Naissance et nomination. Peu de temps après la naissance a lieu la nomination (en même temps que la circoncision pour les garçons), moment où l’enfant acquiert une place dans un cercle social qui dépasse celui du couple. Le prénom(שֵׁם chem) est souvent l’occasion d’inscrire l’enfant dans une histoire familiale (surtout quand l’enfant reçoit des prénoms d’aïeux). Le prénom traduit certainsdésirs parentaux et le Talmud considère, sans céder à un déterminisme absolu, que le prénom oriente l’existence. Les personnages bibliques avaient d’ailleurs plusieurs prénoms, témoins de la richesse de leur personnalité et de la variété de leurs missions. Le prénom ouvre vers des horizons possibles, un « là-bas » (שםcham).
Un mois après sa naissance, le premier-né garçon d’une famille est « racheté » lors d’une cérémonie appelée pidyon haben durant laquelle le père donne une certaine somme à un cohen, en application d’un précepte biblique (Nombres 18,16). Les premiers-nés auraient dû être « consacrés » au sacerdoce mais, à la suite de l’épisode du veau d’or, cette fonction revint à la tribu de Lévi. Cette cérémonie consiste donc à libérer le premier-né de la fonction qu’il aurait dû assumer.
L’enfance. Elle est notamment marquée par la force de l’imagination, l’enfant ne distinguant que progressivement le réel de l’imaginaire. Il importe de respecter l’univers mental de l’enfant, même s’il semble insensé à l’adulte. Rabbi Israël Salenter (1810-1883) enseignait qu’un enfant qui joue avec un petit bateau qui se casse ressent la même douleur que celle d’un patron d’import-export dont la marchandise est perdue en mer.
3 ans. Selon certaines traditions, on ne coupe pas les cheveux des garçons avant 3 ans, lors de la fête du lag baomer. C’est une coutume d’inspiration kabbalistique que l’on met en relation avec l’interdiction biblique (Lévitique 19,23) de tirer profit des fruits d’un arbre avant la troisième année (pour se souvenir que c’est un don de Dieu), peut-être pour inviter les parents à comprendre que cet enfant est un présent divin dont ils ont la charge mais pas la propriété.
Cette coupe de cheveux est aussi l’occasion d’observer l’interdit biblique de tailler en rond l’extrémité de la chevelure (Lévitique 19,27). Ce commandement est considéré comme une façon de se distinguer des idolâtres, donc d’assumer son identité hébraïque. À 3 ans commence véritablement l’éducation juive dontcette mitsva à caractère identitaire marquerait la première étape.
12 et 13 ans. Rituel de passage important, la bar/bat-mitsva marque officiellement le passage à la vie adulte. Le jeune est désormais sur un pied d’égalité avec ses aînés en matière de droits et de responsabilités. La majorité religieuse des filles précède celle des garçons, la puberté et la maturité intellectuelle étant plus précoces chez elles.
Le mot bar est un terme araméen (en hébreu on aurait dit ben-mitsva) qui est équivoque car il signifie aussi bien « fils » que « loin de ». Selon un commentaire de rabbi Méïr Sim’ha de Dvinsk (1843-1926, surnommé le Mechekh ‘Hokhma), cette ambiguïté rappelle au jeune majeur que rien n’est joué et qu’il lui appartiendra soit d’être « fils du commandement », soit de s’en tenir éloigné. La majorité religieuse marque l’accession à la liberté et au fait d’assumer désormais la pleine responsabilité de ses actes.
Il n’est pas illégitime de se demander si les grandes fêtes dispendieuses où lejeune homme/la jeune fille est traité(e) avec des honneurs princiers et gâté(e) (au sens littéral) ne sont pas un contresens par rapport à l’esprit de cette majorité religieuse…
20 ans. Les 20 ans représentent – en droit biblique – un changement de statut juridique. Si l’on est responsable de ses actes devant la justice humaine à partir de la bat/bar-mitsva, le tribunal céleste ne peut pas punir un individu, dit le Talmud (traité Chabbat, p.89b) avant ses 20 ans. C’est aussi l’âge biblique de l’enrôlement au sein de l’armée (Nombres 1,3), de la participation au demi-sicle (Exode 30,14) et le début du sacerdoce au Temple pour les cohanim (Talmud, traité ‘Houlin, p.24b). Dans les Maximes des Pères (5,23), on dit qu’à cet âge on « se met en quête » (lirdof). Mais en quête de quoi ? D’une situation matérielle disent les uns (Barténora), d’un conjoint disent les autres (Méïri).
