1. Société et vieillissement
a. Image du vieillissement dans la société occidentale
Au sein de notre société occidentale, nous vivons dans le culte de la jeunesse, celle-ci étant associée à la santé, à la beauté, à la vigueur. Elle est synonyme de réussite. Face à elle, la vieillesse apparaît comme honteuse, comme une malédiction que l’on cherche à conjurer quel qu’en soit le prix. Les marques de l’âge doivent être cachées. La vieillesse est associée à la perte, à la déchéance, à la maladie, à la dépendance. C’est le premier pas vers la mort. Il importe donc de rester jeune le plus longtemps possible alors que, paradoxalement, jamais on n’a pu vivre aussi vieux, dans d’aussi bonnes conditions de santé, et jamais la société n’aura dépensé autant d’argent pour accompagner les personnes âgées dans les meilleures conditions possibles.
La sociologue et gérontologue Jacqueline Trincaz explique que cette image de la vieillesse n’est pas nouvelle. Selon elle, depuis l'Antiquité, la vieillesse a globalement eu une représentation négative. Celle-ci a pu être vue comme positive dans quelques sociétés ou à certaines époques, quand le vieillard était valorisé grâce à l’expérience et à la sagesse qu’il avait accumulées. Pour préciser cela, elle décrit quatre grands modèles de représentation de la vieillesse :
- Le positif de l’accumulation : l’avancée en âge est un enrichissement. Ce modèle se retrouve dans les cultures africaines, dans la Bible et dans beaucoup de cultures dont la transmission se fait par l’oralité,
- Le négatif de l’accumulation : l’avancée en âge est une suite de chocs et d’épreuves qui entraînent le repli sur soi. Ce modèle est défendu par Aristote, selon qui l’expérience est une accumulation d’erreurs dans un esprit qui s’endurcit avec le temps,
- Le positif de la diminution : l’avancée en âge affaiblit les passions et mène vers une libération de l’esprit. Ce modèle est défendu par Platon dans La République, où il fait l’éloge de la gérontocratie,
- Le négatif de la diminution : l’avancée en âge est marquée par les pertes et fait naître un sentiment dépressif. C’est ce dernier modèle qui domine dans notre société actuelle. Un modèle où la vieillesse est vécue comme une charge : pour la famille, pour la société et pour la personne elle-même (« Je me sens inutile »).
b. Les différents types de vieillissement
Pourtant, tout le monde ne vieillit pas de la même manière. Certaines personnes âgées sont très dynamiques et toujours actives. On dit d’elles, d’ailleurs, qu’elles « ne font pas leur âge », quand d’autres semblent porter le poids des ans précocement.
Les gérontologues distinguent ainsi trois types de vieillissement :
- Le vieillissement idéal, appelé « vieillissement robuste ». Il n’y a presque pas d’atteinte des fonctions physiologiques et peu de retentissement des maladies sur la personne. Selon les données épidémiologiques européennes, ce vieillissement concerne environ 50% des personnes âgées.
- Un deuxième type de vieillissement, qui touche 40% de la population âgée et que nous n’aborderons pas ici, est appelé « vieillissement fragile ».
- Le troisième type de vieillissement, qui nous intéresse ici, est celui de la dépendance. Il concerne 10% de la population âgée, et est souvent associé à des pathologies chroniques et sévères. Les personnes âgées dépendantes sont les plus consommatrices de soins.
La dépendance,, c’est « l’impossibilité partielle ou totale pour une personne d’effectuer sans aide les activités de la vie, qu’elles soient physiques, psychiques ou sociales, et de s’adapter à son environnement ».
