Numéro 6 - Retour au sommaire

Pour que le jour de votre mort soit le plus beau de votre vie

Ecrit par Entretien avec Lionel Abbo

Qui est Adolphe, le héros de votre roman Pour que le jour de votre mort soit le plus beau de votre vie(éd. Plon, 2019) ?

Adolphe est un trentenaire devenu croque-mort par opportunisme et qui dérive vers des pratiques de moins en moins conventionnelles… mais de plus en plus excitantes. Son créneau, c’est la mort, et son commerce a de l’avenir : un être humain décède toutes les cinquante-quatre secondes en France. Un eldorado ! Jusqu’à présent, le trépas demeurait un sujet tabou. Mais, grâce à Adolphe, organiser sa fin devient une activité tout aussi évidente que celle de préparer son mariage. Il se met donc à proposer à ses clients une fin de vie à la carte. Pourquoi subir ce moment si on peut le planifier et l’adapter à ce que fut notre vie ? Il considère cela comme une mission d’utilité publique. Et on se demande jusqu’où il ira… et si sa femme et ses amis le suivront longtemps dans cette aventure. 

 

Que propose-t-il, au juste ?

La mort suit des modes et Adolphe propose des services de plus en plus originaux, les gens étant déçus par les pompes funèbres traditionnelles. Personnalisation des cercueils, cercueils connectés ou « bio », épitaphes originales créées par une équipe de publicistes, cérémonies funéraires festives de plus en plus extravagantes mais adaptées à chacun, mort collective, mort simulée pour découvrir vraiment ce que les autres pensent de nous… Il diversifie son activité grâce aux possibilités offertes par le numérique et à son immoralisme croissant. Moins c’est licite, plus ça l’excite. Bref, la mort est pour Adolphe l’unique chance de réussir sa vie dont l’oraison devient le seul horizon.

 

Adolphe ignore les tabous et transgresse parfois la loi. Ce qu’il propose n’est par ailleurs pas toujours de très bon goût…

Dans la première partie du roman, Adolphe considère que chacun peut disposer de sa mort comme il l’entend. Il nous fait adhérer à cette vision qui s’impose comme une évidence. Dans la seconde partie, on voit que les questions morales sont plus complexes et que la mort festive qu’il proposait vire au spectacle douteux. Pourtant, la motivation de mon héros n’est pas mercantile. Il sort d’ailleurs de l’anonymat car il se croit sincèrement porteur d’un message. Iln’est pas lui-même affecté par la mort, elle n’est qu’un moyen d’intensifier sa vie. Quand elle le touche de plus près, il voit les choses très différemment.

Vous me parlez de mauvais goût. Depuis que j’ai écrit ce livre, mes amis se sentent obligés de m’envoyer tous les articles ou vidéos qui en parlent… et je vous assure que ma fiction n’est pas très éloignée de la réalité. Je pense par exemple à ce marchand de sodas africain enterré dans un cercueil en forme de bouteille de Coca-Cola… Aux Pays-Bas, les endeuillés peuvent recevoir un message du défunt sous forme d’hologramme.

 

Comment vous est venue l’idée de ce roman ?

Adolphe découvre le thème de la mort par hasard. Journaliste, on lui demande un papier sur le « business de la mort ». C’est également par hasard que ce thème s’est imposé à moi suite à la lecture d’un article. Je n’ai personnellement été confronté à la mort que très tardivement, à la disparition de mes grands-parents. En revanche, l’idée d’écrire remonte à mon adolescence. Et j’ai fini par me dire qu’il ne fallait pas tarder à réaliser ce rêve. Il faut vivre sa vie sans attendre. C’est ce qu’Adolphe lui-même comprend, paradoxalement, en côtoyant la mort. Nous vivons comme si nous étions éternels, repoussant à demain ce qui devrait être fait aujourd’hui. Si l’on osait davantage côtoyer la mort – ou si nous en connaissions la date –, nous aurions sans doute autant de vitalité que ce personnage de fiction à qui la vie sourit depuis que la mort est son affaire.

