Numéro 10 - Retour au sommaire

Qu'est ce que l'Homme

Ecrit par Patrick Petit-Ohayon - Directeur de l’Action scolaire du Fonds social juif unifié et auteur, notamment, de Le Couple, à la rencontre de l’autre (éd. Lichma).

Il en va apparemment de même en hébreu où le vocable « Adam » peut concerner l'individu dans sa masculinité, l'espèce humaine, ou encore être le nom du mari d’Ève. Dans le récit de la Création, de qui parle-t-on ? Il nous faut le clarifier.

La première fois que le terme « Adam » est utilisé, c'est lors de la création de l'espèce humaine. « Dieu dit : Faisons l'homme (Adam) à notre image, et à notre ressemblance… » (Genèse 1,26). Il ne s'agit pas ici, spécifiquement, d'un être masculin, mais bien du représentant de l'humanité naissante. 

Dans un premier temps, l’être est présenté dans le cadre du règne animal, dont il fait partie. Cependant, sa capacité à la spiritualité est indiquée, selon Maïmonide, par l’expression « à notre image » (Betsalménou), qu'il faut plutôt comprendre comme signifiant « la forme spécifique, c'est-à-dire la compréhension intellectuelle et non la figure et les linéaments » (Guide des Égarés I,1). Cette disposition se retrouve dans la construction du nom même de l’homme, qui peut se découper en A-Dam. Le A correspond à la lettre « Aleph », qui a comme valeur numérique 1 et évoque D-ieu lui-même, le 1 absolu. Le mot « Dam » désigne, en hébreu, le sang, qui symbolise la vie physique de l’individu. Cependant, l’être est présenté dans ce verset comme s’il était un « objet », par rapport à d’autres. La valeur numérique du mot « Adam » est de 45 qui correspond à la question « Ma ? » qui signifie « Quoi ? ». Dans ce niveau de relation, seules apparaissent les différences morphologiques entre les espèces.

Au verset 27 du même chapitre de la Genèse, l’homme est présenté dans sa dimension relationnelle, interpersonnelle. L’individu devient « sujet ». On parle alors de « Ha-Adam » (L’Adam ou encore l’Homme), qui a comme valeur numérique 50, ce qui correspond à la question « Mi ?», « Qui ? ». Qui suis-je par rapport à un autre humain proche, mais malgré tout différent ? Or, dans ce verset, l’être créé est double : « D-ieu créa l'Homme (Ha-Adam) à son image ; c'est à l'image de Dieu qu’Il le créa, mâle et femelle furent créés à la fois. »

Pourquoi ce changement ? 

En tant qu’être relationnel, potentiellement partenaire de Dieu, l'Homme, avec un H majuscule, n'est pas le masculin seul, ni le féminin seul d’ailleurs, c’est l’union des deux. Certes, d’après le Midrash (Béréchit RabaVIII,1), dans un premier temps l’Homme est constitué de deux entités, collées dos à dos, avant d’être séparées l’une de l’autre pour permettre un face-à-face plus enrichissant.

C'est à cet être double que Dieu continue de s'adresser au verset suivant : « Dieu les bénit en leur disant : Croissez et multipliez, remplissez la terre et soumettez-la ! »  

Par ailleurs, c'est bien cet « Ha-Adam » que l'on retrouve dans le deuxième chapitre de la Genèse, qui reprend le récit de la création de l'humain pour l'approfondir.

« L'Éternel Dieu façonna l'Homme (Ha-Adam), poussière, détachée du sol… L'Éternel Dieu plante un jardin en Éden et y plaça l'Homme (Ha-Adam) qu'il avait façonné. » (Genèse 2, 7-8)

Plus loin dans le chapitre :

« L'Éternel Dieu prit donc l'Homme (Ha-Adam) et l’établit dans le jardin d'Éden, pour le cultiver, le soigner. L'Éternel Dieu donna un ordre à l'Homme (Ha-Adam) en disant : Tous les arbres du jardin, tu peux t'en nourrir, mais l'arbre de la science du bien et du mal, tu n'en mangeras point car du jour où tu en mangeras tu dois mourir ! L’Éternel Dieu dit : il n'est pas bon que l'Homme (Ha-Adam) soit seul, je lui ferai une aide à ses côtés. » (Ibid. 15-18)

Enfin :

« L'Éternel Dieu fit peser une torpeur sur l'Homme (Ha-Adam) qui s'endormit. Il prit un de ses côtés et forma un tissu de chair à la place. L'Éternel D-ieu organisa, en femme, le côté qu'il avait pris à l'Homme (Ha-Adam)et il la présenta à l’Homme. » (Ibid. 21-23)

Dans tous ces versets, il ne s'agit donc pas du masculin seul qui aurait précédé le féminin dans la Création mais d’un être double androgyne, selon le Zohar, avant la séparation des deux côtés. 

Par leur nouvelle union, il y a bien plus que la simple complémentarité, que l'on évoque parfois. Aucune des parties ne peut être elle-même si elle n'est pas associée à sa moitié. La kabbale essaie de nous faire comprendre ce besoin réciproque en expliquant que, dans l'âme de chacun, il y a une petite part de l'âme de quelqu'un d'autre. On parle ainsi d'âmes masculines et d’âmes féminines, chacun ayant une part masculine et féminine en soi. (Cf. Charles Mopsik, Le Sexe des âmes, éd. de L’Éclat 2003.)

