Christophe Colomb était-il juif ?
La chute de Grenade et sa reprise par l’armée de rois catholiques en 1492 marque un durcissement de la politique espagnole hostile aux Juifs, déjà victimes de l’Inquisition. Beaucoup de conversos ou de marranes (convertis continuant à observer secrètement les coutumes juive) pensent à s’exiler. Et pourquoi pas vers les Indes où se trouveraient, selon certaines légendes, des royaumes juifs peuplés par les « tribus perdues » d’Israël. La coïncidence entre cette situation et le voyage de Christophe Colomb conduit certains historiens à voir en ce dernier un Juif partant secrètement en quête d’une Terre promise. C’est notamment la thèse très documentée de Simon Wiesenthal dans La Voile de l’espoir (éd. Robert Laffont, 1973). On connaît surtout Wiesenthal pour ses activités de chasseur de nazis, et il explique lui-même qu’en étudiant les racines historiques de l’antisémitisme chrétien il consacra beaucoup de temps à l’Inquisition et se passionna pour la figure de Colomb. Parmi les argumentsqu’il développe sur la possible motivation secrète de ses expéditions, le flou concernant les origines de Colomb, le fait qu’il n’ait pas été béatifié ou canonisé par l’Église (alors que ses voyages rendirent possible l’évangélisation du Nouveau Monde) et un certain nombre de détails troublants, comme la présence à ses côtés d’un interprète parlant l’hébreu, la date de son départ quelques heures avant l’entrée en vigueur de l’édit d’expulsion (d’ailleurs tout le monde devait être sur le bateau avant minuit alors que le départ ne serait effectif que le lendemain) et le financement avéré de l’expédition par de riches marranes. Si le rapprochement entre l’expulsion des Juifs et le voyage de Colomb peut sembler incongru, voici pourtant comment commence son journal de bord : « En ce mois (…) où vous, les saints rois, avez chassé les Juifs de vos terres, vos Majestés m’ont envoyé aux Indes avec une flotte. » À ceci s’ajoute le fait que, comme en témoignent les annotations des livres ayant appartenu à Colomb, ce dernier avait des connaissances précises de la Bible (il affectionnaitparticulièrement Isaïe et ses prophéties messianiques), de l’histoire et de la culture juives. Wiesenthal évoque les querelles d’experts concernant la judéité de Colomb qui, si elle était avérée, rendrait crédible la thèse d’une expédition visant à trouver un refuge pour ses coreligionnaires expulsés. Selon certains chercheurs, si Colomb évoque si souvent son catholicisme, il agit précisément comme les marranes qui exhibent sans cesse leur foi officielle pour dissimuler leur vraie identité. Un scientifique américain, Maurice David, montra que les lettres de Colomb à son fils Diego contenaient les lettres hébraïques beth et hé, comme celles que les Juifs pieux utilisent quand ils s’écrivent, pour en appeler à l’aide divine. La thèse de la judéité de l’amiral est également au cœur de Christophe Colomb juif, de Sarah Leibovici (éd. Maisonneuve & Larose, 1995), qui cite de nombreux documents relatifs à l’entourage et aux motivations de Colomb.
Aux XIIIe et XIVe siècles circulèrent au sein des communautés juives des textes kabbalistiques. L’un d’eux, certes condamné par les rabbins, évoquait un calcul selon lequel le Messie – notamment chargé de retrouver les tribus perdues et de mettre fin aux persécutions – devait arriver en 1490. On est en droit d’imaginer les effets de telles rumeurs s’ajoutant à la légende concernant l’existence de royaumes juifs autonomes, notamment en Inde.
Dans son avant-propos, Wiesenthal rappelle que l’arrivée d’Européens en Amérique, après la découverte du Nouveau Monde, s’accompagna de la même barbarie que celle à laquelle les Juifs espagnols avaient tenté d’échapper et qui toucha les Amérindiens dont la « christianisation » fut essentiellement génocidaire. Quant à l’Espagne, elle connut après l’expulsion des Juifs et des Maures un chaos économique. Pour relancer sa prospérité, le comte Olivares, ministre de Philippe IV, conseilla en 1650 d’inviter des Juifs d’Afrique du Nord et du Levant à s’installer de nouveau sur la péninsule ibérique. La suggestion ne fut pas retenue et ce n’est qu’en 1869 que la nouvelle constitution espagnole annula le décret d’expulsion de 1492.
