Le mouvement E.I. qui recrute ses membres et ses cadres dans la jeunesse juive de France et d’Afrique du Nord est un mouvement d’éducation scoute. Àl’origine, il n’était que cela, c’est-à-dire que son principal but était d’ajouter à l’instruction et à la formation reçues par les enfants juifs à l’école et en famille un « complément d’éducation » basé sur les méthodes du scoutisme de B.P., méthodes qui sont communes à toutes les fédérations du scoutisme mondial. Aujourd’hui, notre mouvement, en tant que juif, a une place et une position au sein du judaïsme français. Pas seulement le judaïsme, mais l’humanité entière se trouve à une époque de transition. Cette période de crise se traduit par des désarrois qui mènent certains au pessimisme et à l’action désespérée, mais aussi par des espérances qui mènent d’autres, dont nous sommes, à l’engagement et à l’action dans la confiance.
Devant ce bouleversement du monde, deux attitudes sont possibles : laisser faire ou agir. Le scoutisme, par le fait qu’il est avant tout éducation, nous conduisait déjà à avoir une attitude active vis-à-vis de l’histoire, à prendre parti. C’est pour le judaïsme que nous avons pris parti.
Les deux attitudes que peut prendre l’homme devant l’histoire enveloppent deux conceptions différentes de la marche du monde.
L’une consiste à croire que l’homme peut être assimilé à un pur objet soumis, au même titre que les autres objets, à un déterminisme plus ou moins total qui le contraint. Que, par conséquent, il ne peut avoir dans la marche du monde aucune action déterminante par son comportement.
L’autre attitude consiste à croire que le monde et surtout l’histoire de l’humanité peuvent être modifiés ou orientés par l’action de l’homme considéré en lui-même ou comme l’instrument de Dieu, garant des destinées de l’homme et du monde. Et se vouloir juif authentique, c’est vouloir que cette influence de l’homme dans le monde ne soit pas seulement une action individuelle, strictement humaine, mais une action orientée, polarisée, légitimée par le fait d’appartenir au peuple juif dont tout Juif conscient reconnaît tant la pertinence que la raison d’exister. […]
Si chaque tendance du judaïsme actuel considère sa position comme se suffisant à elle-même et comme exclusive, elle ne pourra plus prétendre à représenter le judaïsme mais seulement une secte ou une fraction du judaïsme contemporain. […] Dès l’origine, le mouvement E.I. a eu plus ou moins clairement l’intuition de ce fait. Ce fut là sa première originalité. Chacun avait le droit d’être « pour » mais personne n’avait le droit d’être « contre » une de ces tendances du judaïsme. En outre, on a cherché, et c’est là le point le plus important, à recréer grâce à l’éducation scoute l’esprit de la ‘hévra, de camaraderie, de « confrérie » qui seul peut garantir l’unité d’un peuple. […] Discordes et difficultés, inefficacité même sont encore comme autant de menaces et de dangers pour le mouvement. Mais cela est à la hauteur de notre idéal. Bien des choses, par exemple, séparent Castor de Manitou et Manitou de Castor (origine, éducation, expériences, etc.), c’est ensemble, pourtant, qu’ils ont rédigé cet article et tous deux y adhérent intégralement ; il ne s’agit pas de savoir lequel des deux convertira l’autre mais si tous deux se retrouveront sur un même plan d’authenticité juive. […]
Dans cet état de double dispersion du judaïsme contemporain que reflète le judaïsme français, l’existence du mouvement E.I., qui est le seul mouvementd’éducation juive où des Juifs authentiques de diverses tendances peuvent être groupés autrement que nominativement, prouve que l’unité est possible. Notre mouvement doit donc être une preuve-témoin (au sens scientifique de ces termes) au sein du judaïsme français de la possibilité concrète de cette union.[…] Cela suppose pour tous les membres du mouvement une foi positive dans son avenir, de la même façon que l’appartenance authentique au judaïsme suppose de la part de tout Juif une foi positive dans l’avenir du judaïsme.
Il ne s’agit plus aujourd’hui d’être simplement des petits scouts prêts à rendre service (et à faire des services d’ordre dans les synagogues), mais de témoigner (au sens juif du terme, cette fois) de l’unité possible et nécessaire d’un judaïsme français vivant, à un des moments les plus critiques de son histoire. Ceci nous impose des devoirs de recherche et d’approfondissement d’une base idéologique profonde et solide. Cette base n’avait jamais pu être recherchée sérieusement par suite du manque de connaissances juives des chefs et commissaires en fonction, et c’est cette étude qui est un des buts de l’école des cadres […] C’est pourquoi la connaissance du monde actuel et celle de la Thora sont indispensables à tout chef E.I. car sans cette connaissance, notre action ne pourra être ni légitime ni efficace. […] Nos chefs d’unité donnent beaucoup et reçoivent peu. C’est pour mettre fin, dans la mesure du possible, à cette « improvisation » qui a malheureusement caractérisé la formation des chefs E.I. jusqu’à présent, que l’école des cadres s’est constituée.
Publié le 20/12/2019