La dépendance peut être transitoire (exemple : la fracture d’un membre) ou définitive (exemple : une hémiplégie après un accident vasculaire cérébral).
c. Évaluation de la dépendance en France
En France, l’échelle la plus utilisée pour évaluer la dépendance du sujet âgé est la grille AGGIR qui reprend un certain nombre d’activités de la vie quotidienne. Les éléments pris en compte sont : la cohérence, l’orientation temporo-spatiale, l’hygiène corporelle, l’habillage, la continence, les transferts (se lever, se coucher, s’asseoir), les déplacements intérieurs, les déplacements extérieurs, l’utilisation du téléphone, la gestion financière et administrative, la cuisine, le ménage, les transports, les achats, le suivi du traitement et l’organisation de son temps libre. Un algorithme calcule un score, fonction de l’évaluation faite sur la grille, qui va classer la personne dans un groupe de dépendance (appelé GIR) allant de 1 (pour les personnes les plus dépendantes) à 6 (pour les personnes les plus autonomes) permettant ainsi d’évaluer les besoins en aide humaine. Si cette évaluation rend bien compte du degré de dépendance d’une personne pour réaliser les actes de la vie quotidienne, nous allons le voir, elle évalue assez mal la dépendance dans le domaine religieux.
2. La vieillesse dans le judaïsme
a. La représentation de la vieillesse dans le judaïsme
Le judaïsme, lui, se positionne comme le premier modèle de représentation de la vieillesse : le positif de l’accumulation. « Vous vous lèverez devant les personnes âgées et ferez preuve de déférence pour les vieillards », dit la Tora. Dans la tradition juive, la vieillesse renvoie à la sagesse, à la transmission et à l’expérience. Nous pouvons énumérer pour preuve les nombreuses grandes figures du judaïsme qui se sont révélées dans leur grand âge : Noé était âgé de 600 ans au moment du Déluge, Abraham avait 75 ans lorsqu’il fut appelé par Dieu à quitter sa ville natale, Sarah (son épouse) enfante à 90 ans, Rabbi Akiva devint un des plus grands maîtres du judaïsme vers l’âge de 75-80 ans... Et c’est ainsi qu’était Moïse, parangon du vieillissement réussi, centenaire capable de diriger le peuple juif à travers le désert et de lui enseigner les détails de la Loi sans ressentir le poids de l’âge : « Moïse était âgé de cent vingt ans lorsqu'il mourut; son regard ne s'était point terni, et sa vigueur n'était point épuisée. »
C’est là le vieillissement idéal dans l’esprit du judaïsme, celui où la vieillesse rend le sage encore plus sage, car enrichi de toute son expérience antérieure.
b. La dépendance à l’époque biblique
À l’époque biblique, les croyances concernant les aléas de la vie et notamment la santé étaient fortement liées à la religion. Le texte biblique est d’ailleurs très clair sur la causalité entre le non-respect des préceptes divins et l’apparition de maladies,. Si la situation de dépendance a une définition récente et différente de la maladie, plusieurs arguments laissent penser que cette situation était déjà connue à l’époque biblique et pouvait être, elle aussi,associée à une punition divine. Ainsi, au cours de son exil à Babylone après la prise de Jérusalem en -586, le psalmiste se lamente et exprime son attachement à Sion : « Si je t’oublie, Jérusalem, que ma main droite se dessèche ! Que ma langue s’attache à mon palais, si je ne me souviens de toi, si je ne fais de Jérusalem le principal sujet de ma joie ! » La main droite qui se « dessèche » et la langue qui « s’attache au palais » évoquent pour nous la sémiologie de l’accident vasculaire cérébral sylvien avec atteinte de l’hémisphère majeur : hémiplégie droite et aphasie, responsables d’une dépendance chronique. Autrement dit, dans sa lamentation, le psalmiste nous dit que la punition méritée s’il « oubli[ait] Jérusalem », pire que la maladie, la douleur ou la mort, serait la dépendance. Celle-ci serait la malédiction l’accompagnant pour le restant de ses jours et aux yeux de tous. Oublier Jérusalem, c’est oublier le temps de l’indépendance politique, le temps de la liberté. Oublier Jérusalem, c’est aimer Babylone. C’est aimer l’exil et l’asservissement aux puissances étrangères. Pour celuiqui préfère la dépendance politique – semble dire le psalmiste –, il est assez juste que la punition soit la dépendance physique.