Christophe Colomb, le père de l’État juif
UN CONTE HISTORIQUE D’ÉLIAHOU HILLEL
Juin 1492. Ségovie en Castille. Dans sa belle maison du centre de la cité royale, Cristobal Colon n’arrête pas d’aller et venir, en proie à une rage folle et répétant sans cesse : « Mais elle m’avait promis, mais elle m’avait promis ! »
Fils de Susanna Fontanarossa et de Domingo Colon de Pontevedra, tisserand aisé,Cristobal est ce qu’on appelle un converso, un Juif converti de force au christianisme mais qui, au sein de ses proches, continuait à pratiquer en secret la religion de ses pères. Sa famille, originaire de Galice, avait trouvé refuge à Gênes où Cristobal est né en 1451 avant de gagner Ségovie. Aîné de cinq enfants, Cristobal, après des études à l’université de Pavie où il apprend la cosmographie, la géométrie et l’astrologie, influencé par Le Livre des merveilles du grand explorateur vénitien Marco Polo, décide de faire carrière dans la marine marchande. En 1479, il épouse Filipa Moniz Perestrelo qui lui donnera un fils, Diego, avant de mourir, très jeune. Un autre fils, Fernando, naîtra, plus tard, d’une brève liaison avec Beatriz Enriquez de Arana.
« Elle m’avait promis ! », ne cesse de marmonner Cristobal en faisant les cent pas. Elle, c’est Isabelle 1re de Castille, fille de Jean II et d’Isabelle de Portugal, épouse de Ferdinand II d’Aragon, son petit-cousin, à qui elle a été fiancée alors qu’elle n’avait que 3 ans. Depuis la Reconquista des terres espagnoles sur l’ennemi musulman et la remise des clés de la ville de Grenade par l’émir Boabdil, la reine, conseillée par Torquemada, le Grand Inquisiteur, n’a qu’une idée en tête : éliminer du royaume toute trace de judaïsme et d’islam. C’est le concept de limpieza de sangre (pureté du sang) avec ses auto da fe (actes de foi) meurtriers.
Cristobal, qui avait réussi à s’introduire auprès de la cour royale et à sympathiser avec la très catholique souveraine, était au courant de ses funestes projets. Mais il avait obtenu verbalement la promesse qu’ils seraient repoussés aux calendes grecques. Et voilà que, de source sûre, on apprenait la signature imminente d’un décret d’expulsion.
« Elle m’avait promis ! » Cristobal demanda et obtint rapidement une audience. Alors que l’illustre rabbin Don Isaac Abrabanel et les deux conseillers conversos Louis de Santangel et Gabriel Sanchez n’étaient plus admis à la cour, Cristobal continuait d’avoir ce privilège.
- Mais, Majesté, vous m’aviez promis !
- Je sais, Cristobal, je sais. Mais on ne peut pas lutter avec le cours de l’histoire. Le 3 août prochain, je signerai le décret de l’Alhambra. Les Juifs du pays n’auront le choix qu’entre la conversion au catholicisme ou l’expulsion. C’est décidé.
- Mais…
- Il n’y a pas de mais ! J’ai dit et je ferai.
- Majesté, il me vient une idée. M’autorisez-vous à organiser un voyage en bateau avec à bord vos sujets expulsables pour les conduire vers des horizons plus accueillants ?
- Bonne idée. Mais il faudra que les apparences soient sauvegardées. Il s’agira officiellement d’une expédition gouvernementale. Et où penses-tu conduire ces Juifs ?
- J’ai pensé aux Indes, un territoire qui n’a rien, au demeurant, contre les Juifs.
- C’est d’accord. Il faudra quand même être très discret. Je te conseille de changer de nom. Colon de Pontevedra est un patronyme juif très typé. Que penses-tu de Christophe Colomb ?
- Va pour Christophe Colomb. Je me mets immédiatement au travail.
Dans un élan subit de générosité, la reine ajouta :
- Je ne suis pas une ingrate, Christophe. Je te fais « Amiral de la mer Océane », vice-roi et gouverneur général des territoires que tu découvriras pour les annexer à la couronne d’Espagne.
- Merci, merci, Majesté. Merci mille fois.
Après avoir quitté le palais royal, Christophe Colomb réunit les dirigeants de la communauté et les rabbins. Trois navires furent rapidement affrétés, deux caravelles la Pinta et la Niña et une caraque, la Santa Maria. À bord, des instruments de navigation très sophistiqués pour l’époque, des boussoles, notamment, furent embarqués. Plusieurs interprètes firent partie du voyage dont Lou, ami personnel de Colomb.
Des émissaires parcoururent le pays à la recherche de volontaires pour une prochaine émigration. Très vite, des centaines de candidatures, parfois des familles entières,furent enregistrées. Dans le plus grand secret, des caisses de nourriture un peu particulières furent acheminées à bord. En apparence, elles contenaient des viandes porcines de toutes sortes. Mais, grâce à un double fond, du bœuf traité conformément à la religion juive et salé en vue d’une longue conservation, était bien camouflé en dessous des nourritures interdites. Les provisions une fois en cale, les trois équipages constitués – près de cent hommes – et la liste des partants dûment établie, la grande aventure pouvait commencer.
Lors d’une dernière réunion, Don Isaac Abravanel demanda à Christophe Colomb :
- As-tu choisi une date pour le départ ?
