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L'édito de Jérémie Haddad

Ecrit par Jérémie Haddad - Président des EEIF

Nous avions choisi il y a plusieurs mois d’évoquer l’autorité dans ce nouveau numéro de L’éclaireur, sans nous douter qu’une pandémie mondiale mettrait en lumière le rôle indispensable des autorités face à la crise, mais aussi les questionnements concernant les abus éventuels, la légitimité de ceux qui incarnent cette autorité, etc.

Le lion – celui de la fière royauté de Juda ou de la violence contenue dans le Livre de Daniel – symbolise le rapport de la tradition juive à l’égard de l’autorité, exercée ou subie : un rapport toujours critique. 

L’autorité n’est acceptée que si elle est juste et qu’elle sait se remettre en question (p.10, p.44). Celle de Dieu – la seule fondamentalement légitime (p.17) – ne repose pas sur la crainte mais sur la responsabilisation et le partenariat (p.22) car l’autorité ne dédouane jamais de leur responsabilité ceux sur qui elle s’exerce (p.28). La fameuse expérience de Milgram a d’ailleurs bien souligné notre propension à obéir, parfois aveuglément, à l’autorité (p.60).  

Le judaïsme serait-il un filtre particulièrement efficace contre les dérives de l’autorité ? Car s’il reconnaît que l’obéissance est parfois un précieux moyen de lutte pour la justice et contre les abus d’autorité (p.64), il a souvent été à contre-courant en résistant à l’effondrement des valeurs (p.34) et en restant critique et vigilant face à toute autorité (p.40, p.68, p.71).

Sur un plan historique, les Juifs ont souvent joué le rôle d’électrons libres (rôle qu’ils ont souvent payé cher), devenant la cible des États totalitaires avides de conformisme et d’obéissance aveugle. Dans l’histoire des sciences et des idées, les Juifs ont incarné l’iconoclasme et la remise en cause. À l’époque moderne, des Lumières à la Seconde Guerre mondiale, les intellectuels juifs, riches de leur patrimoine culturel mais surtout du fait de leur statut de parias, furent du côté de la dissidence et du progressisme, bref, de la modernité. Comment ne pas remarquer également la place disproportionnée prise par les Juifs dans certaines révolutions, comme la découverte de la physique quantique ou, sur un tout autre plan, lors de la révolution prolétarienne de 1917 en Russie ou dans la révolte des étudiants français en Mai 68 ?

Mais que reste-t-il de cet héritage ? Dans La Fin de la modernité juive, Enzo Traverso considère que « les subversifs se sont assagis » et que les Juifs sont désormais devenus conservateurs. Il explique que ce qui les distinguait (mobilité, urbanité, textualité) se généralisa en normalisant ceux qui avaient incarné ces traits. Que penser de ce « tournant » ? Puisqu’il est corrélé à une certaine normalisation du statut des Juifs, notamment de par leur émancipation et la création de l’État d’Israël, faut-il vraiment le regretter ou se féliciter du fait que le judaïsme ait appris, au fil des siècles, à inviter chacun à envisager au cas par cas son rapport à l’autorité en son âme et conscience (p.48, p.52), et donc à surmonter les périodes de crise les plus aigües ?

 

Bonne lecture !

Publié le 01/06/2020


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