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Tsahal : le secret de la maturité des jeunes israéliens

Ecrit par Entretien avec deux colonels de l’armée israélienne - Propos recueillis par Lise Benkemoun

18 ans, n’est-ce pas trop jeune pour entrer à l’armée ? 

Jacques Neriah : Non c’est justement l’âge qu’il faut pour commencer son service militaire. Le service aguerrit l’individu, le forme et le place dans un milieu nouveau. C’est l’idéal pour découvrir la société israélienne et cela permet aux jeunes de comprendre dans quel pays ils vivent, ce qui estimportant. Surtout en Israël où le voisinage est tellement hostile et où l’armée est essentielle. Comprenez bien que cet âge n’est pas précoce, c’est le bon âge. Si on s’engageait plus tard à l’armée, imaginez les soucis ! À 18 ans, la grande majorité des jeunes sont célibataires, ils sont plus aptes à accepter de prendre des risques. Quand on est marié, qu’on a une famille, on pense autrement avant de se rendre sur un champ de batailles

Méïr Dahan : Ce n’est pas trop tôt du tout, c’est l’âge où l’on est assez stupide pour faire des choses anormales et inhumaines, comme aller se battre. On nle fera plus quand on aura 30 ans, des enfants, des responsabilités, etc. Et puis,quand on a 18 ans, on est idéaliste, on y croit vraiment. D’ailleurs, ces dernières années, on a pobserver unphénomène étonnant chez les jeunes : ils sont volontaires avant même d’entrer à l’armée, dès 16 ou 17 ans, et participent à des projets ou à des préparations militaires. Celaa commencé chez les religieux puis ça a touché le reste de la société. C’est beau à voir, ils donnent un an de leur vie alors qu’ils n’y sont pas du tout obligés. Et ensuite, ils partent à l’armée. Quand on leur demande pourquoi, ils disent qu’ils se sentent ainsi plus matures au moment de rejoindre l’armée.C’est un phénomène propre à Israël. Un jeune Européen de 18 ans qui sort des jupons de sa mère n’est pas forcément prêt à supporter l’armée qui constitue, il faut l’avouer, une expérience très dure. Mais il apprend, il s’adapte et pense autrement. Moi, à moins de 20 ans, j’étais déjà officier et je commandais trente ou quarante soldats dont je savais que leurs vies étaient entre mes mains. Bien sûr, ça rend mature d’un coup !


Justement, les jeunes apprennent-ils mieux au contact d’officiers presquaussi jeunes qu’eux ? 

M.D. : La moyenne d’âge d’un général est de 45-50 ans et celle d’un lieutenant de 20-21 ans, donc la réponse est entre les deux. L’armée n’est pas folle, elle donne à un jeune officier une responsabilité déjà très grande mais qui correspond à sa maturité et à ses capacités. Il y a une pyramideEt puis on ne devient pas officier tout de suite : on fait ses classespuis la formation d’officier qui dure six mois. Après ça, on est prêt au sens professionnel. Et puis il y a des étapes : caporal, sous-lieutenant, lieutenant, etc. En ce sens, je crois qu’il faut devenir officier dès que possible. Mais attention, je ne nie pas que cela a un coût important, notamment au niveaupsychologique. C’est une lourde responsabilité qui requiert une certaine force mentale et qui ne convient pas à tout le monde. Il y a eu des cas d’hospitalisation et parfois des suicides. C’est dur, mais on a une motivation forte. Le fait qu’on sache que si on ne le fait pas on n’aura plus de pays, c’est un poids sur les épaules, tous les jours…

J.N. : En effet, les jeunes sont souvent plus enclins à accepter l’autorité de quelqu’un qui est proche de leur âge, plutôt que celle d’un vieux, même de seulement 30 ans [Rires]. Mais la vraie raisonc’est que les officiers de l’armée israélienne courent à l’avant et les soldats les suivent. Ce qui explique aussi qu’ils s’identifient complètement à leur chef. Des chefs qui prendront tous les risques nécessaires, sauf celui de mettre en danger la vie de leurs soldats.


18 ans, c’est le bon âge du fait de la force physique de la jeunesse ? 

J.N. : Oui, mais pas seulementOn ne sera, par la suite, pas plus intelligent qu’à 18 ans ! Mais on a à cet âge des réflexes extraordinaires. C’est donc l’âge parfait pour vous confier un avion à 15millions de dollars ou un tank. Une telle responsabilité transforme un jeune de 18 ans en adulte aguerriqui sait comment réagir dans un milieu auquel il ne connaissait rien avant d’entrer à l’armée.