3. Conséquences de la dépendance dans le judaïsme
a. Le service de Dieu
Un des fondements du judaïsme est le service de Dieu (avodat Hachem) : le Juif est sur terre pour accomplir l’ensemble des préceptes divins. « Simon le juste [...] disait : le monde repose sur trois piliers : la Tora, le culte et la charité. »
À l’époque du Temple, le service divin (le culte) était rythmé par la avoda, à savoir les sacrifices. La fonction de ces derniers est de rendre hommage à Dieu en lui offrant le meilleur de ce que l’on possède pour se rapprocher de lui (Quorban signifie « rapprochement »). Le meilleur de ce que l’on possède, le sacrifice ultime, c’est celui que Dieu a demandé à Abraham : le don de son fils Isaac. Mais au moment où « Abraham étendit la main et saisit le couteau pour immoler son fils », un messager apparaît et ordonne à Abraham de ne pas toucher à son enfant. Il aperçoit alors un bélier « et l’offrit en holocauste à la place de son fils ». Le sacrifice animal apparaît ici comme un remplacement symbolique du sacrifice du fils. Selon certains auteurs, cet épisode marque la fin des sacrifices humains dans les sociétés antiques, substitués dès lors par les sacrifices animaux. Plus tard, à l’époque du Temple, on offre à Dieu une part du meilleur des produits de l’élevage et de l’agriculture,une bête sans défaut accompagnée de farine, de vin et d’huile : « [Ce sacrifice] est l’expression même de la bénédiction divine grâce à laquelle ces produits ont pu être obtenus. Offert à Dieu, en réponse à sa bénédiction, il suscite, en retour, la bénédiction divine[fertilité, fécondité, absence de fléaux, pluie en son temps, paix, prospérité…] et réalise ainsi ce qu’il représente. » Après la destruction du Temple et la fin des sacrifices, nos sages ont institué la prière pour atteindre les mêmes buts que les sacrifices. Le culte s’est ensuite progressivement enrichi des lois et règles de vie régissant la vie juive. Ainsi, à tout moment et même dans les actes les plus insignifiants de la vie quotidienne, le Juif doit accomplir les préceptes dictés par nos âges dans le but de servir Dieu : lorsque l’on se lave les mains, au moment de passer à table, quand on met un habit neuf, etc. Ainsi, pour pouvoir être un « serviteur de Dieu », le Juif doit être en permanence en capacité de rendre hommage en accomplissant ses préceptes et ses lois. Pour cela, il ne peut donc être assujetti à quelqu’un d’autre, « car c'est à Moi [Dieu] que les Israélites appartiennent comme esclaves ».
b. Dépendance et autonomie selon le judaïsme
La prière est donc une offrande à Dieu. Ainsi, au réveil, avant même de manger, le Juif doit réciter l’office du matin. Celui-ci débute par des bénédictions qui nous définissent comme un être autonome, sans dépendance, entièrement capable et disponible pour le service divin, et se conclut par le Aleinou, louange à Dieu qui a créé le peuple juif dans le but de le servir.
Regardons les différentes bénédictions du matin et le lien très proche qu’elles ont avec les items de la dépendance cités précédemment :
- Netilat yadaïm : le lavage des mains, signifiant que nous dédions notre hygiène corporelle à Dieu.
- Asher yatsar : qui concerne les orifices du corps, et donc la continence, besoin primaire par excellence, qui est ici-même sanctifiée.
- « ... qui donne au coq le discernement pour distinguer le jour de la nuit », et donc l’orientation temporelle, pour accomplir les prescriptions religieuses aux horaires et selon le calendrier définis.
- « … qui redresse ceux qui sont courbés » et qui nous permet de nous lever (les transferts) pour louer Dieu.
- « ... qui habille ceux qui sont dévêtus » : cela concerne l’habillage
- « ... qui permet à l’homme de marcher » : les déplacements
- « … qui ôte de nos yeux les entraves du sommeil, et de nos paupières l’assoupissement » : notre esprit est cohérent et peut se dédier entièrement au service divin.
