Numéro 8 - Retour au sommaire

Ton cauchemar est mon rêve

Ecrit par Sonia Sarah Lipsyc - Dramaturge et fondatrice de Ora-Connaissance du judaïsme (Montréal)

« Mettre, tu mettras sur toi un roi ». Le rabbin se racla la gorge avant de continuer : « Et le Midrash Sifri 157 de préciser au sujet de ce verset 15 du chapitre 17 du Deutéronome : " Un roi et pas une reine ! " » et il tapa son poing sur la table ! « D’ailleurs, poursuit-il, Maïmonide souligne dans ses Lois sur la royauté 1,4-5 dans le tome Choftim du Michné Torah que cette interdiction concerne également "tout pouvoir de décision, d’autorité et de contrainte", je cite, comme le définit en hébreu le terme de sererout. » Le rabbin articulait bien et il ajouta : « Maïmonide énonce par déduction ou par extension que cette interdiction touche également les femmes qui ne pourront assumer aucune de ces responsabilités pour lesquelles, je cite encore, "on ne nommera que des hommes". Voilà c’est comme ça ! Et c’est bien comme ça ! » Et le rabbin se fendit d’un large sourire à l’intention de ses ouailles qui l’écoutaient avec contentement. Mais… une main se leva. C’était un nouveau venu à la synagogue : « Rav, si vous permettez, j’ai pourtant lu que cette position du Sifri était discutée, voire contestée par Rachi et des décisionnaires, poskim, et qu’elle n’est même pas reprise dans le Choul’han Aroukh, la référence en la matière. » Le rabbin s’agitait. « Est-ce que, par hasard et sans vouloir vous contredire, Rav, des femmes ne pourraient… » mais, à la vue de la face cramoisie du rabbin et des yeux outrés de l’assistance entièrement masculine, le nouveau venu ne finit pas sa phrase.

Arthur Zafrani se réveilla en sueur. « Quel effronté, celui-là, se dit-il ! Contredire le rabbin devant tout le monde ! M’étonne pas, il ressemble à mon cousin Sidney, toujours en train d’ergoter. » Et il poursuivit son monologue intérieur. « Quel cauchemar si une femme devait commander et avoir une fonction d’autorité au Sanhédrin, dans un tribunal rabbinique, une école talmudique ou au Temple, qu’il soit reconstruit de nos jours. Amen », s’empressa-t-il d’ajouter.

Comme pour se venger du danger égalitariste évoqué dans son songe, Arthur Zafrani, après avoir mis ses phylactères, hurla la bénédiction : « Qui ne m’a pas fait femme » ! Il ne manquait plus que ça… Appartenir à la moitié de l’univers qui n’avait le droit selon la stricte observance ni de gouverner, ni de juger, ni d’apparaître sur une tribune, quelle que soit son expertise et dans n’importe quelle spécialité, médicale ou autre… Par pudeur ou modestie. « Non merci » maugréa-t-il. Il avait toutes les raisons d’être soulagé d’être un mâle et de s’en satisfaire.

Arthur Zafrani était un Juif traditionnaliste mais il tenait à cette démarcation bien précise entre femmes et hommes, surtout en matière d’autorité, dans le cadre de la loi juive ou ce qu’il considérait en tant que telle. Chacun à sa place ! Pas question d’avoir une présidente de communauté, par exemple. D’ailleurs, les statuts de leur synagogue l’interdisaient formellement.

Cependant, le soir suivant, un autre rêve le contraria, écornant une fois de plus ses convictions en un judaïsme monolithique qui parlerait d’une seule voix.

Des femmes juges ?!