- J’ai pensé au 1er août, date d’application du funeste décret de l’Alhambra.
- Le 1er août, tu n’y penses pas ! C’est le 9 av. Un jour de malheur pour notre peuple !
- Mais où avais-je la tête ! Tu as raison. Nous partirons donc deux jours après, le 3 août 1492.
Et c’est ainsi que l’expédition de Christophe Colomb quitta l’Espagne pour des terres plus accueillantes. Des mois et des mois en mer à la rencontre des Indes hypothétiques en contournant la Chine, Cipango et le Japon. Et, à bord, près d’un millier de Juifs et de conversos qui, pour la plupart, n’avaient jusqu’ici jamais mis les pieds sur une embarcation. Il fut convenu que les trois bâtiments navigueraient non loin les uns des autres afin de pouvoir communiquer facilement. Dix jours après le départ, en pleine mer, on procéda à une cérémonie étonnante : l’élimination des viandes impropres. Jambons, saucissons et autres cochonnailles furent jetés par-dessus bord pour le plus grand plaisir des requins et autres habitants des océans. Une fois les derniers morceaux de viande prohibée disparus, on entonna en chœur un Chéma Israël aussi émouvant que libérateur.
Un mois plus tard et alors que les vivres commençaient à se faire rares, la vigie de la Niña cria : « Terre, Terre ! » Pour Colomb et ses amis, il n’y avait aucun doute. Les boussoles ne pouvaient se tromper. Les Indes étaient enfin là. Un pays où les vaches sont, paraît-il, sacrées mais où les Juifs ne sont pas refusés. Parvenus non loin du rivage, Christophe Colomb, Lou et deux rabbins, à bord d’une petite barque, atteignirent rapidement le rivage. Après quelques centaines de mètres, des êtres humains, enfin. Mais aussi, quel étonnement ! Deux barbus à chapeau haut de forme étaient en train de dépecer une vache qu’ils venaient visiblement de sacrifier. Dans un pays, où, paraît-il, les vaches sont intouchables. Lou s’avança et lança en direction des deux individus les quelques mots de langue indienne qu’il avait appris.
- Ma zé ? Lo Yodéa ! Médabrim yvrit ? Ète kelem bel arabi ?
Lou, estomaqué, se tourna vers Colomb :
- Je n’y comprends rien ! Ils me répondent en hébreu et en arabe.
- Quoi ! Demande-leur dans quelle partie des Indes nous nous trouvons.
En fait d’Indes, les voyageurs espagnols réalisèrent qu’ils venaient d’accoster à Gaza, en terre d’Israël alors dominée par les Mamelouks égyptiens. Les boussoles s’étaient largement trompées. La surprise fut totale. Tous les voyageurs furent débarqués et trouvèrent refuge auprès des cultivateurs juifs de Gaza. Colomb et ses proches ne perdirent pas de temps et, après avoir rencontré le Naghid, gouverneur des Juifs du pays, il obtint une entrevue avec le sultan mamelouk, Abdelhamid, auquel il conta son aventure.
- Majesté, accepteriez-vous de nous accorder un territoire pour nous y installer. Nous sommes environ un millier. Je dispose d’une petite fortune en bijoux et en perles.
- Quelle bonne idée ! Vous pourriez vous installer dans la région de Safed où vivent déjà des Juifs qui, comme vous, ont fui l’Espagne. Montre-moi d’abord tes richesses !
Le marché fut rapidement conclu. Et c’est ainsi que, sur une petite partie de l’ancien Israël, Christophe Colomb et son millier de passagers auxquels vinrent se joindre quelque cinq cents Juifs ibériques déjà sur place commencèrent une nouvelle vie. Ils se firent pour la plupart agriculteurs, fondèrent des institutions administratives et des organismes de charité. Colomb adressa de nombreuses missives à ses amis et connaissances pour narrer ce qui était arrivé et inciter les Juifs du monde entier à le rejoindre. Rédigées en judéo-espagnol, ces missives, qui ont été conservées, portaient dans le coin supérieur gauche un petit monogramme composé des lettres hébraïques Beth et Hé qui renvoient à l’expression béezrat hachem, « Avec l’aide de Dieu ».
Très nombreux furent les Juifs de tous les pays à franchir le pas et à rejoindre peu à peu Colomb et ses amis.
Le 14 mai 1494, lors d’une grande cérémonie en présence du sultan et du Naghid, Christophe Colomb déclara la naissance du nouvel État juif qu’il nomma Israël.Colomb, qui est mort le 20 mai 1506, est enterré à Safed. Dans son testament, qui contient une signature secrète rappelant la prière du kaddish, il ordonna notamment qu’un dixième de son patrimoine soit donné comme dot à des jeunes filles juives nécessiteuses. Un témoignage supplémentaire de sa foi juive et de sa croyance en Dieu protecteur du peuple juif et d’Israël.
Publié le 04/02/2020