Numéro 7 - Retour au sommaire

Les mots pour le dire

Les mots pour le dire,

GVOUL גבול

Les mots « frontière » (gvoul) et « limite » (guévoula) sont proches de guiboul(« malaxage » ou « pétrissage »), c’est-à-dire ce qui réunit ou uniformise un ensemble d’éléments disparates.  Gvoulapparaît pour la première fois dans la Tora (Genèse 10,19) au moment où est évoquée la naissance des différents peuples, cultures et langues, correspondant à des territoires précis. Il y est question des frontières du Cananéen qui s’étendent « en direction de Sodome et Gomorrhe » (villes réputées, dans la littérature midrashique, pour leur xénophobie), comme si, d’entrée de jeu, la Tora associait la frontière à quelque chose de potentiellement négatif. 

Dans la Bible, gvouldésigne aussi bien la frontière que le territoire. Dans le Talmud, ce terme est souvent utilisé non pas dans un sens politique mais concernant les règles civiles ou religieuses s’appliquant à un espace donné (par exemple, si telle ville est dans le gvould’Israël, la loi sur l’année sabbatique s’applique). Ainsi, le gvouln’est pas qu’un trait tracé sur une carte mais un espace géographique où s’applique telle ou telle loi. L’histoire a montré que, quand la frontière n’est qu’un trait qui ne tient pas compte de la réalité sociale du territoire qu’il délimite, la paix est loin d’être assurée. 

 

MÉZOUZAמזוזה

La mézouzadésigne le linteau et, par métonymie, l’objet rituel qui doit y être posé. La mézouza(qui contient le chéma Israël–rappel de l’unité au moment même où l’on se confronte à la pluralité des espaces) marque le seuil d’une ville, d’une maison ou d’une pièce (Deutéronome 6, 4-9). Ce précepte fait écho au geste des Hébreux (Exode 12,17) qui, pour être sauvés, devaient badigeonner le linteau de leurs portes du sang de l’agneau pascal (geste témoignant du rejet des mœurs des Égyptiens qui vénéraient l’agneau). Ici, la mézouza délimite, sépare, distingue.

Le mot mézouzavient du verbe « bouger » (לָזוּז), du fait du mouvement de celui qui franchit le seuil. Quand on fixe la mézouza, on dit : « Béni soit celui qui nous a ordonné de fixer la mézouza. » Ce qu’un rabbin hassidique commente ainsi : « La seule chose qui doit être fixe, c’est le mouvement. »

 

ÉROUV  ערוב

Le érouv[1]est une délimitation qui peut être réelle (une muraille) ou réduite à un simple fil placé en hauteur et qui permet d’étendre l’espace au sein duquel on peut transporter des objets durant le chabbat. Bien qu’il s’agisse d’une limite à ne pas dépasser, le terme vient d’une racine qui veut dire « mélange » et qui a donné érev(le soir, moment où se mêlent le jour et la nuit), arov(la plaie d’Égypte durant laquelle un mélange de bêtes sauvages s’abat sur le pays, cf.Exode 8), aravim(d’où vient le mot « arabe »), les nomades qui vont des déserts aux terres cultivées.

Cette conception d’une frontière qui n’exclut pas la rencontre rappelle la racine de ivri, hébreu, EVR(עבר), anagramme de celle du mot érouv : ERV(ערב). La racine EVRrenvoie au fait de passer (laavor, comme Abraham l’Hébreu qui quitta sa terre et son identité), voire de transgresser. Elle serait voisine du mot grec qui a donné « hybride[2] ».

 

HAGUIRAהגירה

Le mot haguira, « migration » ou « émigration », renvoie au statut d’étranger (גר, guer, qui désigne aussi le converti) et au fait de résider quelque part. Dans le Talmud (selon un enseignement repris dans la haggadade Pessa’hà propos du verbe lagour), cette racine correspond à une résidence provisoire, une pérégrination qui évoque, selon le rabbin S. R. Hirsch (sur Genèse 23,4), le fait de « perdre sa position et son assurance devant quelqu’un ». Cette racine de deux lettres fait aussi penser à la répudiation (guéroush), la rumination (guéra, au sens de bol alimentaire avec l’idée de ballottement) et au fait d’entraîner quelque chose (gorem), termes tous en lien avec l’idée de mobilité. גרגר, mot qui redouble la racine, signifie « éparpiller ».

[1]Il existe dans la littérature talmudique trois formes de érouv. Nous parlons ici du érouv ‘hatsérot(fusion des domaines). Voir dans ce numéro ce qu’en disent, dans les entretiens qu’ils nous ont accordés, Astrid von Busekist et Antoine Grumbach.

[2]Dictionnaire des mots français venant de l’hébreu (Seuil, 2010), p.272.

Publié le 09/03/2020


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