Manifestement, ce n’est pas la première fois qu’on lui pose la question. Ni la première fois qu’il y répond.
« Mademoiselle, sachez que l’homme et la femme ont des rôles assignés bien précis dans la religion juive. L’homme doit travailler à la sueur de son front et la femme enfanter dans la douleur. Puisque vous connaissez l’hébreu, permettez-moi de vous rappeler le mot de bina, une intelligence fine et ultime de la relation humaine que n’a pas l’homme. Car l’homme ne connaît pas la souffrance terrible de l’enfantement. Dans la prière que vous mentionnez, l’homme remercie Dieu de ne pas l’avoir fait femme car il n’a pas cette capacité empathique et il doit travailler sur lui pour l’avoir. D’ailleurs ne dit-on pas Echet ‘Hayil, c’est-à-dire une femme vertueuse que l’on met sur un piédestal en la remerciant pour tout ce qu’elle a fait pour chabbat : aller puiser l’eau, s’occuper des enfants, satisfaire son mari, etc. C’est en cela que réside la différence profonde entre l’homme et la femme, dans cette vertu qui est la caractéristique naturelle de la femme. »
Sans que je m’en rende compte, le rabbin m’avait raccompagnée à la porte. Avant de me quitter, il ajouta avec un air complice : « Mademoiselle, je vais vous dire un secret. Si les hommes remercient Dieu de ne pas les avoir créés femmes, c’est qu’ils en seraient bien incapables. »
Je le regardai droit dans les yeux et ajoutai sur un ton sec :
« C’est Madame. »
#BalanceTonAdam. En fait, tout part d’une déplorable méprise. Dieu ne crée pas l’homme avant la femme dans la Bible, Il crée « Adam », une Humanité à la polarité double : à la fois féminine et masculine (chapitre 5 de la Genèse : zakhar ounékéva baraam). Dieu choisit, pour le bien de l’Humanité (car il n’est « pas bon » que Adam soit seul), de créer littéralement un « pendant », un « vis à vis », un « contradicteur » qui saura être « allié » (ezer) et « opposant » (negdo). En cela, Dieu propose à Adam en tant qu’Humanité d’entamer un relationnel riche et mature. Malheureusement, comme le rappelle Janine Elkouby dans Perles de savoir, il s’agit d’une entrée en matière « ratée » entre l’homme et la femme. Adam dans sa partie restante masculine (Ich), se réveillant de sa torpeur, prend conscience de l’existence de la femme et s’adresse à Dieu en parlant d’elle à la troisième personne pour s’assurer de bien relier son origine à la sienne. « Cette fois, elle est os de mes os, chair de ma chair. » En fait, Adam, qui se désolait de ne trouver aucune compagne parmi les animaux, se reconnaît dans cette Icha : « Elle est DE moi, elle est COMME moi et voilà comment je vais l’appeler (Icha) puisqu’elle vient de moi (Ich). » En fait, le défaut de l’homme fut donc très tôt de se prendre pour l’Humanité en confondant Homme (Adam) et homme (Ich). Sa réaction spontanée est ainsi de vouloir nommer la femme à partir de son prisme alors que le mot Icha préexiste puisqu’il apparaît auparavant lorsque Dieu crée l’être féminin.
Demandez au propriétaire ! David Ben Gourion, voulant sans doute faire un compliment à Golda Meir, ne disait-il pas d’elle : « C'est le seul homme dans mon gouvernement » ? Cela sous-entendait que les autres hommes n’étaient sans doute que des « femmelettes »… enfin des « femmes » tout simplement pas à la hauteur.
En hébreu moderne, encore aujourd’hui, le mot « mari » renvoie à baal, au « propriétaire ». Ben Gourion lui-même avait demandé que ce mot ne soit plus utilisé et aujourd’hui certains lui préfèrent Ich pour parler du « compagnon », « partenaire de vie » ou « significant other » comme il est appelé en anglais. Il est frappant de voir combien il est difficile pour la femme de sortir de ce statut de non-homme tant sur le plan légal que sur le plan religieux. Inutile de rappeler l’état de propriété que la femme a toujours revêtu tant dans la Bible que dans le Talmud, passant des mains de son père à celles de son mari et étant toujours reléguée à un rôle domestique (famille) sous peine de devenir un objet sexuel (harem). Aujourd’hui encore, oser porter son nom de « jeune fille » pour une femme mariée fait doucement sourire, même s’il faut absolument que les enfants portent le nom du père religieusement et légalement parlant. Dans la Bible, le premier acte de la femme est d’obéir au premier personnage qui lui adresse enfin la parole directement : le serpent. Cet acte est créateur, il permet le paradoxe d’« allié-opposant » que Dieu souhaite proposer initialement à Adam. Surtout, il permet à la femme de gagner son vrai nom : celui d’Ève, la « vivante ». C’est encore Adam qui la nomme mais cette fois à la suite de ce qu’il a entendu Dieu dire d’elle : elle enfantera et elle souffrira. Par peur, par admiration, par opposition aussi peut-être, Adam reconnaît le caractère radicalement différent de la femme et la considèrerait enfin comme digne de respect.
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Devant mon miroir, je me prête à rêver alors que je me maquille… « Un jour, moi-aussi je serai rabbin… grand rabbin… je ne me ferai surtout pas appeler rabbine car ça ferait trop femme de… Non, je serai grand rabbin, et je montrerai qu’en tant que femme je n’ai pas peur de mon pouvoir, que je l’assume, tout en restant féminine. J’oserai m’exposer « comme un homme » tout en conservant ma féminité. Je ferai des sermons en chaire en parlant très fort de la bonté de Dieu vis-à-vis de l’Humanité et je ferai la couverture du magazine de mode « Vogue ». Je serai présidente du jury du Festival de Cannes tout en étant capable d’écrire une nouvelle loi de non-violence pour l’abattage rituel... Je serai la femme grand rabbin providence résolument tournée vers l’avenir, celle qui n’a pas peur de crier haut et fort les valeurs d’un judaïsme ouvert et égalitaire.
Dans mon enthousiasme, je signe un dernier trait de rouge vermillon sur mes lèvres, satisfaite de leur aspect pulpeux. Et puis, un peu comme une allégorie, lentement, je revêts le masque qui barre la moitié de mon visage maquillé, qui dissimule mon rouge à lèvre si vif et plein de promesses, qui me rappelle ce que je suis…
Petite femme, sois plus intelligente… tais-toi !
Publié le 08/02/2021