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TETH : la lettre du confinement

Ecrit par Frank Lalou - Calligraphe

Comme nous le savons, l'alphabet hébraïque est une suite symbolique dont on peut dégager un sens, contrairement à l'alphabet latin qui place arbitrairement le G avant le R ou le D après le B. Cela signifie que, pour comprendre le Teth, je dois revenir au 'Heth pour l'intégrer dans une logique métaphorique.

Le 'Heth est la barrière, la cloison. Comme tous les autres signes, il dénote le souci des civilisations pastorales qui ont inventé l'alphabet : survivre dans un milieu hostile. Cette haie permettait de maintenir le petit et le grand bétail en sécurité. ‘Heth est la deuxième épreuve de l’alphabet. Le chemin alphabétique, comme le jeu de l'oie, est une succession de passages obligés barrée par trois épreuves majeures : la porte Daleth, celle du temps, la barrière 'Heth, la répétition névrotique, et enfin le chas de l'aiguille Qof, l'épreuve spirituelle.

Le Daleth est un seuil que l’on passe debout en marchant, le franchissement d’une limite entre deux dimensions. Qof, le chas de l’aiguille, se traverse en rampant. Le ‘Heth ne s’outrepasse qu’en courant et en sautant. Il est un enclos au milieu du chemin. Comme le Daleth, il marque une limite entre deux dimensions. Mais l’effort à faire pour enjamber l’obstacle est plus risqué, plus difficile. Le passage se fait en quatre temps :

  • la présentation devant l’épreuve
  • la conscience qu’on ne pourra l’affronter qu’en prenant du recul

-    le recul

-    le saut dans l’inconnu.

Car, au-delà de cette limite, une terra incognita apparaît. Le saut demande de la témérité, car on ne sait pas si l’on va tomber et s’écrouler. Souffrir encore plus de la tentative d’évasion que du confinement dans l'enclos. Les enfants d’Israël sont extrêmement rares à avoir choisi les hasards du désert plutôt que l’esclavage de l’Égypte avec ses certitudes et ses routines, pourtant si douloureuses.

Heth, c’est accepter de perdre un équilibre pour advenir à soi-même.

La notion de recul avant le saut est essentielle dans la symbolique de la lettre. L’épreuve paraît tellement élevée qu’on n’en mesure aucune de ses proportions. Le recul est une sortie du système. Quand on est immergé dans un problème, on imagine qu’aucune solution n’est envisageable, que tout est fini, que l’on va se faire dévorer par lui. On calcule des sorties de secours uniquement avec les outils issus du problème, toutes les évaluations se font selon sa logique interne.

Le confinement que nous avons subi est ce temps offert pour penser les limites de notre civilisation. Il nous a permis de prendre le recul nécessaire pour démonter les rouages d'un système destructeur qui ne peut plus durer ainsi. Nos activités, le souci de survivre, la rentabilité à tout prix nous voilent le mur, le 'Heth, vers lequel nous glissons irrémédiablement.

La lettre Teth qui suit ne nous laisse pas beaucoup d'espoir, du moins dans un premier temps.

Grâce à cette distanciation obligée d'avec le système d'ultra-consommation, je trouve le courage de sauter la barrière. Je prends le risque de m'écrouler. Je cours, je n'ai plus peur de mourir et, enfin, je bondis vers l'inconnu. Cet inconnu est le Teth. La seule lettre qui soit fermée à gauche, à droite et en bas. J'ai sauté et je me retrouve coincé au fond d'un puits. Je pensais être confiné dans l'enclos du 'Heth et me voilà encore plus confiné. Je conçois trop tard que ce confinement dépasse la notion même d'enfermement physique. La liberté une fois reconquise, je constate que le confinement persiste. 

C'est mon âme, mon désir, ma vision du monde qui sont bornés. Je découvre enfin par cette épreuve, à l'instar de Joseph dans le puits où ses frères l'ont précipité, que je suis enfermé en moi-même ; que les croyances, les idéologies, les doctrines ancrées profondément en nous nous poussent à adhérer aveuglément à la gestion de ce monde, à croire qu'elle est la seule possible. Mes yeux s'ouvrent à ce triste constat. Je suis foutu. Nous sommes foutus. Pas de salut vers l'avenir, c'est la barre gauche de la lettre, pas de références au passé, c'est celle de droite et pas de communication avec la terre et ceux qui l'habitent, c'est le trait qui colle à la ligne d'écriture.

Comment sortir de ce trou du Teth ? 

Une fois de plus le conte alphabétique nous éclaire : uniquement par le haut qui, lui, reste ouvert. Je ne pourrai échapper à cette nasse que par quelque chose qui viendra du haut, du ciel, seul élément que je perçois quand je suis terré dans le creux. 

La lettre qui suit est le Yod ; le Yod, c'est la main, Yad, la générosité, le flux continu de la présence divine, la Shékhina. Mais il ne faut pas croire que cette main de puissance divine nous sortira comme cela de l'impasse. La présence divine n'est pas une énergie extérieure à nous. C'est seulement notre créativité, notre imagination, nos rêves et surtout notre volonté de changer le monde qui nous sortira d'ici. 

La Bible entière est le récit de situations que l'on croyait perdues et qui ont trouvé des solutions inattendues. Ce n'est jamais Dieu, tel un Deus ex machina, qui a téléporté sans effort les Hébreux qui étaient en détresse. Ce sont les enfants d'Israël qui, par l'entremise de Moïse et d’Aaron, hommes éclairés par la parole divine, ont pu accéder à la Terre promise après les épreuves de la grande quarantaine du désert. David avait accédé au trône mais non sans peine et après avoir médité sur les actions qu'il avait pu mener, surtout après l'assassinat du mari de Bethsabée. De même, Jacob put affronter son frère parce qu'il trouva le courage d'aller à sa rencontre. L'ange qu'il affronta en chemin put lui donner la force de cette rencontre.

La solution doit se chercher en dehors de l’impasse abordée. 

Que permet le recul thérapeutique sinon de prendre de la distance, du détachement ? De loin, la barrière semble plus petite, on en discerne mieux l’architecture. Quand on s’en approchera de nouveau pour la sauter, on en comprendra mieux la structure, les défauts, les faiblesses. La phase suivante du saut permettra l’élévation, qui,comme le recul, aide à prendre les distances et à considérer l’épreuve d’un tout autre point de vue, d’une hune située bien au-dessus.

 

Publié le 13/11/2020


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