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Une grande famille

Ecrit par Lise Benkemoun - Journaliste à I24 News

Existe-t-il des ponts intergénérationnels ? Comment assurer ou recréer du lien ? Ces questions se posent dans le monde entier. Comment Israël fait-il pour y répondre ? L’éclaireur a choisi pour vous quelques exemples de projets prometteurs dans l'État hébreu.

En France, selon une étude réalisée en 2018, 74,7 % des grands-parents déclaraient entretenir une relation complice et ludique avec leurs petits-enfants, 41,9% jugeaient toutefois ne pas les voir suffisamment. Et 7,3% des aînés disaient n’avoir aucune relation avec eux...

En Israël, on ne dispose pas de chiffres récents pour comparer, mais on a la sensation que la société tend à intégrer davantage aussi bien les petits-enfants que les aînés. Sans doute à cause de l’injonction religieuse durespect des parents et du poids des traditions. Certains y voient même une explication au comportement « criard » des Israéliens. Daniel, de l’association El Ami spécialisée dans la création de liens intergénérationnels, active depuis plude trente ans, explique « Si les Israéliens se permettent de crier, de klaxonner et de vous dire ce qu’ils pensent, même quand vous ne le leur avez pas demandé, c’est parce qu’ici les gens se sentent en famille... Entre frères et sœurs, on ne se gêne pas ! Nous sommes ensemble à l’armée, nous faisons face aux mêmes guerres et aux alertes. Nous combattons ensemble l’antisémitisme. Nous savons êtres unis. Sans doute parce que nous savons ce que c’est que d’être exilés partout dans le monde. Si on s’éloigne les uns des autres, on perd la bataille et notre existence est menacée. » 

 Mais la mentalité occidentale gagne du terrain et, avec la vie trépidante des Israéliens, la question du lien entre les générations est à nouveau sur le devant de la scène. La bonne nouvelle, c’est qu’elle mobilise des énergies positives partout dans le pays. 

La preuve ? Fin octobre 2019, la chaîne de télévision israélienne Kan a débuté une série documentaire de sept épisodes intitulée « 80 +4 ». Dans le premier épisode de ce programme chaleureux, qui remporte un grand succès dans le pays, on suit l’installation d’un gan (école maternelle) à l’intérieur d’une maison de retraite, durant six semaines. Au fur et à mesure que les jours passent, on voit les liens se créer entre les petits et les anciens. Jeux, chansons, câlins les aînés semblent retrouver une nouvelle jeunesse et les petits sont très à l’aise avec leurs nouveaux amis. Par la suite, le programme s’intéresse à d’autres enfants qui chantent, dansent ou apprennent le tricot avec des grands-pères et des grands-mères. À chaque fois, c’est sourires, amour et rires garantis. Autant dire que cette émission est la meilleure publicité possible pour la construction de nouveaux ou de meilleurs rapports intergénérationnels. Et les Israéliens se battent actuellement pour présenter des initiatives dignes d’être filmées et intégrées dans les futurs épisodes de « 80 +4 ».

Parmi eux, l'association El Ami présente ses multiples projets éducatifs, comme nous l'explique Daniel avec enthousiasme : « Notre mission se résume en un verset biblique qui dit : 

והשיב לב אבות על בנים ולב בנים על אבותם

Ce qui veut dire "faire retourner le cœur des fils à celui des pères" et vice versa. Évidemment, quand on dit "pères" on parle aussi des parents en général, père et mère, et des enfants en général, fils et filles. Si nous voulons parvenir à cela maintenant, il nous faut tous y travailler. Car dans le monde d'aujourd'hui nous sommes tous très occupés, on ne se parle pas véritablement, parfois simplement parce quon ne sait pas comment s’y prendre. Chacun est affairé sur son téléphone, la connexion réelle entre parents et enfants est difficile.  El Ami proposedes idées pour connecter les générations. C'est comme une chaîne et chaque maillon compte… »

Le projet Lomdim (« on étudie »), par exemple, rassemble chaque semaine 200 groupes d’études à travers Israël. Les 9000 participants reçoivent un quatre-pages illustré avec des questions, des textes, des petites histoires à lire et à commenter ensemble. Cela rassemble parents et enfants notamment autour de la Tora, des valeurs juives et des textes de la tradition. L’association fournit aussi des livrets complets sur des thèmes donnés, et enfants et parents les étudient ensemble. En France, ce projet existe également en partenariat avec les écoles de l’Alliance. Le dernier livret sur les invités de Soukot a eu un franc succès. 

Un autre projet d’El Ami intitulé « Un été de Tora » a rassemblé cet été près de 15 000 personnes en Israël, dont 600 se sont rendues au concours en famille. Elles ont toutes travaillé autour des « Grands d’Israël ». Et les enfants ont répondu à la question : « Qu’est-ce que j’aimerais faire comme mes parents ? » Des réponses souvent touchantes et qui parlent des valeurs de respect et d’entraide. Certains ont même affirmé être prêts à ranger et à nettoyer !