« Et Déborah, une femme prophétesse […]  jugeait Israël en ces temps-là. Elle siégeait au pied du palmier [...] et c’est à elle que les membres d’Israël s’adressaient pour obtenir justice. » Ce verset lui revint à l’esprit. Il se souvenait même de sa référence dans Juges 4,4-5. C’est vrai que c’était bizarre. « Ouais, mais c’était une prophétesse – Ouais, mais c’était " en ces temps-là " – Ouais, mais elle ne jugeait pas vraiment, elle enseignait juste les lois (quand même ! ndlr soit : note de la rédaction) – Ouais, elle était juge parce que le peuple l’avait acceptée… à cause de la Présence divine à ses côtés. – Ouais, mais n’était-ce pas une brèche tout de même dont les femmes pourraient se prévaloir. – Ouais, ça se corsait… » Il ne savait pas d’où venaient ces voix… Tout se passait comme s’il retrouvait ce savoir antique lorsqu’il était encore dans le ventre de sa mère avant de naître et de tout oublier. Mais son père, qui n’était plus de ce monde, lui apparut et lui dit : « Mon fils, il y a un domaine où on est tranquille, la religion, là les femmes ne pourront jamais nous dégommer, c’est nous qui faisons la loi. »

En ouvrant les yeux, il remercia le Créateur de lui avoir redonné son âme. « Grande est ta confiance. » Oui, il pouvait avoir confiance, en lui et dans les communautés de France et de Navarre et même au-delà. Jamais ils ne laisseraient faire une telle chose. Une femme juge ! Il pouvait compter sur eux. Ils resteraient fidèles. Fidèles à quoi au fond ? ÀDéborah qui était tout de même juge ou aux rabat-joie qui lui concédaient du bout des lèvres son autorité ? Peu importe, se dit intérieurement Arthur. Il n’était pas question de changer quoi que ce soit, ou de revenir en arrière au temps de Déborah. Ils n’étaient pas des libéraux, tout de même. Has veshleom vehass (intraduisible, ndlr) et il cracha dix mille fois par terre ! »

De l’effacement des femmes

C’était veille de chabbat et, après avoir écouté à la radio dans sa voiture son émission préférée, « Le Ravadit », il s’arrêta faire quelques courses pour se préparer à ce jour consacré. Après avoir repéré quelques victuailles, il acheta un livre pour son fils Brad-Guideon–Moche-Hayim-Maurice-Prosper ; tous les prénoms des mâles de la famille paternelle et maternelle réunis en un, et en version bilingue hébreu-français, s’il vous plaît… comme ça, tout le monde avait été d’accord. OK, Brad c’était l’exception, parce que son épouse était une inconditionnelle depuis qu’elle avait vu jouer Pitt lors de sa première apparition cinématographique dans ce film Thelma et Louise qu’elle adorait et que lui boudait sans vraiment trop savoir pourquoi. Mais enfin, le mariage nécessite des compromis. La preuve.

Pour son bout de chou, le plus jeune de ses enfants, il avait choisi un livre sur le chabbat et il le lui offrit en rentrant. La table était mise. Ils avaient deux invités : son autre cousin Mike qui se faisait appeler Moïse depuis que, touché par la grâce, il chantait, en semblant heureux, à tue-tête avec une kippa à petit pompon blanc, « Na Nah Nahman Nahman » (la rédaction décline toute responsabilité sur cette citation qui pourrait être mal interprétée car l’auteure de ces lignes est une admiratrice de la pensée de Rabbi Nahman de Braslav). Et sa sœur Géraldine, sans commentaire. Ces deux-là ne s’entendaient pas mais Arthur comptait sur la paix du chabbat pour désamorcer leur inimitié. 