À cet âge, on est un peu inconscient… ça aide pour l’armée ? 

 

J.N. : C’est sûr, il y a des choses qu’on fait à 18 ans qu’on ne fera jamais après. Mais je ne diraipas que c’est de l’inconscience, juste une certaine témérité. Un courage qui n’existe souvent plus quand on prend de l’âge. Plus on a de responsabilités familiales ou sociales, moins on prend de risques, c’est ainsi... C’est Ben Gourion lui-même quiayant compris cela, voulait que Tsahal ait de très jeunes officiers. Et nulle part ailleurs au monde on ne donne autant de responsabilités à des jeunes.

 

Cette mentalité qui accorde une grande confiance aux jeunes a-t-elle un rapport avec l’idée de « start-up nation » ? 

 

J.N. : Sans douteLa plus grande usine de start-up du pays, c’est l’armée ! On le voit, de nombreuses applications civiles ont été au départ développées à des fins militaires ou dans les services de renseignements. Y compris des applications médicales. Rappelez-vous que la supériorité militaire des Ottomans leur a permis de régner pendant cinq siècles. Idem pour les Romains ou les Grecs. La technologie militaire pousse les sociétés en avantTsahal a beaucoup changé envingt-cinq ans. La guerre a changé. Désormais, on parle decyber-attaques, de drones, du « Dôme de fer », etc. 

 

Quand vous êtes entréà l’armée, saviez-vous à quoi vous attendre ? 

J.N. : Pas du tout, j’étais assez naïf… D’ailleurs, on m’a mis à la censure militaire sous prétexte que je parlais plusieurs langues. Et après cela, j’ai mis deux ans à les convaincre de m’envoyer aux renseignements stratégiques.

 M.D. :  Pour ma part, tout s’est fait assez naturellement.J’avais déjà fait un peu plus d’un an et demi, j’étais chef d’unité et devais être remplacé. Mon remplaçant arrive, je ne le trouve pas au point et n’ai pas envie de lui confier mon unité, donc je reste trois mois de plus en attendant qu’ils trouvent un autre candidat. Et là, pas de chance, commence la première guerre du Liban, donc évidemment plus question de bouger… Mais dès que j’ai pu partir la conscience tranquille,je l’ai fait. En revanche, évidemment, je n’étais jamais bien loin de l’armée, puisque je faisais toujours mes périodes de réserve. Puis, à l’étranger, j’ai fait partie des services secrets pendant quelques années, c’est d’ailleurs de là que je tiens mon français. Et encore aujourd’hui, à l’âge de 60 ans, je fais mes périodes de réserve. Et je remercie Dieu, Israël et l’armée de me donner l’honneur de servir mon pays. 

 

Quelle est la plus belle leçon que vous ayez retenue de l’armée ? 

J.N. : La fierté d’être israélien, de servir mon pays et de savoir que c’est grâce à moi et à des milliers de personnes comme moi que ce pays survit. C’est très personnel, comme une flamme allumée en vous et qui se ravive à chaque conflit ou simple défi. Cela nous conditionne et fait partie de nous. 

 M.D. : Le fait qu’il n’y a pas de limites, qu’on ne se connaît pas vraiment, que, chaque jour, on peut découvrir en soi des capacités qu’on n’a pas encore expérimentées… Avoirconfiance en soi. Parce qu’on développe à la fois son sens des responsabilités et un certain sens du sacrifice. Je rappelle que les officiers israéliens sont toujours à l’avant, les soldats courent derrière. C’est le célèbre a’haraï en hébreu. Àl’inverse dautres armées, on ne donne jamais un ordre à distance, ce qui nécessite d’être exemplaire. Même quand on n’est plus à l’armée, on fait tous les ans des périodes de réserve. Toute ma vie, j’ai gardé de l’armée l’idée que je dois servir d’exemple pour les autres. La façon dont je parledont je me comporte, dont je travaille. Lorsque j’entends qu’un ancien de l’armée a fait quelque chose de mal, je me dis : « Quelle honte, comment a-t-il fait une chose pareille ? Il sait mieux que quiconque qu’il doit servir d’exemple. » En ce sens, l’expérience de l’armée a guidé toute ma vie sur le plan moral.

 

Est-il normal que Tsahal soit mixte et que les filles aussi fassent l’armée ? 

