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Anatomie de la Paix

Ecrit par Léon Askénazi

Derrière tous les conflits passés et actuels, Emery Reves dépiste à juste titre un conflit permanent qui se développe en plusieurs formes : c’est le conflit des souverainetés. Et parce qu’aujourd’hui la plus haute souveraineté c’est l’État, c’est dans la notion d’État-souverain qu’il voit l’obstacle fondamental à l’avènement de la paix.

Toutes les nations se dirigent, dit-il, vers la forme de l’État-souverain et le monde court à un dilemme : universalisme fondé sur une légalité universelle ou conquête de tous les États-nations par l’État le plus fort, éventualité que l’état de la civilisation blanche du XXe siècle rend pour la première fois réalisable […]. Cet universalisme ne peut qu’évoquer en nous, Juifs, des échos familiers. C’est pour cet universalisme qu’ils attestent partout dans le monde depuis l’exil, depuis que chaque Juif est cet homme universel qui réclame trois fois par jour « la souveraineté pour Dieu seul ».

C’est pourquoi nous ne pouvons pas suivre [l’auteur] lorsqu’il accuse globalement et sommairement Israël d’avoir abandonné sa mission universaliste.  

C’est tout simplement faux. Pas plus que, en l’an I de l’ère actuelle, Israël à la veille de cette nouvelle ère humaine n’est disposé à se démettre de sa mission qui est – nous, Juifs, ne l’avons jamais oublié – notre héritage national. Ce n’est pas depuis la naissance du sionisme actuel que nous nous sentons une nation juive, mais depuis la sortie d’Égypte. Et qui peut nous reprocher d’adorer l’idole de la nation, alors que nous sommes les seuls sur terre à nous proclamer descendants d’une nation d’esclaves ?

Si aujourd’hui des Juifs veulent avoir leur État, s’ils veulent s’en retourner de l’exil, où leur mission les a conduits, ce n’est pas seulement parce que leur propre vie est en jeu, c’est aussi parce qu’ils sont persuadés que l’existence d’Israël entier est en jeu. Ce n’est pas la peur des massacres qui a développé le sionisme de Herzl dans ce qu’il peut avoir d’authentiquement juif, c’est la crainte de la disparition, exactement comme en Égypte où Moïse est né au moment où Pharaon avait décidé de tuer tous les enfants juifs. Et si, pour nous aussi, se pose un dilemme, l’assimilation ou la mort, nous préférons mourir de notre propre mort, ou nous assimiler à nous-mêmes, et c’est cela le nationalisme juif. Sionistes ou non, nous ne voulons pas disparaître, car avec nous disparaîtrait la Loi de Dieu, cette Loi universelle du Dieu unique qu’Emery Reves ne veut pas croire encore empreinte au cœur de millions de Juifs conscients de leur mission immémoriale. Pour nous, cette Loi est plus que l’instrument du salut du monde comme tant de générations de non-Juifs l’ont proclamé sans la mettre en pratique : elle est tout simplement la règle de vie que doit suivre l’homme vrai, créé pour cela.

Il ne suffit pas de reculer la souveraineté le plus loin dans l’échelle humaine en la remettant à un gouvernement mondial pour écarter à jamais les risques de conflit. Toute souveraineté en dehors de Dieu est un « obstacle » à la Paix, un Satan au sens étymologique hébreu de ce mot. C’est contre Pharaon, l’homme-Dieu, qu’Israël a attesté le monothéisme, dans sa naissance nationale. Israël n’a pas rejeté cette mission et c’est contre le mythe de l’humanité-Dieu qu’il doit aujourd’hui réaliser sa renaissance nationale. 

Nombreux sont les Juifs, et j’en suis, pour qui l’État juif ne représente pas l’aboutissement authentique du judaïsme. Mais tous les Juifs conscients savent que l’universalisme ne pourra se réaliser que dans la mesure où toutes les familles de la terre pourront épanouir leur témoignage national afin de multiplier, de la manière qui leur est propre, la présence de Dieu sur terre et de permettre, au jour que nous, Juifs, nommons « le jour du Seigneur », l’unification du nom de Dieu dans la perfection et la paix (en hébreu, ces deux mots ont la même racine).

Nous ne pouvons pas oublier que la Loi universelle de Dieu ne nous a été donnée qu’après notre libération d’Égypte ; l ’idéal du judaïsme est la théo-détermination des peuples et ce règne de la théonomie ne pourra se réaliser qu’en fonction de l’autonomie des nations ; Israël ne réclame pas cette autonomie pour lui seul mais pour toutes les nations du monde habité. L’universalisme ne pourra être réel que s’il s’appuie sur un nationalisme « convergent ». C’est pour cet idéal difficile qu’Israël a été considéré comme le « fou de la terre », n’ayant sa place nulle part bien qu’étant partout présent... Mais aujourd'hui nous ne sommes plus les seuls. Dans toutes les nationalités, dans toutes les religions, cette idée juive de l’unité se fait jour, précisément par l’éducation. Le scoutisme a fait la preuve que mille témoignages différents peuvent être portés en commun non pas malgré leurs différences, mais à cause de leurs différences et, concrètement l’idéal d’Israël se réalise chaque jour un peu plus. Auto-détermination dans le cadre de la Loi universelle, voilà la conception juive de l’universalisme.

L ’idée centrale de l’Anatomie de la paix est juste et vraie. Mais nous ne pouvons oublier que nous avons reçu la Loi de Dieu dans la forme et dans le contenu, dans l’esprit et dans la lettre, et nous devons prendre garde à ne pas souiller une fois de plus l’héritage de Jacob à un universalisme généreux d’intention mais qui veut ignorer le témoignage actuel encore vivant des descendants des témoins du Sinaï.

Publié le 25/05/2020


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