La sagesse alphabétique place ce mur, cette enceinte, dans le premier tiers de sa suite. En réalité, toute la Bible est une histoire de confinement. Si l’on regarde de près, on peut y distinguer deux qualités de confinement : un premier, volontaire, et un second, inconscient.
La Genèse nous parle du tout premier confinement, celui du Jardin d'Éden. L'humain, l'Adam, est placé, sans n'avoir d'ailleurs rien demandé - un peu comme une peluche que l'on pose dans une maison de poupée -, dans ce paradis avec pour seules tâches de croître, de se multiplier et de nommer les êtres vivants. L'homme et la femme seraient comme les personnages d'une série télévisée dans laquelle ils sont projetés, à la manière du film Truman Show où le héros vit confiné dans une ville de télé-réalité. Ish et Isha ne savent pas qu'ils sont confinés. Ils obéissent parfaitement aux règles d'une nature qu'Élohim leur a imposées. Ce confinement aurait pu durer toujours, à l'instar des bonobos qui ne quittent jamais leur biotope au risque de l'extinction. Heureusement, 'Hava, Éve, la femina sapiens, trouve un moyen de s'évader de ce pays de cocagne, par l'entremise de l'initiateur, le Serpent. Comment sortir d'ici ? En réalisant la terrible dualité à l'origine de notre monde : pas de bien sans mal, pas de nuit sans jour, pas de jubilation sans souffrance. Le prix à payer pour cet éveil est de savoir que l'on va mourir et que pour gagner sa vie il faudra travailler.
וַיְשַׁלְּחֵהוּ יְהוָה אֱלֹהִים מִגַּן־עֵדֶן
Ce confinement prend fin par un renvoi. Élohim ne veut pas que l'humain accède à l'autre connaissance supérieure avant d'avoir vécu au plus profond le confinement de son corps, de ses croyances, de toutes les règles qui lui sont imposées dès qu'il vient au monde.
L'Arbre de vie, qui est cette ultime connaissance, dont l'homme ne pourra se passer, est la découverte que les dualités, nature/culture, homme/nature, inhérentes à la connaissance fournie par le fruit du Bien/Mal, étaient des conventions. Quand l'Homo, l'Adam, réalisera qu'il a franchi les bornes, le 'Heth, de la planète qui lui a été donnée, il aura goûté le fruit de l'Arbre de vie. Quand il comprendra dans son corps et par les épreuves, les maladies, les guerres, qu'il est confiné sur la Terre. Que les ressources de ce paradis sont limitées et qu'il n'y a pas d'échappatoire, pas d'autres planètes à vampiriser.
Le confinement que nous vivons aujourd'hui est le temps de réflexion que toute l'humanité doit s'accorder pour comprendre cela : notre monde est borné, la Terre ne pourra plus fournir de son sein de quoi amuser sans fin ce microbiote qu'est l'humanité.
L’autre confinement, inconscient, est celui des Hébreux dans le pays du confinement, מצריםMitsrayim, l'Égypte. Les Enfants d'Israël sont esclaves, accomplissent les tâches les plus serviles et collaborent à l'édification des temples et des pyramides. Le panthéon égyptien n'est-il pas le signe du plus terrible des confinements, car, comme celui de Sumer, géré par l'implacable prévisibilité du Zodiaque, le polythéisme fige chacun, hommes comme dieux, dans sa fonction. Les Hébreux ne savaient pas qu'ils étaient confinés, ils pliaient l'échine, souffraient, mouraient sous la peine. Un homme qui était de leur sang mais pas de leur culture, car élevé comme un prince, grâce à une émotion qui le fait sortir de ses gonds, ouvre les yeux et ceux de ces esclaves sur le fait qu'ils sont confinés et que l'Innommable YHWH, ce Dieu qui n'est pas confiné dans un terrible Je Suis, mais qui dit de lui-même Je serai, et qui se présente toujours comme une ouverture rayonnante. C'est ce Nom, Je Serai, qui sera le moteur de leur sortie du confinement de Mitsrayim, le pays de la contrition. La libération avant de se faire par le corps passe par la connaissance. Les 210 ans enfermés dans le système pharaonique auront été le temps nécessaire pour penser le confinement, l'enfermement dans un régime soumis aux lois des dieux du déterminisme. Il aura fallu goûter jusqu'à la lie les limites qu'ils imposaient. Le peuple hébreu est prêt à sauter le 'Heth, la clôture. Le maître mot est : Tsé, Sors !
