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Garder l'esprit ouvert à l'inconnu

Ecrit par Entretien avec Gilbert MONTAGNÉ

Gilbert Montagné, en cette période de coronavirus, nous avons choisi de parler de l’incertitude du monde et de la façon dont on appréhende l’imprévu. « Toujours prêts ? », cela vous parle ?

 

« Toujours prêts ? » Ah ça, c’est bien une formule de scouts ! Je m’en souviens, parce que, quand j’étais petit, j’ai fait partie des scouts non voyants. J’étais louveteau et c’était très bien ! On nous donnait des challenges à faire. On partait avec un autre qui voyait un petit peu, et on devait se débrouiller, faire des courses, etc. Et puis ensuite on rentrait, on faisait un feu, le dîner… c’était bien, les camps, j’en ai de très bons souvenirs. Surtout des cheftaines d’ailleurs… Rassurez-moi, on dit L’éclaireur, mais il y a aussi des éclaireuses, n’est-ce pas ? 

 

Oui bien sûr, depuis plus de cinquante ans ! 

 

Ah c’est bien ça, car dans la vie comme dans le corps tout va par deux, il ne faut pas l’oublier… Mais pour revenir à l’imprévu, on pourrait croire qu’on n’est pas prêt à le gérer, mais ce qu’il faut, c’est juste garder l’esprit ouvert ! On n’est jamais certain de la minute qui va suivre, et c’est ce qui est beau. On croit qu’on sait, mais on ne sait pas ! On ne connaît que le présent. Donc garder l’esprit ouvert à l’inconnu, c’est bien. En tout cas, c’est ce que je pense et moi je vis ainsi. Quand j’y réfléchis, j’aime beaucoup l’imprévu, en fait ! D’ailleurs j’ai toujours mon passeport sur moi pour partir en voyage quand j’en ai envie.

 

En ce moment, c’est moins facile… 

 

C’est vrai… D’ailleurs je supporte assez mal ces frontières à demi-fermées. Même si c’est moins grave, ça me rappelle les récits de ma maman sur la guerre, je n’aime pas ça. À ce propos, j’ai entendu il n’y a pas si longtemps que les E.I. avaient joué un rôle important pendant la guerre pour sauver des enfants, c’est magnifique, bravo.  

 

Oui, c’est un bel héritage. 

Pendant la crise sanitaire, vous avez écrit une très belle chanson pour les soignants qui s’intitule Si vous nous aidez. Comment est-elle née ?  

 

C’était une expérience extraordinaire, ça me tenait beaucoup à cœur. Et ça a été très rapide. En deux jours, la chanson était prête. Au début, je ne voulais même pas chanter dessus, je voulais que ce soit des anonymes. Tous les soirs, comme beaucoup de Français, je sortais à 20 heures pour applaudir les soignants, et c’est devenu une évidence que ça devait être eux qui la chantent, les soignants eux-mêmes. 

 

Justement, quatre-vingts d’entre eux ont participé en vous envoyant leur voix. Comment les avez-vous contactés ?

 

C’était cela le plus difficile, effectivement. Car personnellement, je ne connais pas beaucoup de soignants, j’ai la chance d’être en bonne santé, et je ne vais pas souvent à l’hôpital ! Mais j’ai appelé le doyen de la faculté de médecine dont j’avais les coordonnées et il m’a aidé à contacter différentes antennes médicales. Je leur ai envoyé le playback orchestre, pour qu’ils chantent dessus. Au début, ils ne comprenaient pas trop comment cela pouvait marcher. Mais ils ont tous été vraiment formidables. Ensuite, on a pris tout ça et mon ingénieur du son a tout monté, c’était un gros boulot ! Ils ne sont pas chanteurs professionnels, alors on a dû corriger quelques notes, mais ils ont tous très bien chanté. On a eu des gens de partout. La Réunion, Paris, le sud, etc. C’était merveilleux. Et le clip a suscité de l’engouement, avec rapidement plus de 100 000 vues sur les réseaux, plateformes, etc. Bien entendu, nous avions décidé depuis le début, Didier Barbelivien et moi, de reverser nos droits d’auteur sur cette chanson à la Fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France.

 

Didier Barbelivien, justement, est votre complice sur ce titre. Pourquoi lui ? Vous saviez à l’avance qu’il serait partant ? 