Et là, juste avant de faire le kiddouch, Brad-Guideon-Moche-Hayim-Maurice-Prosper demanda : « Papa, où est sa maman ? Sont-ils orphelins ? » Et il pointa du doigt une illustration de son livre. Ils se penchèrent tous et toutes, Arthur et son cousin Moïse, d’un côté, et sa femme Jennifer, sa sœur et sa fille Hanna, de l’autre côté. Et en effet, sur l’image, il y avait un père et ses deux fils en train de faire le kiddouch en face de trois autres couverts devant des chaises vides. La maman et ses deux autres filles, vraisemblablement, mais elles ne figuraient pas sur l’illustration. Arthur ne sut quoi répondre. « Ce n’était sans doute pas tsanoua, pudique », dit son cousin pensant venir à sa rescousse. « Ainsi en ont décidé nos sages et il n’est pas il est impensable de remettre en question leur décision, n’est-ce pas Arthur, je veux dire Avraham ? » Il adorait l’appeler par son prénom hébraïque car il sentait que son cousin flanchait. Rien de tel alors que de le rappeler à l’ordre avec son prénom acquis dès la circoncision. Le doute s’immisçait effectivement en Arthur-Avraham mais pouvait-il remettre en question la décision des sages ? Ou du moins leur silence s’ils laissaient faire ainsi les choses ? Il dodelina de la tête. « Ah oui ?! » s’exclama Géraldine, sa sœur. « Et il n’y a pas d’autres avis ? Je croyais que la force du judaïsme était dans sa diversité. Et que deux Juifs trois opinions ! Le Talmud n’a pas prévu des cas où les rabbins, les sages, les docteurs de la loi, les grands d’une génération et toute la smala des barbus (oh choking ! ndlr) pouvaient se tromper ? (Elle avait raison, le Talmud consacrait tout un traité Horayot à ce sujet, mais qui suis-je pour intervenir dans ce récit ? ndlr). Pas possible ? En plus d’être intégristes, vous êtes ignorants ? À moins que ce ne soit un pléonasme ! » Elle hurlait. « Pourquoi on n’entend jamais les modérés chez nous aussi ?!!!! » Elle hurlait encore plus. « C’est la course à quoi là, au plus absolutiste… et bien sûr ce sont les femmes qui trinquent ! Il est où, le judaïsme sépharade traditionnaliste de nos ancêtres ? Il est où ?! », dit-elle à bout de souffle. Son épouse Jennifer ne dit rien mais n’en pensait pas moins. Elle fulminait. Arthur pouvait même lire la bulle au-dessus de sa tête, cependant la décence l’obligeait à détourner son regard de tous les mots qu’il déchiffrait. Manifestement, il y avait une solidarité féminine. 

Le soir, il dormit plus tranquillement. Enfin c’est ce qu’il crut. Et ? Arrivé à la phase du sommeil paradoxal… sa mère lui rendit visite. D’abord il ne saisit pas ce qu’elle faisait là car elle était toujours vivante. Elle aurait pu tout simplement l’appeler, ce qu’elle ne manquait pas déjà de faire plusieurs fois par jour, au lieu de squatter aussi ses nuits et lui foutre la frousse. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé, se dit Arthur. « Mon fils, répondit-elle, tout va bien mais je me pose une sérieuse question. Que serais-tu devenu et que serait-il advenu si toute une génération de femmes ne t’avait porté jusqu’ici dans le 19e arrondissement ? » Et elle égrena tous les noms des femmes de Marrakech, Mogador et Safi qui l’avaient précédée dans la lignée maternelle : « Freyha, Fortunée, Fanny, Fatima – non ça c’est une intruse, rectifia Arthur, elle se reprit – Fiby, et il pensa : By-Bijou, Joue-Jouet, Et-Etang »… Ah les rêves avaient leur propre logique… Elle remonta ainsi jusqu’à la huitième génération avant lui. Et le pire c’est qu’il les vit toutes défiler avec un doigt accusateur et son air de ressemblance avec son arrière-arrière-grand-mère le frappa, ce qui était légèrement flippant mais là n’était pas la question !

Il se réveilla en sursaut. Heureusement que ce soir c’était Chavouot, la fête du don de la Tora, tout allait s’arranger. Il en était certain.

Justement, le cours de son rabbin portait sur la mitsva de l’étude du commandement, ce qui s’imposait en ce jour du don de la Tora.

