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Hanna, l’audace fertile

Ecrit par Stéphanie Klein - Enseignante

L’audace caractérise tous les personnages féminins de la Bible. Hanna est sans doute l’exemple le plus fort.


Audace de Sarah face à Abraham lui demandant le renvoi de sa servante Agar, audace de Rébecca leurrant Isaac en faisant passer Jacob pour Esaü, de Rachel volant les idoles de son père au moment de sa fuite avec Jacob, de Myriam obligeant son père Amram à épouser une seconde fois sa femme Yokheved pour avoir d’autres enfants, audace d’Esther se rendant chez le roi Assuérus au péril de sa vie, audace de Mikhal face au roi David lorsque celui-ci revient en dansant avec l’Arche de l’Alliance, audace des filles de Tsélof’had face à Moïse pour recevoir leur part d’héritage au moment du partage de la terre entre les douze tribus…

Si les femmes semblent en retrait, souvent placées dans des lieux intérieurs comme la tente, il n’en reste pas moins que leur parole est libre et leurs actes courageux. En effet, si l’audace est un rapport de confrontation au monde, d’élaboration d’arguments et d’envie de bouleverser l’ordre des choses, les femmes de la Bible en offrent un parfait exemple.

La figure de Hanna, mère du prophète Samuel, ne fait pas exception. Bien plus, elle est sans doute l’exemple le plus fort et le plus caractéristique de ce qu’est l’audace. En effet, le discours qu’elle adresse à Dieu témoigne du fait que c’est par son audace qu’elle obtiendra ce qu’elle veut : un enfant.

Son histoire est narrée au début du Livre de Samuel. Ce livre relate les suites de la période des juges, période désastreuse pour le peuple d’Israël qui vacille entre idolâtrie et retour à Dieu grâce à l’intervention des juges. C’est à la fin de cette période que le peuple désarmé attendra la royauté pour être sauvé.

Hanna, l’épouse d’Elkana, est stérile. Malgré l’amour que lui porte son époux, elle ne supporte plus son vide intérieur. Son désarroi augmente face aux railleries incessantes de sa rivale Pénina, seconde épouse d’Elkana, qui, elle, est fertile.

Ce que Hanna – que les sages du Talmud comptent parmi les sept grandes prophétesses – mettra en place pour modifier le cours des choses ne sert pas que son propre intérêt : elle voit plus loin et a quelque chose à apporter au monde : un fils. C’est pour cela qu’elle se rend au Tabernacle, pour adresser une prière au Créateur, prière que la tradition juive prend comme modèle pour la amida, prière centrale de la liturgie.

Dans ce face-à-face, elle met Dieu face à lui-même.

« Hachem Tsévaoth ! Si tu daignes considérer l’affliction de ta servante, te souvenir d’elle et ne point l’oublier ; si tu donnes à ta servante un enfant mâle, je le vouerai à Hachem pour toute sa vie. »(Samuel, 1,11).

Son audace se remarque d’abord dans sa manière d’interpeller Dieu, elle le nomme « Hashem Tsévaot », le Dieu des armées. Voici l’explication de Rachi : « Elle s’est exclamée devant lui : Maîtrede l’Univers, Tu as créé deux armées dans Ton monde (les cieux, la terre et toutes leurs armées). Celle d’en haut ne se reproduit ni ne se multiplie et elle est immortelle. Celle d’en bas se reproduit, se multiplie et finit par mourir. Si j’appartiens à celle d’en bas, que je me reproduise et me multiplie, puisque je meurs ! Si je fais partie de celle d’en haut, que je sois immortelle ! » Les sages du Talmud remarquent que personne n’avait jusqu’à présent qualifié Dieu de cette manière en osant questionner son pouvoir créateur.

Hanna commence sa plaidoirie par une formule redondante : Im Rao Tiré, « si Tu vois, vois », pour montrer sa détermination. On pourrait presque traduire : « Fais attention à moi, sinon, Tu vas voir ce que Tu vas voir ! »

Hanna se présente à Dieu à trois reprises en tant que « Ta servante ». Derrière cette formule d’apparence très révérencieuse, le Talmud décèle une attitude bien plus culottée, comme si Hanna disait : « J’ai fait tout ce Tu m’as demandé, j’ai été exemplaire. Quant à Toi, Tu n’as pas rempli Ta part du marché en m’abandonnant à ma stérilité ! »

Enfin, Hanna fait la promesse à Dieu de vouer son fils au service divin. Le texte  dit de Hanna qu’elle a parlé al Hachem, « sur Dieu », (id., 1,10) et non « devant Dieu» ou «vers Dieu». Ce que le Talmud comprend ainsi : « Hanna a osé remettre en question la justice divine afin d’obtenir gain de cause. » Rabbi Haïm de Volozhin (1749-1821) explique qu’elle ne pense pas à elle et à son désir de maternité : l’enfant qu’elle exige servira le peuple et oindra les premiers rois d’Israël. À vrai dire, l’un n’exclut pas l’autre et les désirs personnels de Hanna convergent avec son sens de l’histoire et son souci des autres.

Le Grand-Prêtre Eli qui l’observe entrain de murmurer et de se balancer d’avant en arrière finit par penser qu’elle est ivre. A cette accusation, elle répond : « Non, Seigneur, je ne suis qu’une femme au cœur navré, je n’ai bu ni vin ni liqueur forte, j’ai seulement épanché mon âme devant Hachem. Ne prends pas ta servante pour une femme perverse, car c’est l’excès de mes griefs et de ma colère qui m’a fait parler si longtemps. » (id., 15-16).

A travers la figure féminine de Hanna, nous constatons que l’audace est parole mais parole constructive, parole qui ose, parole qui réfléchit. Au cours de l’histoire juive, les femmes ont osé parler afin de changer une situation personnelle mais aussi collective. Elles n’en ont pas fait qu’une affaire de sentiments ; elles ont prouvé à travers leur audace qu’elles étaient capables d’argumenter avec hardiesse et de transcender leurs préoccupations personnelles.

Ainsi, oser c’est peut-être proposer une vision objective du monde. C’est peut-être aussi être visionnaire : un aplomb qui ne plombe pas mais qui, au contraire, fait s’élever vers ce à quoi tend le monde.


Publié le 19/10/2018


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