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Denis Diderot

La rédaction de L’éclaireur a été reçue rue Taranne, dans l’appartement parisien de Denis Diderot de retour de Hollande dont il a découvert la communauté juive. Philosophe, écrivain, dramaturge et père de l’Encyclopédie, Diderot n’a jamais cédé à la mode de l’antisémitisme de ses pairs, contrairement à Voltaire, par exemple. Dans cette Interview presque imaginaire, toutes les réponses de Diderot sont extraites de son Voyage en Hollande , journal du séjour qu’il entreprit en 1773 et 1774. 


Denis Diderot, vous vous réunissez souvent avec d’autres philosophes et artistes dans le salon de votre ami le baron d’Holbach. Vous avez donné à ces réunions le nom de Synagogue, comme si les Juifs incarnaient l’art de la controverse, de la joute oratoire et du dialogue animé. Cette vision semble s’être confirmée lors de votre récent séjour aux Pays-Bas. Racontez-nous votre découverte des Juifs hollandais.

DIDEROT : Les Juifs ne sont nulle part si rapprochés de la condition des autres citoyens. Ils ont leur quartier. Il y en a des rasés, il y en a des barbus. Ils ont treize synagogues à Amsterdam. C’est plutôt une école qu’un temple. Après la prière, on les y croirait indécents : ils y parlent afaires et galanterie. Ce mépris apparent pour le lieu de leur oraison leur rappelle que le vrai temple n’est plus. Les synagogues sont très belles à Amsterdam, à Rotterdam et à La Haye. Il y a la synagogue allemande et la synagogue portugaise. 

Vous semblez avoir été surpris par l’ambiance un peu chaotique des synagogues qui témoigne selon vous d’un rapport particulier des Juifs au sacré. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

DIDEROT : Je visitai une des synagogues d’Amsterdam. En entrant, le portier me dit : « Mettez votre chapeau ! - Je n’en porte point, lui répondis-je – Entrez. » Les uns arrivent après les autres. L’office commence. Les uns chantent un livre de la Bible, les autres, un autre livre ; celui-ci en est à un verset, celui-là à quelque verset qui suit ou précède, c’est un charivari enragé. L’ofce achevé, certains restent, les autres s’en vont. Les premiers, comme je l’ai dit, parlent affaires, commerce, galanterie. C’est à faire croire qu’on est dans une de nos églises. De retour à La Haye, je demandai à un rabbin pourquoi ce bruit discordant dans le temple, à faire boucher les oreilles à Dieu. « C’est, me dit-il, que chacun chante son livre et son verset et que chaque livre a son chant qui d’ailleurs est fort mélodieux et fort doux », ce qu’il me prouva sur-le-champ.

Le fait que le bedeau vous laisse entrer, tête nue de surcroît, est une preuve de tolérance de cette communauté. Vous dites avec humour que l’on trouve parfois une même ambiance au sein d’une église mais que chez les Juifs ce désordre est assumé ! Le rabbin que vous avez interrogé a-t-il donné plus d’explications ?

DIDEROT : Je lui demandai pourquoi cette indécence d’actions et de propos après l’oraison dans la maison du Seigneur. « Nous ne reconnaissons pour lieu saint que le temple de Jérusalem qui ne subsiste plus, et nous n’aurons de vraie synagogue que quand celle-là sera rebâtie, ce qui se fera tôt ou tard ; soyez sûr que le Messie viendra, si on lui en laisse le temps. » 

Merci beaucoup, Monsieur Diderot, pour cet entretien.

Publié le 02/11/2018


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