Les femmes dispensées et exclues de l’étude la Tora

Le rabbin s’éclaircit la voix et il reprit. « Vous les enseignerez (les paroles de Tora) à vos enfants : c'est-à-dire à vos fils et non à vos filles » (Deutéronome 11,19 ndlr). Et comme la femme n’a pas l’obligation d’être enseignée, si je puis user de ce néologisme, ‘hlass d’être initiée, elle n’a pas non plus l’obligation d’apprendre par elle-même et donc d’enseigner. Le tour est joué. Voilà, c’est le raisonnement du Talmud. La femme n’a pas le commandement de l’étude de la Tora. Elle en est donc dispensée et nous aussi à son égard. Et qu’on ne vienne pas me dire que ben fils peut s’entendre comme « enfant », comme c’est le cas dans d’autres passages du Traité Kiddouchin que je viens de mentionner. D’ailleurs, le Talmud nous l’a bien enseigné par la bouche de Rabbi Eliezer: « Quiconque qui enseigne la Tora à sa fille lui enseigne tiflout, des fadaises ». Bien sur, qu’elle pourra étudier toute seule mais… en sera-t-elle capable dans une tradition qui est de l’ordre de la transmission ? » Et il émit un rire sardonique avant de poursuivre :« Maïmonide dit même que « la majorité des femmes n’a pas la tête à l’étude » (toutes les références qu’Arthur ne connait pas se trouvent à la fin de ce texte dans Casting des sources par thématiques, ndlr). Qu’on les laisse donc à leurs fourneaux mieux à leur fuseau, là où se trouve leur sagesse (toujours selon R. Eliezer… ndlr). C’est nous, les hommes, qui devons assumer le commandement de l’étude » et il bomba son torse, il  frappa des deux mains sur sa poitrine, hulula et sortit de la synagogue grâce à une liane subitement apparue, en cassant d’ailleurs les vitres du sanctuaire. Le pauvre ! Mais il y eut plus de peur que de mal. « Je rêve ou quoi ? » se dit Arthur. Pour le savoir, il donna un coup de coude à son voisin qui le lui rendit bien. Pas de doute, il était éveillé et revigoré de se sentir le dépositaire de ce commandement, il rentra chez lui au petit matin de cette nuit d’étude à laquelle, d’ailleurs, avaient comme l’exception qui confirme la règle, assisté quelques femmes tout au fond de la synagogue en usant d’une longue vue ou d’un cornet afin de voir et d’écouter ces précieuses paroles. 

Il était bien le seul maître à bord avec tous ses congénères. A lui, le savoir, donc… le pouvoir. De décider, d’exclure et de réprimer.

Et de nouveau le soir, il fit un rêve ou plutôt un cauchemar. 

Les femmes qui étudient : qui décide ?!

« La majorité des femmes n’est pas apte à l’étude, dit Maïmonide. Soit, mais ce propos laisserait aussi entendre que ce ne serait pas le cas pour une minorité. Donc Maïmonide ne ferme pas complètement la porte. De sorte que si la minorité devient la majorité, son raisonnement ne tient plus. » Arthur rêvait mais il avait comme l’impression de surprendre une conversation d’hommes et de femmes qui discutaient de ce point de loi. Et il ne se trompait pas, il avait débarqué dans un forum planétaire inter onirique dans lequel des rêveurs mettaient en commun leurs rêves et réalités. « D’ailleurs le ‘Hafetz ‘Hayim n’a-t-il pas sorti un psak din, une décision rabbinique au début du XXesiècle ? » dit l’un. « Tout juste » dit l’autre et il cita : « De nos jours (…) la femme apprend à lire et à écrire le langage séculier. C’est un grand commandement d’enseigner aux femmes la Tora (…) si nous n’agissons pas de la sorte, qu’à Dieu ne plaise, elles risquent de quitter le judaïsme (….) ». – « Oui mais jusqu’où lui enseigner » dit un autre ?  - « La Tora avec Rachi passe encore, la Michna du Talmud avec les Maximes des Pères. OK. » Et soudain, il entendit : « Mais le Talmud en entier jamais ! » C’était encore son rabbin qui vitupérait, décidément il ne le lâchait pas d’un pouce. Mais n’était-il pas plutôt une condensation de toutes ces figures d’autorité qu’il croisait dans sa vie ? « D’ailleurs, chez nous, ajouta le rabbin avec fierté, on apprend aux jeunes filles pour leur bat mitsva à faire des ‘halot ; qui s’en plaindrait ? (pas moi ndlr, c’est vrai c’est bon les pains tressés pour le chabbat) et on enseigne aux femmes juste ce qu’il faut pour savoir bien tenir une maison casher ». Exactement approuva Arthur. « Cependant, les femmes ne cessèrent de réclamer leur droit, rappela l’une d’entres elles, et elles toquèrent à la porte des sages ». – « Oui, répliqua une autre, et il y eut Rav Soloveitchik qui donna le premier cours de Talmud à l’Ecole Maïmonide de Boston et alors les Instituts d’études juives supérieures se multiplièrent pour les femmes dans le milieu orthodoxe aux Etats-Unis et en Israël ». Arthur se gratta les cheveux, dans son rêve, en tout cas. Il ne savait pas tout ça ou alors s’il en avait entendu parler, il l’avait ignoré ou s’en était moqué. L’indifférence et le mépris, ça marche souvent pour désamorcer des initiatives qui risquent de prendre de l’ampleur. Sauf que là avec internet, c’est un peu compliqué car tout se sait se dit-il.  Et il vit défiler toutes les femmes ordonnées de ces dernières années… Les MaHaRaT, les Rabba quels que furent leurs noms, elles avaient reçu leur semikha, leur ordination en bon et du forme. Vraiment ? De la part de rabbins orthodoxes ? Vraiment ?!! Des femmes rabbins ! Vraiment ?!!!! Il avait beau multiplié les points d’exclamation, c’était un fait. Mais le coup d’estocade ce fut lorsqu’il vit des femmes se réunissant par centaine à Jérusalem pour faire le siyoum, la cérémonie de clôture de l’étude quotidienne du Talmud, Daf Hayomi et recommencer un cycle de sept ans. C’en était trop pour lui !