Mais cela ne suffit pas. Pour pouvoir accomplir pleinement les prescriptions juives, d’autres bénédictions quotidiennes s’ajoutent :
- « … qui ouvre les yeux des aveugles », la vue,
- « … qui délivre les prisonniers » et « … qui ne m’a pas fait(e) esclave », la liberté,
- « …qui a pourvu à tous mes besoins », l’autonomie financière,
- « … qui donne la force à l’épuisé », la santé,
- « … qui ne m’a pas fait femme », le genre.
Car on ne peut se soumettre entièrement au service de Dieu et accomplir l’ensemble de ses prescriptions si on est dépendant d’un tiers pour survivre car prisonnier, esclave, femme, pauvre, aveugle…
La dépendance touche donc aux fondements de la pratique juive, à savoir la raison de l’accomplissement des rituels et des commandements : l’accomplissement du service divin.Ainsi, notre psalmiste, s’il devient aphasique et hémiplégique, ne pourra plus s’exprimer correctement, ne pourra plus ni marcher, ni s’habiller, ni se laver seul. Il ne pourra plus mettre ses tefillin tout seul, ne pourra plus prononcer correctement ses prières, ne pourra plus aller à la synagogue le samedi et prier avec minyan (quorum). Et nous pouvons poursuivre longtemps la liste de toutes les prescriptions religieuses qu’il ne pourra plus accomplircomme du temps de son autonomie.
Ainsi, dans la tradition juive, la dépendance pourrait se définir par les raisons pour lesquelles le Juif ne peut pas être le serviteur autonome de Dieu.
4. Les défis de la dépendance
a. L’évolution de la perception de la dépendance dans la société
La société occidentale a évolué dans son rapport avec le monde du handicap et de la dépendance. À l’époque antique, le monde des valides était séparé du monde des infirmes (ceux-ci étaient condamnés à la mendicité ou à l’enfermement). À partir du Moyen Âge et surtout depuis le XVIIIe siècle, la vision paternaliste et d’assistance s’est peu à peu imposée avec la mise en place de rentes versées par l’État pour les infirmes. C’est seulement au XXesiècle que la société a cherché à intégrer les handicapés en son sein, à leur donner un travail et à leur assurer une égalité de droit. Si la société a bien pris conscience du poids de plus en plus important de la dépendance, c’est seulement depuis les années 1990 que des moyens et des mesures concrètes ont été mis en place pour permettre aux personnes âgées dépendantes d’avoir la vie la plus digne possible en compensant leur manque d’autonomie : allocation dédiée à l’autonomie (APA), création de service d’aide à domicile, ouverture de maisons de retraite et autres structures d’accueil, journée de solidarité, etc. Le budget national dédié au handicap, anecdotique jusqu’en 2004, date de la création de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), était de 14 milliards d’euros en 2006. En 2017, il s’élevait à plus de 25 milliards, soit une augmentation de près de 80% en onze ans, preuve de la prise en considération du handicap par la société.
b. Quel regard juif face à la dépendance ?
Nous l’avons vu, l’égalité de droit pour les personnes dépendantes est une logique de société récente. Cette égalité de droit, qui est aujourd’hui acquise, naturelle et nous semble désormaismoralement indispensable, va donc questionner la halakha (loi juive) et demander un positionnement rabbinique innovant. De même que la société occidentale a mis en place toutes sortes d’aides pour pallier la dépendance, il est aujourd’hui indispensable de tout faire pour envisager son équivalent dans le judaïsme. Car la participation de nos aînés dans les synagogues et aux activités communautaires est essentielle. Les personnes âgées sont les témoins vivants des traditions qui nous lient à nos ancêtres. Si leur présence nous enrichit, l’honneur que nous leur rendons en les accueillant et en les faisant participer activement à la vie communautaire s’inscrit dans le modèle juif ancestral du respect de la personne âgée.
