Numéro 9 - Retour au sommaire

Mauvaise nouvelles

Après Lumière et L’E.I.F., nous vous faisons découvrir Sois chic !

Début 1941, Léo Cohn, l’un des chefs E.I. les plus influents des années 1930 et des années 1940, arrive au Chantier rural de Lautrec, dans le Tarn, ouvert depuis novembre 1940 sous la direction de Robert Gamzon (Castor). Léo, jeune Juif allemand, réfugié à Paris, a rencontré les E.I. dès 1933 et est devenu un modèle spirituel et religieux, apportant un contenu cultuel et culturel dont les E.I. avaient le plus grand besoin. Lorsqu’il arrive à Lautrec, après avoir été démobilisé de l’armée, l’ambiance n’est pas au beau fixe parmi les quelque cinquante jeunes Juifs réunis là pour devenir les agriculteurs juifs de demain. Les difficultés, notamment alimentaires dues à la période de la guerre, un hiver rigoureux et le manque d’expérience agricole de ces jeunes citadins, se sont conjuguées pour enliser peu à peu les relations entre ces scouts dans une mesquinerie et une mauvaise humeur quotidiennes. L’idée de Léo va être géniale : il crée un journal mural, nommé Sois-chic ! et fait appel aux uns et aux autres pour aussi bien déverser les causes de leur mal-être que pour faire part de leurs témoignages, leurs poèmes ou leurs soucis. C’est un succès qui permet au chantier rural de repartir d’un bon pied. Seul problème : les nombreux visiteurs et invités qui fréquentent Lautrec regrettent de ne pas pouvoir continuer à lire la production des « défricheurs », comme on nomme les membres du Chantier rural. C’est pourquoi, en décembre 1941, paraît une version dactylographiée et reproduite grâce au « papier carbone » qui permet de faire ainsi circuler les articles et les préoccupations de ce groupe de jeunes Juifs réunis en communauté au cœur de la France profonde du gouvernement de Vichy. Vingt-sept numéros seront ainsi « publiés » jusqu’en juin 1944, les huit derniers dans les conditions de la clandestinité.

Le texte que nous vous présentons ici, écrit par Léo Cohn lui-même, date d’août 1942, juste après la rafle du Vél’d’Hiv, et nous paraît particulièrement adapté au thème de ce numéro de L’éclaireur

Léo Cohn sera malheureusement arrêté début juin 1944, déporté à Auschwitz, et mourra d’épuisement fin décembre 1944 dans un sous-camp du camp de Natzweiler-Struthof, près de Stuttgart. 

 

 

 

Texte de Léo Cohn, dans le numéro VII, 2e année, du journal SOIS CHIC !, août 1942. 

 

Mauvaises nouvelles…

 

Les mauvaises nouvelles ne sont pas des visiteurs inattendus chez nous ; elles ne se comportent plus comme des hôtes de passage, des inconnus. Elles nous traitent en vieux amis et reviennent fréquemment, sans même attendre qu’on les invite.

Mais nous le leur rendons bien. Au lieu – comme c’eut été excusable avec pareils trouble-fêtes – de leur fermer la porte au nez, nous les accueillons tout empressés, nous leur réservons le meilleur de notre attention, nous laissons tomber toutes nos affaires pour ne plus nous occuper que de ces visiteurs habituels.

Bien plus, il nous semble insupportable de rester quelques jours sans mauvaises nouvelles. Comme des amoureux chagrinés qui guettent le moindre signe de vie de l’amante absente – lui extirpant billet, message, photo –, nous courons aux journaux, au téléphone et à la radio pour enfin retrouver nos chères mauvaises nouvelles, pour en ramener une bonne troupe jusque dans nos moments et nos pensées les plus intimes, jusque dans nos rêves.

Le comble du bonheur – voyez-vous le bel exemple : comment l’amour rend aveugle… – c’est quand, pris de panique, nous laissons tomber, pour les mauvaises nouvelles, notre travail, notre repas, notre repos.

Je ne dis pas qu’il faille tourner le dos à ces camarades de malheur. Je ne dis pas non plus qu’il faille s’effrayer chaque fois qu’elles font irruption dans notre courrier. Il vaut certainement mieux nous être habitués les uns aux autres. Seulement, ne nous laissons pas troubler, enchaîner, paralyser dans notre action.

Il y a deux sortes de mauvaises nouvelles : celles qui causent du chagrin et celles qui annoncent un danger.

« Chante au danger et souris à la peine » dit une chanson scoute. Cela ne signifie pas : expose-toi au danger et moque-toi du chagrin. Mais : sois sur tes gardes, défends-toi courageusement et avec l’espoir de vaincre, et trouve une consolation aux larmes de tes amis et aux tiennes propres.

Ne voilà-t-il pas nos mauvaises nouvelles vraiment transformées en bonnes amies ?

 

Léo

Publié le 30/11/2020


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