  • - « Mieux vaut brûler la Tora que l’enseigner à une femme », il citait une parole de Rabbi Eliezer reprise par son rabbin, son cousin Mike et son père qui à coup sûr l’aurait répété s’il l’avait sue !
  • -Arrête de dire des horreurs, lui dit sa femme en le secouant et il vaut mieux que tu te rendormes sans me réveiller sinon : 1. Tu seras considéré comme un voleur puisque tu m’auras subtilisé des heures de sommeil. 2. Ben Azai contre Rabbi Eliezer a émis un autre avis en proclamant, je cite : « Un homme est obligé – ‘hayav, tu entends bien – d’enseigner la Tora à sa fille (Sotah 3,4 - heureusement que j’ai eu la chance de l’étudier aussi sinon je n’aurai pas pu vous refiler si vite la référence, ndlr) 3. Et ce n’est pas parce que les femmes ont été dispensées un temps du commandement de l’étude de la Tora qu’elles doivent en être exclues ad vitam. Pour ta gouverne, sache que moi aussi je fais mes classes par internet en me branchant sur des sites de rabbins o r t h o d o x e s (elle détachait bien les lettres) et ouverts. Orthodoxe et féministe, ah tu crois que c’est un oxymore. Peut-être pas. 4. Asnat Barazani qui dirigea une yeshiva, une école talmudique, au XVIIesiècle au Kurdistan est une exception qui deviendra la règle. Fais-nous confiance. 5. « Justice, justice tu poursuivras » et là il me semble que tu es un peu à contre courant de cette injonction de la Tora. ». Son épouse Jennifer avait beau déployer tous les arguments de la loi juive, il ne les entendait plus sauf le dernier qui le terrifia : « Et si tu persistes à faire la sourde oreille et à t’enfoncer dans ton machisme, je vais faire chambre à part et je n’irai plus au mikvé, au bain rituel ! »

Arthur ne dit plus rien, se tourna sur le côté et maugréa dans son coin... la remarque de sa femme confirmait ses soupçons dès qu’une femme en sait un bout ça vous retombe sur la tronche ! Mais enfin, ne plus aller au bain rituel… c’était plus qu’ennuyeux pour leur intimité.

 

 

Que faire ?

Le surlendemain, un peu comme un somnambule, il s’en ouvrit à l’une de ses autres cousines, Luna avec qui il avait gardé de bons souvenirs depuis leurs moments de complicité dans les bacs à sable. « N’est-il pas temps de faire la paix avec toi-même, je veux dire avec ta part féminine ? » lui recommanda-t-elle en mettant un pouf sous ses fesses. « Ton yang ou ton yin, ah zut, je me trompe toujours ». Et elle quitta sa position de lotus pour vérifier dans un dictionnaire. Elle avait beau s’essayer au yoga, au chi kong, au za-zen, au kung fu (rien à voir, ndlr), elle confondait toujours les deux, yin et yang. « Comment la blâmer  se dit Arthur alors que moi-même je ne sais toujours pas la différence entre collusion et collision, qu’est-ce qui de l’ordre de l’accident ou du complot ?  Manaf » (je n’en sais rien en judéo-arabe, ndlr, et vous, vous le savez ?).

