D'après les statuts de l'association, les enfants cachés sont des personnes nées entre 1924 et juillet 1944. Le mot « Aloumim » en hébreu signifie « cachés » mais également « jeunes », en signe de renaissance et d'avenir… L'association compte près de huit cents membres répartis dans tout le pays.
Pourquoi ces enfants cachés ne se sont-ils organisés qu’en 1993 ? La réponse est : qui étions-nous, nous, enfants cachés ? Après la guerre, il y avait les survivants des camps, les partisans ou les combattants de la Résistance, mais nous, les enfants cachés, qu'étions-nous ? Ce n'est que plus tard que nous nous sommes découverts, après une longue reconstruction. Comme dit Israël Lichtenstein, ancien président d'Aloumim : « Pour nous, la vraie guerre a commencé après 1945 ! »
Qui sont effectivement les enfants cachés ? Des gens âgés sans âge.
Jacob Weksler est né en Pologne en 1943. Ses parents sont assassinés dans la région de Bialystok, dans l'est de la Pologne, mais sa mère a le temps, quand commencent les rafles dans le ghetto de Swiecianie, de confier son bébé de quelques mois à peine, à une voisine chrétienne. Il est adopté par cette famille chrétienne, Piotr et Emilia Waskinel qui l'élèvent comme leur propre enfant avec beaucoup d'amour. Jacob grandit alors comme un enfant chrétien sous le nom de Romuald Waskinel.
Ce n'est qu'à l'âge de 35 ans, alors que Jacob est prêtre catholique depuis près de quinze ans, qu'Emilia, sa mère polonaise, lui révèle qu'en fait il est juif. Une amie à lui, une bonne sœur, trouve des renseignements en Israël, grâce à des juifs rescapés de la région du village de Swiecianie, et apprend que son père s'appelait Jacob Weksler. Il ignore son vrai prénom et va adopter celui de son père. Il est revenu au judaïsme et à l'âge de 76 ans, cette année 2019, il fait sa bar -mitsva dans la synagogue de Yad Vashem où il travaille comme archiviste. Il a fait reconnaître ses parents polonais comme Justes parmi les Nations. Faire sa bar-mitsva à 76 ans : redevenir un enfant, un petit enfant juif… Jacob est un exemple.
Nathalie Zajde, maître de conférences en psychologie à l'Université de Paris VIII, a créé en France les premiers dispositifs de prise en charge psychologique des enfants cachés. Dans son livre Les Enfants cachés en France (éd. Odile Jacob), elle décrit le parcours d'enfants cachés, une grande partie d’entre eux est membre de l'association Aloumim. Nathalie décrit les parcours de Saul Friedländer, de Boris Cyrulnik et de bien d'autres.
Boris dont les parents sont déportés saura, tout seul, s'enfuir à Bordeaux de la synagogue où les Allemands avaient regroupé des enfants juifs traqués et arrêtés. Il a 6 ans. Ses parents, pour le sauver, l'avait placé dans une maison d'enfants puis confié à l'Assistance publique. Il survivra et deviendra un grand neuropsychiatre célèbre pour ses écrits.
Nathalie Zajde écrit : « Le génie des enfants cachés. Les enfants cachés ont été sauvés grâce à des institutions, des réseaux et des initiatives d'adultes la plupart du temps bienveillants et courageux, mais ils ont également su développer des stratégies d'existence et de survie personnelles. Certains, parmi les plus jeunes, ont su improviser des comportements auxquels ils n'étaient absolument pas préparés. Ils ont fait preuve d'un talent et d'une inventivité surprenants. Ils ont su deviner les intentions cachées de leurs agresseurs. Ils ont déjoué leurs stratégies. Les enfants cachés se sont souvent révélés psychologiquement doués. Ils ont perçu derrière les apparences, déchiffré les paroles des adultes, leurs intentions cachées. Terrifiés, ils ont continué. Désespérés, abandonnés, ils ont su se révéler séducteurs. Ils se sont soumis tout en étant menteurs. Souvent, ils se sont révélés plus adaptés, plus intelligents que certains adultes – que leurs parents par exemple. Juifs traqués, immigrés, perdus et déprimés, qui tombaient dans les pièges de leurs chasseurs. Toutes ces expériences douloureuses de l'enfance ont probablement contribué à en faire des êtres d'exception. »
Quel âge a Israël Uryn ? Israël est né en Pologne en 1929. En 1936, sa famille émigre en France. Son père, Chiel Uryn, est arrêté par la police française le 14 mai 1941 et interné à Beaune-la-Rolande. Il est déporté à Auschwitz le 28 juin 1942, convoi numéro 5. Sa mère, Blima, sera déportée en février 1943, convoi numéro 47. En 1942, Israël est âgé de 12 ans. C'est à l'âge de bar-mitsva que, seul, il se cache : au marché des Halles, sous les tables des marchands de fruits et légumes. Il peut ainsi voler de la nourriture. Il est recueilli par des paysans normands qui le surprennent. Il devient garçon de ferme en Normandie. À la Libération, à l'âge de 15 ans, il revient à Paris en 1944. Il raconte : « Je suis arrivé à Paris vers le début octobre 1944. J'arrive au passage Bullourde et je monte les escaliers. La porte de l'appartement était ouverte. Il n'y avait plus rien : le bateau de mon père (objet en bois fait par lui au camp de Beaune-la-Rolande) que j'avais posé sur un buffet n'y était plus. Ni le buffet... Tout avait été pillé. » Israël va partir se battre pour la guerre d’Indépendance d'Israël. Il n'a pas encore 18 ans. Il écrira un livre, Le Baluchon.