 

 

L’association arrive-t-elle à toucher aussi des familles non religieuses ? Moins, il faut l’avouer, même si d’autres projets parviennent à touchertous les Israéliens. Chaque année, par exemple, des bénévoles d’El Amise rendent justement dans les écoles laïques du pays et organisent des jeux de rôles où parents et enfants échangent leurs places. L’un des sujets favoris de ces échanges (qui occasionnent de nombreux rires), c’est l’heure à laquelle les adolescents ont le droit de rentrer à la maison quand ils sortent le soirElle est généralement fixée à 1 heure du matin, et les jeunes sont furieux et négocient. Mais quand ils prennent le rôle de parents, ils s’en tiennent à cette même heure ! Interrogés ensuite sur cette incohérence par le représentant d’El Ami, ils affirment « C’est dangereux. Je vais m’inquiéter. Il faut fixer les limites, c’est ma responsabilité. » Autant dire qu’en entendant cela, les parents n’en croient pas leurs oreilles. Et ils sont émus face à l’intelligence de leur progéniture, qui les agace pourtant quotidiennement.

On peut aussi rassembler les générations via des activités culturelles, ou en les impliquant sur des thèmes importants, parmi lesquels la transmission de la mémoire de la Shoah. Un thème qui touche tout le pays et crée du lien intergénérationnel. Et l’on note, depuis sa création en 2010, un vif succès pour le projet Zikaron Basalon (« le souvenir au salon ») qui a lieu désormais dans 50 pays. Le principe : le jour de Yom Hashoahen marge des cérémonies officielles, les gens se rendent chez quelqu’un qu’ils connaissent ou pas, pour écouter un témoignage et discuter de cette terrible période. Une transmission personnalisée dont les spectateurs sont aussi acteurs. Depuis deux ans, Valérie Cudkowicz organise Zikaron Basalon chez elle, à Jérusalem. En 2019, une quarantaine de personnes étaient présentes. « Personnellement, je n’en connaissais que la moitié, les autres avaient vu l'événement sur le site qui recense tous les projets de façon précise. Les gens voient l’heure et l’adresse et ils s’inscrivent. La majorité de ceux qui sont venus avaient plutôt entre 40 et 50 ans mais il y avait aussi un petit groupe d’adolescents de 12 à 18 ans. L’an dernier, c’est Mireille Sprung qui a parlé de son enfance de petite fille juive cachée à Paris pendant la Shoah. L’assistance est restée silencieuse durant tout son récit, puis lui a posé des questions. D’autres personnes ont ensuite pris la parole pour raconter leur histoire ou celle de proches. J’avais commencé la soirée en parlant du parcours de ma mère et de sa famille, aidées et cachées par des non-Juifs, reconnus comme Justes parmi les Nations cinquante ans plus tard. J’avais fait passer dans l’assistance l’étoile jaune de mon grand-oncle et la plupart des personnes présentes en voyaient et en touchaient une en vrai pour la première fois. Ce n’est pas comme quand on en voit une au musée, c’est beaucoup plus personnel. L’objectif, c’est que les gens présents puissent dire par la suite “je l’ai vu” ou “je l’ai entendu”. Pour beaucoup, c’est la première fois qu’ils reçoivent un témoignage direct. »

L’écologie est un autre sujet qui concerne à la fois les jeunes et les moins jeunes. Au Mexique, le projet Cadena propose des moyens innovants pour faire face aux désastres naturels comme les tremblements de terre, les typhons ou les éruptions volcaniques. El Ami est le partenaire israélien de ce projet et, l’an dernier, un groupe de Netanya a gagné un voyage à Mexico pour présenter ses idées. La preuve, si besoin était, que les grandes questions concernent tout le monde. D’autant que la solidarité entre les personnes d’âges différents constitue un moyen de répondre aux défis économiques, sociaux et politiques du XXIe siècle.  Et c’est aussi parce que nous sommes tous interdépendants au sein du village global qu’est devenu le monde que le peuple juif doit renforcer son unité et montrer la voie de l’interconnexion générationnelle.

Publié le 23/12/2019


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Les commentaires sélectionnés par la rédaction (1)

  • Nathanael Chekroun 17/02/2020 11:28
    COMMENTAIRE DE GUYLAIN-DAVID SITBON :

    Suite à ce très bel article de Lise Benkemoun je voudrais ajouter deux points.
    Le premier est une expérience vécue d’une maison de retraites à Tel Aviv qui accueille chaque semaine des enfants ayant des « besoins particuliers » comme on appelle ici les enfants souffrant de handicaps mineurs ou moins mineurs. Ce sont les retraités qui accueillent les enfants un par un par leur prénom. Des activités sont organisées avec la participation d'artistes entre autres et certain(e)s ont eu une vraie expérience dans le domaine mais même les autres font preuve d’un amour émouvant et sont aussi heureux de ce moment inter -générationnel privilégié. Je parle d'expérience vécue pour y avoir été souvent accompagner une de mes petites-filles, Noa.
    Le second concerne la citation de Malachie qui est parfaite dans le contexte sauf que la traduction un peu rapide amène à faire un contresens très courant dans la mesure où il reflète bien l'influence sur nous de la civilisation occidentale et en l'occurrence la psychanalyse. En effet le prophète dit le contraire (c’est bien écrit d'ailleurs dans la citation donnée en hébreu): c’est d'abord le coeur des pères qui reviendra vers celui de leurs enfants et puis le coeur des enfants vers celui de leurs pères.
    J’aime beaucoup ce « daguesh » sur les pères d’abord ; je le trouve très impressionnant et profondément vrai.

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