Il n’était pas plus avancé mais croisa dans les escaliers de son immeuble, un Juif avec une barbe blanche et une kippa. « Vous avez l’air abattu, cher voisin. » Il le regarda étonné.  « Je suis M. Sultan qui habite juste en dessous de chez vous. Vous ne me reconnaissez pas ? » Il ne l’avait jamais remarqué mais comme il ne voulut pas le vexer, il le salua comme s’il l’avait reconnu. « Venez boire un verre de mahia chez moi » lui proposa M. Sultan. Il accepta. Il était trop abattu. Ses convictions s’effondraient. M. Sultan lui versa le premier verre et lui demanda : « Alors qu’est ce que vous avez sur le cœur ? » Arthur soupira : «  Je rêve ou plutôt je ne cesse de faire des cauchemars ». Et il lui raconta toutes ces dernières nuits tourmentées. Des femmes présidentes de communauté, des femmes juges, des femmes rabbins, des femmes étudiant et enseignant la Tora et même le Talmud. Et le tout avec l’aval de certains rabbins qu’elles n’avaient eu de cesse de solliciter et l’acceptation de leur communauté, maris, frères, fils, belles sœurs, etc. en tout cas d’une partie d’entre eux (il y a toujours des réclacitrant.es, ndlr). Car sinon comment comprendre qu’elles avaient pu braver l’autorité ambiante et obtenir gain de cause ? Et il finit sur la menace de sa femme… qui l’avait traumatisé car il était inutile de le préciser à M. Sultan, que pas de mikvé après les règles voulait dire plus de relations sexuelles avec son épouse. « Je comprends » dit le vieil homme et il lui versa un deuxième verre de mahia. « Ca ébranle… Mais vous savez, on se rapproche des temps messianiques ». Mashiah-mahia, Arthur remarqua la concomitance des sons en hébreu entre messie et eau de vie mais il ne s’attarda pas à cette ressemblance qu’il attribua aux volutes de l’alcool. Et M. Sultan de préciser : « Et il faut s’attendre à ce genre de bouleversements mais pour le bien mon ami. Pour le bien ». Et hop, il lui remplit son verre. « Alors mon ami, pourquoi ne fais-tu pas la paix avec toi-même (again ndlr). N’est-ce pas un fardeau de porter tout seul tous ces commandements ou privilèges comme ces joies de l’étude et de s’user à les interdire aux femmes ? Surtout si elles le désirent. De quoi sera tu privé si les femmes étudiaient, jugeaient, gouvernaient, menaient la prière ?  A tour de rôle, toi et elle ? De rien. Tu poursuivras ta route et vous aurez au contraire des sujets d’échanges et tout le monde bénéficiera de leur sagesse et gouvernance. Ainsi vont les voies de la paix, darké shalom, rajouta-t-il en hébreu. Et surtout, tu participeras au tikoun à la réparation de ce monde (je trouvais que ce terme de tikoun était un peu galvaudé mais qu’y puis-je ? je me contente de vous le rapporter tel qu’il a été mentionné, ndlr). Et il conclut : le mouvement est en marche…» Et il lui reversa un troisième ou quatrième verre (je sais plus j’ai perdu le fil, ndlr).

