La possibilité d’admirer est une qualité que je me réjouis (humblement !) de posséder car je crois qu’elle permet de donner une coloration beaucoup plus positive et optimiste à l’existence. Elle permet de s’émerveiller de certains accomplissements, pousse à l’amélioration de soi et évite le cynisme contemporain associé aux personnes blasées qui ont déjà tout vu. Indirectement, elle nous pose la question : sur quels modèles veut-on se fonder pour orienter notre vie et lui donner du sens ?
Et c’est exactement la question que nous souhaitions soulever dans ce dossier : en 2021, comment les jeunes appréhendent-ils cette histoire de « modèle de vie » ? Cette interrogation n’est pas étrangère à la tradition juive puisque les Pirké Avot soulèvent déjà un impératif similaire : « Fais-toi un maître. » Dans cette injonction, nous entendons plusieurs échos à notre numéro : trouve-toi un modèle qui puisse te montrer une voie, sois actif dans cette recherche de guide, ne choisis pas un maître dans l’absolu mais quelqu’un dont la pratique et l’enseignement soient adaptés à ta singularité d’individu. Ce qui nous interpelle, c’est qu’un maître n’est pas uniquement un vecteur de transmission. Il est aussi la condition nécessaire pour bâtir un socle à partir duquel l’étudiant pourra ensuite innover et s’émanciper. Notre époque voit cependant d’un œil méfiant cette figure du maître, qu’elle assimile parfois trop rapidement à un gourou ou à un leader charismatique qui obérerait toute capacité d’émancipation individuelle.
Alors, si « les enfants ont plus besoin de modèles que de critiques* », quels modèles peut-on leur proposer ? Pour les jeunes Juifs (et nous en avons interrogé 850 en préparant ce dossier : lire notre enquête p. 53), l’influence des parents et de différents « passeurs » est aussi prégnante que décisive. Il peut s’agir d’un leader communautaire (p. 48), d’un rabbin, d’un enseignant (p. 62), d’un intellectuel (p. 65 et p.72), d’un animateur de mouvement de jeunesse (p. 82), etc. Le modèle peut également être collectif (p. 94) ou civilisationnel (p. 65). Des personnalités interrogées – intellectuels, responsables communautaires, artistes – évoquent d’ailleurs dans ce numéro les figures historiques ou contemporaines qui les ont marquées et qui ont été des modèles pour elles.
Fidèle à notre volonté de multiplier les angles, le « modèle idéal » prend peu à peu forme : il doit nous permettre de trouver notre propre voie (p. 10), le rapport au modèle ne doit jamais être passif puisqu’il s’agit de se réapproprier les valeurs qu’il incarne (p. 80). Les personnages bibliques peuvent nous inspirer (p. 18) mais rien ne remplacera un maître en chair et en os avec qui l’échange vivifie (p. 34). Il pourra s’agir aussi de plusieurs maîtres, puisque la pluralité des modèles enrichit l’existence (p. 22) et il sera évident que le rapport au modèle ne doit jamais virer à l’idolâtrie. C’est pourquoi on devra préférer l’étude des grands textes au culte des grands hommes (p. 28). Le modèle, finalement, nous engage à l’action (p. 39) et nous aide à avancer vers ce que nous devons être.
Bonne lecture !
* Selon une formule de Joseph Joubert qui fut le secrétaire de Diderot.
Publié le 04/03/2021