 

Oui, on se connaît tellement bien que quand je lui envoie une musique, s’il flashe, c’est bon ! C’est très rapide, on travaille au feeling. Et ça rejoint ce qu’on disait au début sur l’imprévu. Didier, je l’ai rencontré avant On va s’aimer, vers 1983-84. J’ai une petite palette d’auteurs comme ça avec qui je travaille. Il y a aussi Claude Lemesle. Je leur confie des mélodies et eux font les textes à partir de mes idées.

Juste avant qu’on se parle, j’étais sur une composition : on ne sait pas ce qu’elle va devenir… On verra. La mélodie de Si vous nous aidez est apparue un jour sous mes doigts, tout entière, d’un coup. C’est beau quand c’est comme ça. Et c’est rare. L’inspiration, on ne sait jamais quand elle arrive. Et c’est aussi ce qui est merveilleux avec l’imprévu.

 

Cette chanson, c’est un titre optimiste. Comme vous, Gilbert ! Vous ne vous laissez jamais abattre et vous aimez donner le sourire aux gens ? 

 

Oui c’est quelque chose qui m’a été donné depuis ma naissance, j’essaie d’apporter du bonheur, des sourires, bref de faire du bien aux gens. Et je n’aime pas la formule « se laisser abattre », il n’y a pas de raison…

 

Disons que le monde de 2020 n’est pas très facile à vivre tout de même…

 

Oui, mais c’est justement quand c’est dramatique qu’il faut être fort ! Autant qu’on peut, il faut résister. 

 

Suivant cette voie, pendant le confinement vous avez beaucoup joué de musique, vous êtes resté très proche du public, vous avez multiplié les live sur Facebook, Instagram, etc. C’était une période créative pour vous ?

 

Oui, c’est vrai. Et puis il ne faut pas exagérer le confinement, ce n’était pas si grave. On était enfermés mais dans de bonnes conditions. Encore une fois, ce n’est pas la même chose que ceux qui ont vécu l’enfermement pendant la guerre. Et puis c’était volontaire aussi, ce confinement, même si on nous l’a vivement conseillé. Moi j’étais très partant. C’était important de le respecter. Comme c’est important aujourd’hui de porter un masque dès qu’on est dans un espace fermé. On dit que les auteurs de science-fiction sont des visionnaires, c’est vrai ! Regardez : entre les gens masqués et le monde robotisé, c’est ce qu’ils avaient prévu qui arrive aujourd’hui ! Hier, j’étais dans un aéroport et comme il y avait très peu de monde dans les halls, les messages résonnaient. Il faut se faire à cette nouvelle réalité, c’est bizarre, mais c’est ainsi ! 

 

Israël fait face à une deuxième vague particulièrement difficile. Autant le pays avait bien géré la première, autant la seconde on ne comprend pas bien ce qui s’est passé. Qu’en pensez-vous ?

 

Je suis cela de très près et j’ai hâte de pouvoir y aller. Certes, il faudra sans doute que je reste confiné quatorze jours parce que j’aurai voyagé, mais ce n’est pas grave, j’ai vraiment envie d’être là-bas. C’est vrai qu’on ne comprend pas bien ce qui s’est passé. On se demande si ce n’est pas tout simplement parce que la discipline des habitants s’est relâchée. Mais dans une telle situation on n’a pas d’excuses. On doit être conscient de ce qu’on fait, pas seulement pour nous-mêmes, mais surtout pour les autres. Ce sont les bases de la bienséance. On n’a pas le choix. Appartenir au peuple auquel nous appartenons nous force à une certaine exemplarité.       

 

Vous êtes depuis toujours un homme engagé, notamment dans les combats pour améliorer la vie des non-voyants. La société a-t-elle progressé de ce point de vue ?

 

Oui, oui, on a progressé ! Mais il reste beaucoup à faire parce qu’on vient de loin. On a devant nous un gros travail à faire dans l’acceptation de l’autre. De sa personne à part entière. On ne doit pas discriminer. Sinon, on ajoute un sur-handicap au handicap déjà existant et ça c’est grave. Il faut arrêter de toujours mettre les gens différents du côté du moins. Au contraire, il faut comprendre qu’ils ont du plus à apporter !

 

 

Publié le 25/11/2020


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