Arthur rentra chez lui ivre mais soulagé et surtout il dormit très bien cette nuit là. Le lendemain sa décision était prise. En vrac (je manque de place, ndlr) - il dessina lui-même les femmes et petites filles manquantes du livre de son fils, il avait toujours été doué pour le dessin. Il enseigna la michna Sanhedrin du Talmud à sa fille ainée qui, toute étonnée, fut heureuse de partager ces moments avec son père d’autant plus qu’elle avait le sentiment qu’il découvrait le texte en même temps qu’elle… Il admonesta son autre cousin Alfred qui ne voulait pas donner le guet, le divorce religieux à sa femme. « T’inquiète elle va casquer, la loi est de notre côté, de plus les rabbins se sentant impuissants leur conseillent d’allonger l’oseille ». Il lui dit (en vrac, là aussi ndlr) : c’est une mitsva de donner le guet à son épouse et tu n’as pas le droit de détourner ce commandement pour l’opprimer ! C’est de l’abus et si des rabbins s’en rendent complices par manque de courage ou de casuistique pour trouver une solution, ça ne t’exempte pas de ta faute. C’est simple, si tu ne lui donnes pas le guet, je t’adresse plus la parole et je te casse la gueule. Ou plutôt l’inverse ». Et il lui raccrocha au nez. Il se sentait à l’aise car d’une part il était tout à fait permis selon la Tora de faire un reprochejustifié à son prochain (quelle est la référence déjà ndlr ?) et d’autre part, c’est ce qu’il avait envie de faire.

Arthur se mit aussi au Daf Hayomi, au début en cachette car il écoutait l’enseignement d’une femme et puis il osa proposer à sa femme de se joindre à lui. Et leurs conversations furent passionnantes.

Comment s’était il privé si longtemps de cette parole-là ? Une véritable teshouva ! (J’articule bien : 

t e shou va, ndlr).

Et il fit une découverte extraordinaire : le ciel ne lui tomba pas sur la tête.

Toutefois il était taraudé par une question : est-ce que les rêves font autorité ? Il s’empressa de regarder dans le traité des Bénédictions du Talmud de Babylone : « un rêve va selon la bouche ». Autrement dit-il faut toujours raconter ses rêves à quelqu’un de bienveillant. Il voulut alors immédiatement remercier son voisin mais il trouva porte close et il n’y avait plus de mezouza à l’entrée. « C’est à louer » lui dit une voisine en rentrant chez elle. Purée (résidu de l’ascendance sépharade du héros de cette histoire, ndlr) regretta-t-il, c’était peut-être le prophète Elie et je l’ai laissé filer ». Quelque chose cependant attira son attention, il trouva un petit mot qui dépassait du paillasson. Il le prit et le lut  « ‘Halom tov ‘halom shalom ! Bon rêve, rêve de paix », il savait que c’était la formule qu’on devait dire pour que le meilleur des rêves qu’une personne vous raconte, fussent-ils apparemment des cauchemars, se réalise. Enfin.

 

Casting des sources par ordre thématique 

Pour les prières qui sont citées, je renvoie au sidour de Joseph Bloch pour lequel j’ai une prédilection au regard de mes origines alsaciennes (d’adoption). 

Les versets bibliques non référencés dans le texte sont Deutéronome 16,20 pour la recherche de la Justice et Lévitique 19,17 pour la justification d’un reproche à autrui.

Les passages ou raisonnement du Talmud sont extraits pour Déborah principalement des traités Nida, p. 50a, Baba Kama p.15a et Guittin p.88b (avec Rachi et Tossfot) du Talmud de Babylone (T.B).

En ce qui concerne l’étude des femmes, pour le raisonnement voir traité Kiddouchin p.29b ; les propos désobligeants de Rabbi Eliezer les renvoyant à leur fuseau en guise de sagesse et au fait de brûler la Tora etc. se trouvent respectivement dans Yoma p.66b du T.B et dans le Midrach Bamidbar Rabba 9, 48. Maïmonide s’exprime sur cette thématique dans Lois su l’étude de la Tora 1, 13 du Livre de la Connaissance. Pour ce qui a trait au psak dindu Hafetz Haim ou de la position du Rav Soloveitchik, je me permets (modestement) de renvoyer à mon texte « L’accès des femmes au Talmud : le point de vue traditionnel en question » dans Femmes et Judaïsme aujourd’hui, éd. In Press p 23-68. MaHaRaT signifie : « guide en matière de loi juive, de spiritualité et de Tora ». 

Dans Berakhot p.55b du T.B , c’est la citation sur les rêves.

Enfin, sur l’effacement des femmes dans certains milieux, nous renvoyons à l’excellent article de Emmanuel Bloch, « Un monde sans femmes ? », 2018 sur le blog modernorthodox.fr

Publié le 05/06/2020


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