Je voudrais, pour illustrer ce propos, vous faire partager une anecdote qui prend toute sa place ici, et en particulier dans cette revue. Je voudrais parler de Jean-Paul Bader (Caméléon), dit « JP », figure mythique du mouvement E.I. que tous les E.I. de plus de 20 ans ont connu. JP avait créé un office des jeunes en 1962 à la synagogue de la Victoire, office qui se réunit encore aujourd’hui au moment de Roch Hachana et de Kippour. Jusqu’en 2008, JP dirigeait seul l’office. Le temps faisant son œuvre (il avait 85 ans tout de même !), j’ai été contacté pour partager avec lui les offices de la longue journée de Kippour. Nous officiions alors à deux. En 2011, JP était malade. Pour la première fois depuis sa création, il n’était pas présent au début de l’office. Personne n’osait vraiment prendre sa place au pupitre, espérant qu’il allait arriver d’un moment à l’autre. À la fin de l’office de Neïla, au moment du kaddish finalet alors que nous ne l’attendions plus, JP est arrivé, soutenu par son fils. Voir JP hagard, malade, amaigri et nécessitant l’aide de son fils pour marcher nous a tous choqués. Mais nous étions heureux de le savoir avec nous. Son fils l’a amené jusqu’au pupitre où il écoutait sagement le kaddish. Nous ne savions alors pas s’il comprenait ce que l’on faisait, s’il était avec nous ou s’il était ailleurs. Puis, nous avons ouvert pour la dernière fois de la journée le rideau, découvrant les rouleaux de la Tora, et j’ai commencé à chanter le Chéma Israël qui conclut l’office de Neïla. JP s’est joint à moi d’une voix faible et éraillée, mécaniquement. Puis il a chanté, seul, trois fois « baroukh chem kevod malkhouto le olam vaed ». Et sept fois « Adonay hou haElohim ». À chaque répétition, sa voix se faisait plus forte et plus assurée. Et, à chaque répétition, l’émotion était grandissante parmi les participants dont nous pouvions entendre les sanglots. À chacune de ses répétitions, le visage de JP s’illuminait davantage, tandis que nos yeux rougissaient. Je me souviens encore de sa vigueur et de sa force retrouvées lorsqu’il a scandé pour la septième et dernière fois : « Adonay hou haElohim ». Je n’ai pas le talent pour pouvoir transmettre par écrit ce que nous ressentions tous à ce moment, mais je peux assurer que, pour la centaine de participants présents, ce fut le plus bel office de Kippour et peut-être aussi le plus bel hommage que nous pouvions rendre à JP. Nous pressentions tous, à ce moment, que nous avions partagé l’ultime office de Kippour de JP qui décéda quelques mois plus tard.
Malheureusement, ces histoires sont rares et nous n’avons pas souvent la chance d’accompagner jusqu’au bout nos aînés dans la vieillesse au sein des communautés juives. Ainsi, ils disparaissent tout d’abord de la synagogue en laissant leur place vide et ne réapparaissent que plus tard dans le carnet communautaire, lorsque leur disparition est effective. Pourtant, je crois que la communauté juive a un vrai rôle à jouer avec ses personnes âgées dépendantes et qui ne doit pas se limiter à seulement des visites de courtoisie à domicile.
c. Manifeste pour l’intégration religieuse des personnes dépendantes dans la communauté
Si on fait un état des lieux des services communautaires liés à la dépendance, ceux-ci ont principalement une mission sociale : livraison de repas casher à domicile, maisons de retraite,accueils de jour, foyers logements, service d’aides à domicile, vacances casher, etc.