La réunion, dans un couple, de deux êtres complémentaires permet à chacun non seulement de trouver ce qui lui manque, mais aussi et surtout de retrouver la dimension de l'Être global qu'il est destiné à re-devenir. 

Dans tout le récit de la Création, D-ieu s'adresse à l'entité double du couple. C'est cet Homme/couple qui reçoit la mission de garder, d'entretenir le jardin d'Éden. C'est l'Homme/couple qui reçoit les consignes concernant la jouissance des arbres du jardin, ce n'est pas que le masculin. Ce n'est pas non plus lui qui est en danger s’il est solitaire, c’est l’être androgyne qui risque de s’enfermer dans son autosuffisance. 

Le Ha-Adam qui est le partenaire de D-ieu dans la Création, ce n'est pas le masculin. D’où l'expression du Talmud : « Un homme sans femme n'est pas un homme » (traité Yébamot p.63a) et, bien sûr, une femme sans homme n'est pas non plus une femme. 

Il ne s'agit ni d’épanouissement de l'être, ni de reproduction de l'espèce, mais bien du partenariat avec le Créateur. Le plus grand érudit, le plus grand religieux n'est que la moitié d'un tout, s'il n'est pas marié avec un être qui lui permette de participer à la construction de l'entité Ha-Adam, qui est le couple. 

Pour cela, il ne suffit pas de passer par la case « dais nuptial » et ensuite se désintéresser de son épouse, cela ne fonctionne pas s'il n'y a pas de vraie rencontre, de vrai partenariat à l'intérieur de l'entité familiale. La connaissance de l'autre n'est pas que physique, elle est aussi psychologique, spirituelle. 

L'homme a été créé dans un monde du 2, symbolisé par la première lettre de la Bible, le « Beth ». Le 1, correspondant au « Aleph », c'est le signe de D-ieu. Seul le Créateur peut être unique en son genre et dans son indivisibilité, tout ce qui est sur terre ne peut être que divisible, que ce soit en organes, en molécules ou en nombres. L'Homme n'y échappe pas, dès le départ, il est androgyne, bien qu’ayant un seul corps, il a deux faces. Une fois séparées, les deux parties de l'être doivent se réunir pour retrouver une dimension proche de la forme de départ. C'est avec « Ha-Adam » que Dieu dialogue, c'est lui qu’il missionne et qu'il bénit, pas le masculin, ni le féminin, seuls. 

Le rôle du mariage est de reformer, de la manière la plus pérenne qui soit, cette unité première. Le vecteur relationnel, c'est le sentiment d'amour, créé par Dieu au moment de la présentation en face à face. Chacun a quelque chose que l’autre n’a pas, dans sa manière d’être au monde, mais aussi dans sa relation à Dieu. C'est pourquoi la rencontre n'est pas juste la juxtaposition de 2 approches, de 2 avantages, elle crée l'émergence d'une autre personnalité qui est celle du couple. Cela provoque un surcroît de spiritualité, une élévation de l'âme qui n'était pas accessible avant. 

L'amour partagé change fondamentalement les choses. Lorsque l'homme et la femme s'aiment, c'est-à-dire qu'ils se préoccupent au moins autant du bien-être de l'autre que du leur, alors la présence à l'autre est permanente. On le sent proche de soi, même lorsqu'il est absent physiquement. Le fait d'être dans un couple, c'est un état permanent, ce n'est pas qu’aux heures de présence conjointe. Lorsque l’individu s'adresse à Dieu dans sa prière solitaire, il s'adresse à Lui, en quelque sorte, en tant que représentant de l'entité couple, pour le couple et grâce au couple. D'ailleurs, c'est dans le couple qu'on expérimente vraiment la relation à l'autre, la prise en compte de ses opinions, de ses besoins, du don gratuit pour l'autre. Or, c'est ce que D-ieu lui-même attend de nous dans la relation que la Tora tâche de nous apprendre.

Lorsque rabbi Akiba explique à ses élèves que toute la Tora qu'il leur enseigne c'est à son épouse Rachel qu’ils la doivent, ce n'est pas parce qu'elle l'a poussé à aller étudier et qu'elle a accepté son absence pour qu'il devienne le maître exceptionnel que l'on connaît, c'est parce que, dès leur rencontre, ils ont grandi ensemble dans la spiritualité. Grâce au couple, chacun a permis à l'autre de développer son potentiel, d’être ce qu'il est. Sa Tora à lui, c'est aussi sa Tora à elle. C'est grâce à la rencontre et à l'Union que tout cela a pu être possible. 

La répartition des tâches et des missions du masculin et du féminin, ce sont des paramètres de société, mais dans la relation à Dieu, l'un comme l'autre ne peuvent être proches de Dieu que grâce au couple. 

On le voit, déconsidérer sa femme, c'est en quelque sorte se priver de ce partenariat à l'intérieur du couple qui, du coup, nous coupe complètement de la relation à Dieu. Mais de la même façon, pour la femme, déconsidérer son mari, c'est se couper aussi du Créateur. L'un ne peut accéder à D-ieu sans l'autre. Sur terre, aucune entité ne peut exister seule. Grâce à la formation du couple, nous retrouvons le modèle premier qui est susceptible de devenir le véritable interlocuteur de Dieu. 

Il nous faut y réfléchir profondément avant de regarder à nouveau notre femme, ou notre mari, car sans elle, ou sans lui, nous ne sommes pas grand-chose, même pas un Homme entier.

 

 

Publié le 14/01/2021


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