevons au sens fort du terme et ne devons jamais les maintenir dans une relation de dépendance.

 

 

Le peuple juif est appelé « peuple élu ». La Tora le qualifie aussi de et am ségoulaexpression difficile à traduire. Dans quelle mesure doit-il et peut-il être un modèle pour l’humanité ?

Cette élection est une responsabilité. Nous sommes définis comme or lagoyim, « une lumière pour les Nations », car notre vocation n'est pas de tout savoir, mais d'éclairer, de défricher des voies et des chemins, et nous l'avons fait au risque de notre sérénité depuis plus de deux mille ans. Am ségoula peut se traduire par « peuple ressource », je vous propose même « peuple monde », selon le très beau titre d'un ouvrage d'Alexandre Adler. Et, en effet, le peuple juif, par-delà son implantation sur toute la surface de la terre, porte en lui toutes les problématiques et toutes les espérances de l'humanité.

 

 

Publié le 02/04/2021


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