Quel âge a Fanny ? Fanny Ben Ami est née en 1930 à Baden-Baden. Cachée dans la zone italienne par l'OSE, transférée avec ses deux petites sœurs à Megève, sans leurs parents déportés, elle doit, avec un groupe de vingt-huit enfants, passer clandestinement en Suisse. Mais le passeur ne vient pas. Elle prend la direction du groupe et le fait passer en Suisse. Des gardes allemands les repèrent et leur tirent dessus. Elle continue avec le groupe, revient même en arrière pour récupérer une petite fille de 3 ans, tombée et terrorisée. Fanny avait alors 13 ans. Un livre sur elle est paru en hébreu : La Petite Commandante, et un film lui a été consacré : Le Voyage de Fanny. Elle a été honorée cette année 2019, et sollicitée pour allumer à Yad Vashem l’une des flammes officielles lors du Yom hashoah (« jour de la Shoah ») et prononcer un discours.
Tous les enfants cachés sont des héros : souvent ils doivent oublier qu'ils sont juifs, changer de noms, savoir répondre correctement à des questions, savoir mentir. Une petite fille de 7 ans, cachée dans un couvent, s'oblige chaque soir avant de dormir à dire dix mots en yiddish, la langue de ses parents disparus. Un membre d'Aloumim de plus de 75 ans à qui je demandais ses nom et prénom pour remplir un dossier pour les réparations allemandes se mit à trembler : « Shlomo, quel nom dois-je écrire ? » J'ai compris que, tout petit, il avait dû apprendre sans se tromper que son nom n'est pas un nom juif, comme Moshé, mais Christian. Et que s'il se trompait, il mettrait tout le monde en danger… Le temps a passé, pas une certaine peur. Une dame m'a demandé une fois si je pouvais lui dire qui elle était. Devant mon étonnement, elle me dit que, toute petite, elle fut déposée par ses parents près du train qui les emmena à Auschwitz où ils sont morts assassinés. Un paysan a trouvé et sauvé l'enfant. Les parents, avant de la laisser, avaient placé dans ses habits un mot avec son nom et son prénom, mais pas leurs prénoms à eux. À la Libération, le brave paysan a rendu l'enfant aux organisations juives. Personne ne venant la chercher, la petite fut envoyée avec d'autres orphelins en Israël où elle grandit dans un kibboutz. Elle a fait l'armée en Israël, s'est mariée et a fondé une famille. À ma question : « Pourquoi commencer ses recherches seulement maintenant, à un âge déjà avancé ? », elle m'a répondu : « Je voulais vivre, construire, oublier le passé, mais mon petit-fils doit faire pour l'école un devoir sur ses racines et sa famille : je ne peux pas dire non à mon petit-fils. » Grâce aux dossiers de la police française retrouvés par Serge Klarsfeld, j'ai obtenu des réponses. Qui étaient ses parents, sa vraie date de naissance qu'elle ignorait, et enfin le fait qu'elle avait deux grands frères, morts aussi à Auschwitz. Elle avait 1 an et demi quand ses parents l'ont « abandonnée » pour la sauver...
Gaby Hochman, cachée dans un couvent à l'âge de 2 ans, a découvert seulement près de soixante-dix ans après les faits, l’identité de la bonne sœur qui l'avait sauvée. Sœur Marie-Émilienne a été déclarée Juste parmi les Nations en 2011.
C'est un point d'honneur des enfants cachés : dire merci. Comme tout enfant bien élevé, savoir dire merci. Aloumim a fait reconnaître beaucoup de Justes.
Les membres d'Aloumim n'ont pas d'âge : ils voyagent de l'enfance à aujourd'hui et vice-versa. Ce qui est sûr, c'est ce que déclare Pierre Corneille dans Le Cid : « Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années. »
Les activités et projets d’Aloumim : 1. La revue Mémoire Vive est le journal de l'association, en hébreu et en français, et propose des articles concernant l'histoire de la Shoah en France et en Afrique du Nord, notamment des témoignages des membres d'Aloumim. 2. Une commission éducative s'occupe de faire connaître dans les établissements scolaires israéliens le sort des Juifs en France et en Afrique du Nord pendant la Shoah. Un prix, décerné en commun par Aloumim et Yad Vashem, financé grâce au soutien de la Fondation pour la mémoire de la Shoah, récompense les élèves ou les classes qui font un travail de recherche sur ce sujet. 3. Une commission socio-économique aide les membres de l'association dans le besoin, grâce au soutien de la Fondation pour la mémoire de la Shoah. Aloumim guide et aide dans leurs démarches les personnes ayant droit à des réparations de la Claims Conference ou du gouvernement français. 4. L'association peut aider ceux qui désirent faire des recherches sur le sort de leurs proches pendant la Shoah (archives, généalogie, etc.). 5. L'association s'efforce de retrouver et d’honorer les Justes parmi les Nations qui les ont cachés et sauvés. Elle organise des conférences, des groupes de parole, des activités culturelles et bien sûr des commémorations, notamment, chaque année à Yom hashoah, au monument de Roglit, consacré aux Juifs déportés de France, érigé par les Fils et Filles des Déportés Juifs de France. Dirigée quelques années par Mme Rivka Avihail, puis longtemps par le Dr Israël Lichtenstein secondé par Mme Marianne Picard, l'association a désigné Shlomo Balsam depuis 2009 comme président.
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Publié le 07/02/2020