J.N. : Pendant la guerre d’Indépendance de 1948, femmes et hommes combattaient côte à côte. Il n’y avait aucune différenceUne armée mixte n’est pas quelque chose de négatif, les femmes doivent participer à toutes les unités, hormis quelques-unes où les conditions physiques sont vraiment très dures. Et encore. Je ne vois pas pourquoi les femmes ne pourraient pas être pilotes, tankistes ou servir dans l’artillerie. Bien sûr, il faut prendre toutes les précautions pour ne pas avoir de problème de harcèlement sexuelMais,aujourd’hui, les choses sont très claires

M.D. :  Bien sûr ! Bien avant la création de l’État, les filles ont joué un rôle essentiel dans ce pays ! Et la plupart du temps, de manière très équilibrée et à égalité avec les hommes. Elles jouent un rôle très important aujourd’hui dans presque toutes les unités et c’est très bien ainsi. Toute la jeunesse est engagée et cette expérience forme les filles pour toute leur vie, exactement comme les garçons ! 

 

Ne pas avoir fait l’armée, notamment dans le cas des olim(immigrants) qui arrivent après l’âge de 26 ans en Israël,est-ce un handicap ?

 J.N. : Le plus grand service que l’on peut rendre au pays et au sionisme, c’est de faire son alyahSi le fait d’être trop âgé pour l’armée et de ne pas parler la langue ne vous permet pas de vous engager, vous pouvez contribuer au développement du pays d’une autre façon. Il n’y a aucune raison de voir cela comme un handicap. Et puis les olim viennent souvent avec des enfants qui feront l’armée et qui contribueront à la formation de l’esprit israélien de leurs parents. 

 

Quand on a son propre enfant à l’armée et que, comme vous, on y a fait toute sa carrière, a-t-on un regard de professionnel ou d’abord de parent ? 

 J.N. : D’abord de parent… Nous savons bien que nos voisins ne sont pas sympathiques et que les menaces quotidiennes que nous recevons ne sont pas à prendre à la légère C’est donc l’instinct parental qui s’exprime d’abord, à travers le souhait que les enfants soient en bonne santé et terminent leur armée sans problème. Par ailleurs, le fait d’avoir vos enfants à l’armée vous rend fier d’une façon particulièreNous étionsdes Juifs errants et maintenant nous avons un pays, une terre à défendre et une armée pour celaOn y va, nos enfants aussi, c’est logique… 

 M.D. : En tant qu’officier et commandant, j’étais toujoursvolontaire pour oser, pour participer à des opérationsdangereuses, j’étais créatif pour les plans de combatetcJe ne dis pas que c’était facile, j’ai perdu vingt-cinq soldats dans ma vie, ce n’est pas rien… Mais j’osais et je savais pourquoi je le faisais. Bref, j’ai toujours pensé que je devais servir d’exemple et s’il y a un domaine où ça semble avoir marché, c’est avec mes enfants. Tous les trois sont officiers (deux dans des unités d’élite)Et voilà que je me suis trouvé dans la situation du père qui les voit partir pour des opérations dont je connais la teneur et le dangerles opérations « Plomb durci »,« Bordure protectrice », etc. Et làça a été >span class="s4">! J’allais devenir fou… Je n’ai pas dit un mot, mais je n’ai pas dormi pendant des mois… Durant « Bordure protectrice »,j’en avais deux là-bas, plus le fils de ma femme et moi-même :on était quatre sur le terrainCe fut un drame pour ma femme et pour moi. D’ailleurs, c’est pour celqu’elle a décidé de changer de carrière et d’entrer en politique pour pouvoir influer sur ce genre de situations. Il faut être honnête, en tant que parent c’est terriblement difficile. D’autant plus que je savais exactement ce qui se passait là-bas. Mais, encore une fois, je n’ai rien dit. De même, je n’ai jamais voulu intervenirsur leurs choix à l’arméeDonc, pour l’instant, on est là S’il y a une guerre, ils seront tous engagés et moi aussi ! 

 

Quelque chose à ajouter pour nos plus jeunes lecteurs ?

M.D. : Oui, pour tous ceux qui veulent découvrir Tsahal, je fais partie des officiers francophones qui interviennent dans le cadre de Sar-El, l’association qui s’occupe du volontariat civil en Israël. Sincèrement, je trouve qu’ils font un boulotextraordinaire. Cela donne à la jeunesse juive du monde entier une occasion d’être en lien direct avec Israël et avec TsahalJe sais que de nombreux jeunes que j’ai rencontrés pour Sar-Esont ensuite venus faire leur service militaire en Israël, puis, après cela, leur famille a fait l’alyahEt en vérité c’est mon objectif.




Publié le 17/12/2019


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