צֵא אַתָּה וְכָל־הָעָם אֲשֶׁר־בְּרַגְלֶיךָ
La Bible hébraïque est une histoire de la libération des confinements, les deux injonctions qui le caractérisent sont Tsé ! et Lekh lékha ! : « Sors ! » et « Va-t-en ! » Le texte évoque aussi des confinements conscients afin de conserver la vie. Le tout premier fut celui de Noa’h (Noé). L'humanité et la Terre entière vont être détruites par les eaux. Élohim demande à Noa’h, l'homme juste, et à sa famille, de construire un vaste refuge flottant afin de préserver l'espèce humaine de ce fléau. Noa’h, par les planches de bois de son arche, établit une barrière, un 'Heth, de séparation, de confinement, pour que la vie puisse vivre. Certaines traditions lui reprocheront d'ailleurs de ne pas avoir négocié la survie des autres humains avec Hachem, comme le fit courageusement Abraham devant les portes de Sodome.
Élohim ne voyait pas d'autre issue pour sauver le monde des turpitudes dans lesquelles les hommes s'étaient empêtrés que de faire un re-set de sa création. Plus tard avec l'Alliance scellée avec Noa’h, on comprend qu'il regrette cette solution radicale : la preuve, les hommes, on le voit aujourd'hui, sont sûrement encore plus mabouls qu'ils ne l'étaient avant le Déluge[1]. En ces temps mythiques, ils ne devaient être que quelques centaines de milliers à s'autodétruire et à pourrir la planète alors qu'aujourd'hui nous sommes 7 milliards à tirer sur son sein sans crainte d'épuiser la mamelle qui nous nourrit. Si j'en crois la Bible, ce confinement, n'aura été utile qu'un moment et se révèle donc être à long terme un échec. Sûrement parce que l'ordre donné à Noa’h n'était pas Tsé ! Sors ! où Lekh ! Va ! mais : « Entre dans ta caisse (téva) ! »
Enfin Abraham, « père des multitudes », connaît deux sorties du confinement.
Il est l'homme qui détruit la religion ancienne de son père, il saute la barrière 'Heth, du déterminisme. Il ose la sortie que lui invite à prendre le Dieu du Demain. Lekh Lekha ! Va vers toi ! Il n'aura pu aller vers lui que par la connaissance profonde du monde des anciens dieux qui confinait l'humanité et l'univers dans des règles immuables. Avant de quitter son pays, le pays de son père et de son enfantement, il détruit à coups de hache ce patrimoine qui l'enfermait. Que vient d'inventer la Bible, si ce n'est l'espoir, la sortie d'un temps cyclique, clôturant tout devenir, vers un temps linéaire où on espère que demain sera meilleur qu'aujourd'hui.
Va vers toi ! Quelle merveilleuse formule pour sortir de nous et aller vers un nous Ouvert, inconnu et à jamais à construire ! Sauter la barrière, le 'Heth ! Où que je sois, en route, en prison, sur mon lit de souffrant ou sur la plus rapide des fusées, l'ordre donné à Abraham donne la force d'affronter notre condition humaine, enfermée pourtant et aspirant toujours à l'inaccessible étoile dont nous parle le poète.
Élohim, en changeant les noms de Saraï et d'Abram en Sarah et Abraham, démontre au genre humain qu'il est toujours possible de changer de vie. Pour le couple fondateur, il s’agit de quitter la stérilité (Saraï ne pouvait pas avoir d’enfant) et d’avoir un fils qui se nommera : « il rira », Yist’haq.
La lettre Hé qui leur est offerte est la lettre du souffle, par les deux souffles accueillis dans leur nom, Sarah et Abraham laissent passer le vent, l'esprit, comme un salutaire courant d'air qui ne connaît pas de confinement. Avant toute chose, savoir que le confinement est le propre de tout ce qui est et, au lieu de s'en lamenter, jouir de nos limites qui seules nous donnent la claire idée d'un mo
[1] Déluge se dit maboul en hébreu, NDLR.
Publié le 25/07/2020