Le mariage. Dans les milieux orthodoxes, la bar/bat-mitsva précède de peu le moment où le jeune est envoyé à la yeshiva ou au séminaire, première occasion de « couper le cordon ». On est bien loin du phénomène évoqué dans le film Tanguy (2001) dont le personnage vit encore chez ses parents à 28 ans. Le nombre de tels « célibataires parasites » ou de boomerang babies (qui s’en vont mais reviennent chez leurs parents) aurait augmenté depuis les années 1980, du fait de la récession économique.
Les étapes suivantes – fiançailles et mariage – donneront tout son sens à ceverset biblique : « L’homme abandonnera son père et sa mère et s’unira à sa femme et ils ne seront qu’une seule chair. » (Genèse 2,24) La fin du verset n’est pas une apologie de l’amour fusionnel et Rachi s’empresse de préciser que c’est dans l’enfant à naître que cette fusion se réalisera et non au sein du couple où il importe que chacun préserve sa singularité.
La parentalité. Chamboulement sans précédent, le fait de devenir parentconstitue une étape importante de la vie, qui permet souvent de mieux comprendre ses propres parents.
Beaucoup de parents considèrent qu’il faut « se sacrifier » pour ses enfants, quitte à abandonner leurs rêves ou leur propre progression personnelle. Le rabbi de Kotzk (1787-1859) se moquait d’une telle démarche (souvent pathogène pour les enfants dont les parents attendent qu’ils soient ce qu’ils n’ont pas été eux-mêmes), chaque génération reportant sur la suivante la réalisation de soi. « L’enfant dont on doit s’occuper en premier, c’est soi-même » enseignait ce maître. Les enfants se porteront d’autant mieux qu’ils peuvent s’inspirer de la façon dont l’adulte essaie de réussir sa propre vie. La parentalité n’est qu’une facette de la vie de l’adulte qui doit savoir préserver du temps pour soi.
30 ans. C’est l’âge où l’on possède toutes ses forces (Maximes des Pères 5,23), c’est pourquoi seuls les lévites âgés d’au moins 30 ans pouvaient porter l’arche d’Alliance (Nombres 4,2). On compare le fait d’officier durant les « jours redoutables » (de Roch Hachana à Kippour) au sacerdoce des lévites, c’est pourquoi on ne sollicite durant cette période qu’un officiant âgé d’au moins 30 ans. Le roi David commença à régner à cet âge.
40 ans. Si l’on parle de la « crise de la quarantaine », la tradition juive y voit surtout l’âge de la maturité et du renouveau (le nombre 40 correspondtraditionnellement à l’idée de nouveau départ : 40 jours de Déluge, 40 années dans le désert, etc. C’est à 40 ans qu’Abraham découvrit le monothéisme, que Moïse s’intéressa courageusement au sort de ses frères, que rabbi Akiba commença à étudier la Tora. C’est l’âge du discernement et c’est pourquoi on ne peut étudier la kabbale avant la quarantaine.
50 ans. À l’instar du jubilé biblique (la cinquantième année du cycle agricole), les 50 ans constituent un cap important à partir duquel, dit le Talmud, chacun est suffisamment expérimenté dans la vie pour pouvoir faire bénéficier les autres de ses conseils. À 50 ans, les lévites se retirent du service sacré (Nombres 25,5) pour aider les plus jeunes, c’est-à-dire pour les conseiller (Rachi).
60 ans. C’est l’âge de la sagesse. Le Talmud (traité Moèd katan, p.28a) raconte que rav Yossef organisa pour ses 60 ans une fête à laquelle il convia les sages, heureux d’avoir atteint la moitié de l’âge maximal (120 ans) et d’avoir échappé à la punition céleste du karèt.