Mais pour la partie religieuse, nous l’avons vu, être dépendant complique la réalisation des prescriptions religieuses et questionne la possibilité du Juif dépendant de se soumettre au service divin : comment aller à la synagogue le chabbat quand on se déplace en fauteuil roulant ? Un aveugle peut-il monter à la Tora ? Si on est incontinent, a-t-on le droit de porter les tefillin ? Un sourd peut-il compter dans le minyan ? En pratique, de nombreuses responsa existent et on trouve des avis plutôt permissifs qui permettent aux personnes aveugles, incontinentes, malades ou sourdes d’avoir la vie religieuse la plus normale possible, moyennant quelques adaptations. Malheureusement, ces réponses relèvent aujourd’hui d’un enseignement confidentiel alors que ces problématiques touchent une part importante de la communauté. Il me paraît indispensable d’enseigner et de diffuser ces responsa et c’est pour moi un devoir de citoyen juif de les porter à la connaissance de la communauté.
Voici donc les propositions (non limitatives) que je formule pour favoriser l’accueil des personnes dépendantes et handicapées dans nos communautés :
En tout premier lieu, nos synagogues doivent pouvoir accueillir la dépendance. En effet, depuis 2005, les établissements recevant du public (dont les lieux de culte) sont soumis à des normes d’accessibilité. Une réflexion doit donc être menée pour voir de quelle manière nos synagogues peuvent être ouvertes aux personnes en situation de dépendance ou de handicap : rampes d’accès, toilettes adaptées, espaces de circulation, places réservées.
Dans les synagogues, des questionnements vont se poser également pour l’accès à l’estrade, là où la Tora est lue, pour l’accès à l’étage des femmes lorsque c’est le cas. Peut-être qu’il faudra équiper l’ascenseur d’un mode chabbatique, ou peut-être qu’il faudra réfléchir à accueillir les femmes à l’étage des hommes, moyennant quelques aménagements intérieurs pour être en conformité avec la halakha. Si nous pensons principalement aux personnes à mobilité réduite, n’oublions pas l’accueil et le confort des personnes mal voyantes (achat de livres à gros caractères, signalétique adaptée, etc.), de celles présentant des troubles de l’audition (>span class="s10">, mise en place d’un système à boucle magnétique), ou qui ont des troubles mentaux… En parallèle, il me paraît indispensable d’établir un érouv dans nos villes pour favoriser la présence de toutes les générations dans les espaces communautaires. Je rapporte les propos du rav Eliezer Wolff, dayan (juge rabbinique) d’Amsterdam à propos de la construction d’un érouv : cela constitue « une obligation incombant aux autorités rabbiniques qui ne peuvent s’y soustraire, il est clair qu’il y a lieu de mettre en place un érouv dans une métropole ». Il serait alors possible de pousser un fauteuil roulant, par exemple.
Ma troisième proposition est de créer un fonds communautaire permettant de financer des technologies telles que celles créées par l’institut Zomet afin d’aider les personnes ou les communautés qui en expriment le besoin. Zomet est un institut de recherche israélien à but non lucratif qui essaie de trouver des solutions permettant d’allier la halakha à la vie moderne. Cet institut a notamment trouvé des solutions adaptées et approuvées par des autorités rabbiniques reconnues permettant à des personnes juives pratiquantes et dépendantes de se déplacer seules avec des scooters électriques, des chaises roulantes électriques sans transgresser le chabbat. D’autres technologies facilitant la vie juive des personnes dépendantes ont été développées et sont visibles sur le site Internet de cet institut.
Ma quatrième proposition est d’organiser des formations pour aider les responsables communautaires à prendre conscience et à savoir se comporter avec les personnes en situation de handicap ou de dépendance, afin de pouvoir organiser le meilleur accueil possible au sein des communautés.
En dernier lieu, pour que tout cela fonctionne, il me paraît indispensable que la problématique de la dépendance et du handicap soit une priorité communautaire portée par les Consistoires, avec un engagement des rabbins, impliquant l’organisation de séminaires mêlant le regard religieux et celui des experts, des relais locaux au sein des communautés, un budget dédié, etc. Tout cela pour aider nos proches dépendants à pratiquer le meilleur judaïsme que nous pouvons leur proposer.
À ce jour, sommes-nous convaincus d’avoir fait le maximum pour l’égalité des personnes dépendantes vis-à-vis de la halakha ?
Publié le 24/02/2020