Numéro 6 - Retour au sommaire

Étude biblique à quatre voix

Ecrit par Charles, Eytan, Ilona et Noémie

Le terme araméen ‘havroutadésigne le compagnon d’étude et, plus généralement, le fait d’étudier les textes à deux. Ceci afin de les rendre vivants et, dans la confrontation féconde, de faire jaillir des commentaires inédits. Les éditions traditionnelles de la Bible présentent le texte encadré de nombreux commentaires de théologiens d’époques variées et ayant des approches diverses, parfois contradictoires. Mais l’étude est l’affaire de tous et la découverte des commentaires classiques n’exclut pas d’en envisager d’autres. Au contraire, la parole des sages attise notre intérêt pour le verset et notre désir d’apporter une touche personnelle à la lecture infinie des textes. Un enseignement de la kabbale dit même que chaque âme est porteuse d’un commentaire original (‘hidouch) qu’aucune autre ne peut formuler à sa place.

Pour donner vie à cette idée, nous avons réuni quatre animateurs E.I. et les avons invités à lire un verset biblique avec la plus grande attention. Nos quatre participants ont pu découvrir ensemble l’explication de Rachi, le célèbre commentateur français du Moyen Âge, ainsi que celles du Ramban (1194-1270), de rabbi Zalman Sorotzkin (1881-1966, auteur du Oznaïm LaTora), du rabbin Samson R. Hirsch (1808-1888) et du rabbin Chalom Messas (1909-2003, décisionnaire et ancien grand rabbin de Jérusalem, auteur du commentaire Vé’ham hachéméch).

Le verset qui nous intéresse est extrait de la Genèse, dans le passage qui suit immédiatement la circoncision d’Abraham à l’âge de 99 ans. Trois hommes rendent visite à ce dernier et nous découvrirons plus tard qu’il s’agit d’anges (l’un venu pour lui apporter la guérison, l’autre pour lui annoncer la naissance d’un fils et le troisième pour détruire Sodome et Gomorrhe). Nous avions étudié le verset précédant celui-ci dans notre numéro 4.

« Il leva les yeux et vit et voici que trois hommes se tenaient au-dessus-de lui. Il vit et courut vers eux depuis l’entrée de la tente et se prosterna contre terre. » (Genèse 18, 2).

 

Noémie. Ce qui surprend dans ce verset, ce sont les répétitions : « Il leva les yeux », « il vit » et « il vit » encore. On ne peut pas voir sans lever les yeux, donc on ne comprend pas toutes ces précisions.

 Eytan. Abraham est connu pour son sens de l’hospitalité. La Tora précise qu’il « leva les yeux » car il ne voulait laisser passer aucune occasion de recevoir des passants. Et, par chance, « il les a vus ». Enfin, « il vit » que personne d’autre que lui n’était là pour s’occuper d’eux et il a couru vers eux. Toutes ces répétitions sont là pour témoigner du souci d’autrui qui caractérise Abraham.

Ilona.Il y a autre chose de surprenant dans ce verset, c’est l’expression : « Au-dessus de lui ». Rachi dit qu’il aurait fallu écrire « devant lui » mais que la Tora a formulé les choses autrement car il s’agit d’anges qui sont spirituellement élevés. Ramban propose une explication plus simple : Abraham était assis (ce que dit le verset qui précède celui que nous étudions) tandis que les trois hommes (qui sont en fait des anges) étaient debout. Mais cette formulation est tout de même étrange…

Eytan.Le commentaire Vé’ham Hachéméchpropose une explication astucieuse. Abraham vient de recevoir la présence divine qui est, en quelque sorte, « face à lui ». Mais trois nomades arrivent depuis une colline et le patriarche voit donc la présence divine surmontée des trois passants. Et il en déduit qu’il y a une hiérarchie dans les priorités : s’occuper de ses hôtes passe avant ses devoirs envers Dieu. 

Mais, pour ma part, je crois tout simplement que même si Abraham ne sait pas que ce sont des anges, il sent quelque chose et les considère, humblement, comme au-dessus de lui. Soit qu’il a l’intuition que ce sont des personnages d’un haut niveau spirituel, soit qu’il considère tout invité, qu’il faut servir au mieux, comme « au-dessus » de lui.

Noémie. Je vous propose une autre idée : Abraham vient de se circoncire, c’est une renaissance. Il a changé de nom et c’est un être différent, un nouveau-né. Il se considère comme un enfant qui découvre le monde. Dès lors, il voit les choses avec les yeux d’un enfant qui doit lever la tête pour observer le monde qui est « au-dessus de lui ». Cette formulation nous rappelle qu’Abraham, en un sens, vient de naître.

Charles.Nous n’avons pas expliqué pourquoi le verset dit qu’Abraham se prosterne. Devant qui ? Devant des humains, c’est difficile à croire. 

Ilona.Abraham vient de se circoncire et se demande comment Dieu va le récompenser. Et voilà que trois invités potentiels arrivent. Rien ne peut lui faire plus plaisir. Alors il se prosterne pour remercier Dieu de ce beau présent.

Charles.Mais, avant de remercier Dieu, il court vers ses hôtes pour les accueillir et ne pas les laisser passer et c’est seulement après qu’il remercie Dieu. L’ordre des verbes, une fois de plus, nous rappelle que l’hospitalité précède nos devoirs envers Dieu. 

 

 

*

 

Charles, 20 ans, audioprothésiste. 

Eytan, 20 ans, étudiant en immobilier. 

Ilona, 21 ans, étudiante en ostéopathie.

Noémie, 23 ans, étudiante en école de commerce. 

Publié le 09/01/2020


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