Numéro 7 - Retour au sommaire

Edito

Ecrit par Jérémie Haddad - Président des EEIF

Churchill raconte avoir « créé la Jordanie d’un trait de plume un dimanche après-midi », dessinant ses frontières après un repas copieux. Le grand zigzag de la frontière est avec l’Arabie saoudite a été appelé « le hoquet de Winston ». Les frontières qui séparent les peuples ne sont-elles que des caprices, fruits de l’orgueil humain ?

La tradition juive considère au contraire qu’il est important que les frontières existent pour que chacun préserve sa singularité, que chaque groupe conserve sa culture, son identité, sa langue. Songeons par exemple aux tribus d’Israël, qui avaient chacune son territoire tout en formant un peuple uni, riche de sa pluralité. Il y avait d’ailleurs treize tribus et 13 est la valeur numérique de אֶחַד(é’had), « un ». Je pense aussi au premier chapitre du traité talmudique consacré au chabbat qui aborde spécifiquement les modalités d’échange entre domaines spatiaux distincts (domaine public, domaine privé).

Il y a des limites et elles sont nécessaires. Paradoxalement, c’est en restant soi-même qu’on vit en paix avec les autres (p.10 et p.76), mais à condition que les frontières ne soient pas des murs, qu’elles permettent les échanges. Il y a donc une frontière aux frontières (p.17). Le peuple hébreu vient d’ailleurs du désert, espace sans frontières (p.22). Des pratiques religieuses comme la souka, la mézouzaou le érouv(p.26 et p.29) envisagent un espace délimité qui permet toutefois l’échange, le passage, le changement. Idemdans les rites bibliques de pureté et d’impureté (p.35) qui ne signifient pas que tout mélange est négatif.

Nous ne nous soustrairons pas à la question des frontières lorsqu’elle s’applique à Israël : en dehors des conséquences liées au douloureux conflit israélo-palestinien (p.68), elle revêt des aspects géopolitiques qui impliquent dans ce cas précis des éléments émotionnels, identitaires, culturels, juridiques et sécuritaires (p.57). En effet, Israël entretient un rapport singulier avec les notions de frontière et de migration, que nous analyserons (p.61). 

Enfin, alors que la majorité des Juifs français vient d’Europe de l’Est ou du Maghreb, nous ne pouvons pas oublier que les Juifs furent des exilés et durent s’intégrer (p.38) au sein de pays où ils demeuraient des minorités. Avoir été des « Juifs errants » des siècles durant, étrangers en Égypte, exilés à Babylone (p.41), les rend (ou devrait les rendre) aujourd’hui particulièrement sensibles à la question des migrants (p.45, p.49, p.53 et p.71).Il y a donc aussi des limites à l’absence de voix juives face à la tragique situation des migrants, dont le sort ne saurait laisser les Juifs indifférents. Ce numéro de L’éclaireurest un pas en ce sens, un appel à une mobilisation communautaire. Il s’accompagnera d’une campagne de sensibilisation et d’action des cadres des E.I. et, nous l’espérons, de l’ensemble de la communauté.

 

Bonne lecture !

Publié le 03/03/2020


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