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La fortune sourit-elle aux audacieux?

Ecrit par Jean-Marc Myara

Quand David apprit que la fortune souriait aux audacieux, sa décision fut prise : il voulut devenir riche.


Il était légèrement perplexe, cependant. Tout n’était-il qu’une question de proportion ? Un peu, beaucoup, énormément d’audace rendaient-il un peu, beaucoup, énormément riche ? Quelle devait être sa quête ? Ces mots,« fortune » et « richesse » n’étaient-ils que d’ordre matériel ? L’audace répondait-elle au principe selon lequel la réussite ne peut s’envisager que si l’échec existe, qu’on a le droit de faillir, jamais celui de ne pas essayer ? Le chemin vers la réussite a-t-il plus de valeur que la finalité elle-même ? En matière d’audace, il n’avait pas forcément d’expérience. Il essaya d’explorer, aussi loin que sa mémoire lui en laissant le loisir. Les batailles jadis livrées face à l’adversité – celles où sa bravoure, son opportunisme, les chemins trouvés par lui-seul – auraient pu être qualifiées d’audacieuses et le rendre un peu moins désargenté. Rien, hélas, ne ramenait à ce bref moment de gloriole où l’on se sent capable de dépasser son ombre pour un instant, si bref soit-il. Il fit des efforts pour extirper des moindres interstices de son passé un point de départ à même de le grandir face aux autres. Rien. N’était-il donc qu’un être timoré, sans envergure et sans relief ?

Rien, si ce n’est le jour de ses 20 ans, un jour de cueillette de pommes où, volontaire au Kibboutz Givat Haïm, près de Tel Aviv, il avait osé aborder cette beauté froide, envoûtante, mystérieuse dont on sait, dès le premier instant, qu’on ne pourra la satisfaire. Il ne savait plus comment il avait agencé ses premiers mots ; il avait peu bafouillé, se tenait droit, portait son tee-shirt fétiche et si drôle de Super Golda. A son grand étonnement, elle avait souri, peut-être même avait-elle ri. Mais, dans cette bataille des premiers instants, il s’était livré entièrement. Il avait tout donné et la suite ne pouvait qu’être décevante. Sans un minimum de préparation, sans le sentiment de posséder les moyens de ses ambitions, il n’était aucunement question d’audace mais de déraison. La séduction s’arrêta faute de séducteur. 

Il avait fait son service militaire en Israël. Trois ans durant lesquels il ne s’était porté volontaire pour aucune mission particulière. Il n’était pas lâche, ne se défilait nullement, mais sentait que, pour une action périlleuse, il serait un obstacle pour ses camarades plutôt qu’un soutien. Chez les fantassins, il fallait bien s’occuper des pommes de terre, contribution en valait bien une autre.

A ne pas prendre de risques, il resterait pauvre à tout jamais.

Il consulta le dictionnaire. Une question insolite lui vint à l’esprit. Le mot « audace » est du genre féminin : seules les femmes seraient-elles braves ? L’audace est une qualité de l’âme : David manquait-il cruellement de force intérieure ? Etait-il enfermé dans son enveloppe corporelle, incapable de s’en défaire pour se dépasser ? Sa quête n’était-elle que mercantile ? L’idée selon laquelle la fortune sourit aux audacieux n’était-elle qu’une abstraction philosophique ? David voulut surtout se connaître lui-même pour apporter quelque chose aux autres.

Il venait d’avoir 50 ans. On ne s’improvise pas va-t-en-guerre quand on commence à perdre ses cheveux, que son ventre prend de l’embonpoint et qu’on doit payer une pension alimentaire à son ex-femme. La première audace ne serait-elle pas de forcer sa nature ?

On ne se refait pas. Tout n’est qu’une question de curseur. Si l’audace s’oppose à la peur, chacun, à son humble niveau, peut un jour se sentir fier d’avoir repoussé ses limites. Il se rêvait en héros et si l’audace pouvait se conjuguer à la quête de sens, alors il serait doublement gagnant. Doublement fortuné ? Il verrait bien.

Il n’est pas facile de forcer sa nature ; aussi faut-il poser les règles pour y voir plus distinctement. Il distinguait audace et forfanterie, héros positif et matamore, courageux et fier-à-bras.

Que faire ?

Il eut une idée. Il contacta les talmudistes des synagogues alentour afin de connaître leur définition de l’audace. Il arriva avec son propre questionnement et repartit avec d’autres interrogations. Le Talmud est un puits sans fond où la question a souvent plus d’importance que la réponse. Abraham détruisant les idoles de son père était-il, pour son époque, un audacieux ou un illuminé ?Jacob affrontant l’ange, Moïse questionnant Dieu et oubliant son humaine condition pour apostropher le divin, étaient-ils effrontés ou braves ? Le roi David usant de sa fronde, était-ce du courage ou de l’inconscience ? Chacun des talmudistes avait sa propre citation, son commentaire, sa référence mais tout le monde s’accordait à dire que « l’audace est une royauté sans couronne ». Il se sentait perdu. Comment agir face à une notion finalement si abstraite ?

Il prit une sage décision. Il n’allait rien changer à ses habitudes, vivrait comme bon lui semblerait, se réconcilierait avec lui-même. Ne pas avoir de cap lui semblait finalement la solution la plus simple, voire la plus révolutionnaire. Accepter d’être soi requiert un certain courage. Une forme d’audace ?

Publié le 30/11/2018


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