70 puis 83 ans ! On doit se lever devant quelqu’un qui a 70 ans ou plus, dit la Tora. Il est de tradition, lors du 70e anniversaire, de remercier Dieu « de nous avoir fait vivre (chéhé’héyanou), de nous avoir maintenus et de nous avoir permis d’atteindre ce jour-là ». Rabbi Isaac Palachi composa une prière spéciale à réciter en ce jour.
Le roi David écrit dans ses Psaumes (90,10) : « Le nombre de nos années est de 70 ans, voire 80 si nous sommes vigoureux. » On considère donc qu’on a été honorablement gâté par la vie en atteignant le stade des 70 ans qui constitue une forme de renaissance. C’est pourquoi certains célèbrent une seconde bar-mitsvaà 83 ans (70 + 13) !
Adam, raconte un midrash, eut une vision de toutes les âmes futures et de leur destinée. Celle du roi David ne devait vivre que quelques heures… Conscient des incroyables potentialités de cette âme, Adam – qui devait vivre 1000 ans –lui offrit 70 ans, correspondant à la durée de vie souhaitable à l’époque de David.
80 ans. L’âge de la force, dit le Talmud, car qui l’atteint est d’une robuste constitution. C’est à 80 ans que Moïse orchestra la sortie d’Égypte et reçut la Tora.
120 ans. On se souhaite souvent de vivre « jusqu’à 120 ans », comme Moïse(Deutéronome, 34,10) mais aussi comme Hillel l’ancien et rabbi Akiba. C’est l’âge maximal fixé par la Tora après le Déluge (Genèse 6,3). Certains scientifiques spécialistes du vieillissement pensent d’ailleurs que ces 120 ans constituent la limite naturelle de l’existence que les progrès de la médecine ne pourront dépasser.
Les anniversaires. Chaque nouvelle année (chana) est à la fois porteuse de répétition (chinoun) et de renouveau (chinouï). Il n’y a pas de tradition ancrée concernant la célébration de l’anniversaire, même si quelques coutumes existent, notamment dans le monde hassidique. Chez les loubavitch, par exemple, on lit le psaume dont le numéro correspond à son âge et l’on s’efforce de « monter à la Tora » le jour de son anniversaire (ou ceux qui précèdent). Les gens pieux qui célèbrent leur anniversaire ne « soufflent pas les bougies » puisque ces dernières sont associées à la vie (et à l’âme). Rabbi Moché Sofer (1762-1839, surnommé le ‘Hatam Sofer) enseigne que l’anniversaire de chacun constitue un Roch Hachana personnel (moment de bilan et de repentir). Quant à son fils, rabbi Abraham Sofer (1815-1871, surnommé le Ktav Sofer), il faisait en sorte d’achever l’étude d’un traité talmudique lors de ses anniversaires.
Le Talmud enseigne que les justes quittent ce monde le jour de leur anniversaire. Moïse, par exemple, naquit et mourut le 7 Adar. Le méchant roi Aman pensait d’ailleurs que ce mois (qui devint celui de Pourim) était funeste car il fut celui de la mort de Moïse ignorant qu’il avait aussi été celui de sa naissance.
Le lien entre les générations. Jadis, on rêvait que puissent se croiser plusieurs générations. Le psalmiste évoque la récompense de celui qui se comporte dignement et mérite de « voir les fils de [s]es fils » (Ps. 128,6).
L’augmentation de l’espérance de vie est telle que peuvent se côtoyeraujourd’hui cinq générations. Les sociologues insistent sur le fait que si les relations intergénérationnelles sont de plus en plus difficiles (certains parlent du « choc des générations »), ce n’est généralement pas le cas au sein même de la famille.
La tradition juive ritualise les temps d’échange entre générations au sein de la cellule familiale élargie : les fêtes, notamment, sont l’occasion de réunion et de transmission, comme à Pessa’h où grands-parents, parents et petits-enfants sont réunis. Le mot fête, ‘hag, évoquerait d’ailleurs le « cercle » (‘houg) familial.
Publié le 15/12/2019