Des Juifs vivaient déjà à New York avant même que la ville porte ce nom. Et, surtout, c’est à New York que l’on rencontre la plus grande variété de Juifs, des orthodoxes aux libéraux en passant par les Budjews, des Juifs qui pratiquent le bouddhisme. Certains aiment dire que New York est la « Jérusalem du Nouveau Monde ». Vivent ici, dit Corinne Levitt, l’une des meilleures spécialistes de la question, des Américains juifs et des Juifs américains. Les premiers sont aux États-Unis depuis plusieurs générations et sont profondément américanisés. Les seconds, arrivés plus récemment, ont conservé les mœurs de leur terre d’origine. Certains sont français, d’autres viennent d’Israël (150 000 à New York !), d’Allemagne, de Pologne, de l’Empire austro-hongrois, de Russie ou d’ailleurs. Ils sont de nationalité américaine ou sur le point de l’être. Pour le sociologue Michel Maffesoli, ils font partie des « tribus urbaines ».
Vingt-trois. Ils étaient 23, les premiers Juifs à avoir mis les pieds à New York. C’était en 1654 et la ville s’appelait alors La Nouvelle-Amsterdam. Débarqués d’un navire, le « Saint-Charles », ils sont très mal accueillis par le gouverneur Peter Stuyvesant qui n’hésite pas à les qualifier de « race fourbe » et de « blasphémateurs et ennemis du Christ ». Menacés d’expulsion dès 1655, victimes de mesures vexatoires et de limitation d’activités, ces premiers Juifs vont faire le gros dos et il faudra attendre la conquête anglaise en 1664 pour qu’ils puissent se sentir un peu plus libres. Toutefois, comme la « Charter of Liberties » promulguée en 1683 n’autorisait que les Chrétiens à pratiquer leur religion en public, la première synagogue new-yorkaise, Shearit Israel, ne verra le jour qu’en 1729.
Entre 1654 et 1820, la communauté juive, certains préfèrent dire la « société juive », va se construire peu à peu. En 1820, il y a 60 000 Juifs à New York.
1822 marque un événement notable, une première : un Juif, Mordechaï Manuel Noah, membre du parti démocrate, est élu High Sheriff de New York. Il sera plus tard consul à Tunis.
Dans l’ensemble, à cette époque, les Juifs pratiquent le commerce, derrière un comptoir ou à cheval à travers les campagnes. Leur spécialité, c’est l’achat et la vente de biens en tout genre.
Entre 1870 et 1920, le nombre de Juifs va croître de manière exponentielle. Ils représentent 4% de la population en 1870 et passent à 29% cinquante ans plus tard. Le commerce n’est plus leur occupation principale, même si beaucoup se lancent dans le porte-à-porte. Les voilà qui s’impliquent dans l’industrie vestimentaire, la fabrication du verre, la confection de cigares. En 1909, la synagogue Beth Tefila est érigée. Elle sera classée monument historique en 2016.
Dans les années 1930, la moitié des médecins, des dentistes, des avocats et des instituteurs new-yorkais sont juifs. En 1930 aussi, on voit un Juif d’origine italienne, Fiorello La Guardia, être élu maire de la ville. Les Juifs s’impliquent désormais fortement en politique et dans le combat syndical. Ils sont très nombreux au sein des sections du parti socialiste à Manhattan et dans le Bronx et, à cette période, 40% des membres du Communist Party of the USA sont juifs. On parle à présent ouvertement d’un « vote juif ».
La vie juive s’organise, les synagogues se construisent et, désormais, les Juifs disposent d’un quotidien, le Forward.
D’un point de vue religieux, les Juifs de New York se répartissent entre orthodoxes (14%), réformés (34%), conservateurs et reconstructionnistes (1%). Il existe également à Harlem une congrégation de Juifs noirs, l’Ethiopian Hebrew Congregation, qui compte 2000 membres.
En 1972, pour la première fois, une femme, Sally Priesand, a été ordonnée rabbin. Le mouvement réformé s’est largement ouvert aux homosexuels et il existe en son sein des rabbins homosexuels.
Quant au hassidisme, on peut considérer que New York est la ville au monde où vivent le plus grand nombre de sectes hassidiques, formant de véritables enclaves : loubavitchs, satmars, bobovers…
Bien que les Juifs de New York se soient très tôt investis dans l’action sociale et l’aide aux défavorisés, devenant notamment les plus fervents partisans de la discrimination positive (Affirmative Action), on constate depuis quelques années un refroidissement des relations avec la communauté noire.
Enfin, dans le domaine des arts et de la culture, la contribution des Juifs de New York est exceptionnelle.
Depuis quelques années, les campagnes antisémites internationales, notamment à travers le BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions) organisation contre laquelle le maire de la ville, Bill De Blasio, s’est vivement opposé, finissent par avoir un certain impact sur le judaïsme américain, en particulier à New York. En 2016, les agressions antisémites se sont multipliées, en particulier à Brooklyn, où on a pu parler d’ « atmosphère d’intifada ». Cela n’a pas empêché de bonnes relations avec la communauté musulmane. En janvier 2016, un hommage a été rendu au roi Mohamed V du Maroc par les Juifs new-yorkais et, en janvier 2017, c’est un jeune musulman, Ahmed Khalifa, qui a été honoré pour avoir porté secours à une femme juive orthodoxe agressée dans le métro.
Néanmoins, malgré les aléas dus à l’évolution de la situation internationale et du conflit israélo-arabe, nul doute que les « enfants de Woody Allen » vivent heureux dans la « Goldene Medine » et que, tout compte fait, à New York, en 2020, « Jewish is beautiful ».
Publié le 23/04/2020