On définit parfois les Juifs comme ces gens qui connaissent toujours les blagues qu’on leur raconte dans une autre version que la vôtre (qu’ils vous racontent sans vous laisser terminer...). On a beaucoup glosé sur l’humour juif, qui résulterait d’une forme de résilience et reposerait notamment sur l’autodérision. Le witz et le jeu de mots auraient aussi à voir avec l’esprit talmudique et l’exégèse traditionnelle qui font passer un verset biblique d’un sens à un autre, comme la chute d’une blague qui crée un décalage avec la fin attendue. On raconte d’ailleurs qu’un sage du Talmud commençait toujours son enseignement par une boutade, pour prédisposer ses élèves à la perpétuelle réinterprétation des textes. Au-delà du sourire qu’elle provoque et de son caractère ludique, la blague suscite souvent une réflexion que nous souhaitons partager, dans cette rubrique, avec des personnalités.
Ma blague juive préférée ? Celle où trois mères juives sont assises sur un banc dans un square. La première pousse un grand soupir et gémit : « Aiiiiiiiie ». La deuxième renchérit : « Oyyyyyyyy ». La troisième se fâche : « Pfff, on avait dit qu’on ne parlerait pas des enfants ! »
J’adore cette histoire car nous sommes nombreux à avoir eu une mère juive. Surprotectrice, omniprésente et se faisant un sang d’encre pour sa progéniture. Et, bien entendu, ça laisse des traces : parfois j’ai l’impression d’être moi-même une mère juive. Je ne suis pas toujours assez présent auprès de Raphaël et Milhan, mes deux garçons, du fait de mes engagements professionnels. Du coup, je m’en veux un peu et, quand je suis là, je les couve comme une vraie mère poule. Le bonheur incommensurable que nous procurent les enfants s’accompagne d’une sorte d’angoisse constante, en sourdine, et j’essaie sans grand succès de ne pas trop assommer mes gamins de mes conseils, recommandations, etc. Je ressens pour eux un sentiment où se mêlent de façon absolument excessive fierté, exigence, inquiétude, culpabilité. Bref, le syndrome de la mère juive ne touche ni que les mères, ni que les Juifs.
Publié le 09/11/2018