Ce thème m’est donc « tombé dessus ». En revanche, je réfléchis depuis longtemps à la question de la fin de vie. Lorsque j’étais étudiant à Nice, une très vieille dame vivait sur le même palier que moi dans des conditions plus que spartiates. Elle est morte seule et j’ai été marqué par la très grande misère de ses dernières années.

 

Votre personnage possède un prénom lourd à porter, surtout pour un Juif ashkénaze…

Ses parents le lui donnent comme s’il s’agissait d’une vengeance. Pour qu’il soit porté par quelqu’un qui déborde de vie et de créativité. Mais c’est en devenant un professionnel de la mort industrielle qu’il « réhabilite » ce prénom.

Je voulais surtout, dès les premières lignes, que le lecteur comprenne qu’il s’agit d’un roman décalé et subversif, même s’il pose des questions sérieuses, comme celle de la fin de vie. 

 

Dieu est très présent dans votre roman, ainsi que le judaïsme. Adolphe rend notamment visite à un vieil ami devenu rabbin orthodoxe à Bné Brak. Quelles questions le traversent ?

Adolphe ne cesse de défier Dieu. Il lui dit : « Je fais ton job ! »  Mais il pense qu’il le fait mieux que lui car la mort de ses clients se veut digne alors que Dieu laisse mourir des personnes méritantes dans d’affreuses souffrances. Adolphe reproche aussi à Dieu la vieillesse, qui infantilise, voire déshumanise les gens. Les religions interdisent de choisir quand et comment mourir, et cela, il ne le supporte pas.

 

Àla dernière page du livre, on découvre une belle dédicace à votre père. En écrivant donnez-vous vie à ses rêves inaccomplis ?

Mon papa, professeur de lettres, rêvait d’entreprendre une biographie d’Antoine Spire. Mais il a repoussé ce projet, pris par les obligations de la vie. Il souffre aujourd’hui de gros problèmes de vue qui rendent ce projet impossible. En écrivant, j’ai l’impression d’accomplir ce rêve à sa place. N’est-ce pas l’un des rôles des enfants que de prolonger, à leur manière bien sûr, la destinée de leurs parents ? Je vous l’ai dit : je crois de plus en plus – et c’est l’un des enjeux de mon roman – à la nécessité de vivre pleinement sa vie sans repousser à demain ce qui nous tient à cœur. Nous ne sommes pas immortels. 

 

Pouvez-vous nous dire un mot de votre prochain roman ?

Il devrait s’appeler L’Estime des autres. Son héroïne est une adolescente de 16 ans, fragile et mal dans son corps d’enfant pas aussi développé que celui de ses camarades. Elle devient leur bouc émissaire. Elle est harcelée sur les réseaux sociaux et décide de disparaître pour échapper à ce monde où chacun est à la merci du regard des autres et de l’approbation sociale.  Mon premier roman a la structure d’une série télévisée (chaque chapitre est pensé comme un épisode), le deuxième ressemblera à un album de Jean-Jacques Goldman, chaque chapitre ayant le titre d’une chanson de ce dernier. Quant à mon personnage… Elle s’appelait Sarah.

 

Pourquoi vous intéresser à l’adolescence ?

Beaucoup d’amis ont des enfants de l’âge de Sarah, donc un peu plus âgés que mes propres enfants, et je constate à quel point les réseaux sociaux (véritable jungle) pèsent sur leur vie. Nous n’avons pas connu cela et les parents sont complètement dépassés par ces technologies qui font que leurs enfants vivent des choses qui leur échappent totalement. Et qui sont dangereuses (solitude sociale, harcèlement moral, présence de pervers et de pirates). Songez par exemple à l’application Tik Tokdestinée aux 10-15 ans, qui les expose très tôt au monde du paraître et qui est un repaire de pédophiles. L’adolescence est par nature une période difficile, mais j’ai l’impression qu’elle l’est encore plus aujourd’hui. Mais ce roman conserve un ton et une écriture décalés et amusants. 

Publié le 01/01/2020


Si cet article vous a intéressé partagez le

https://www.leclaireur.org/magazine/article?id=197