La femme juive a des identités multiples. Elle est Judith et Yaël : une guerrière. Elle est Tamar et Behtsabée : une séductrice. Elle est Myriam et Déborah : une prophétesse. Audacieuse comme Rébecca. Pieuse et vaillante. Servante et savante. Rebelle et soumise. Douce et déterminée. Vouée à sauver son peuple...
Lorsque l’on est femme, on naît engagée dans une lutte qui nous dépasse. Depuis toujours, les femmes ont été asservies, esclavagisées, utilisées, dépossédées de leurs droits et de leur corps, et même de leurs enfants. Cette situation n’a pas changé, même si elle a évolué. A peine nous sommes-nous libérées que de nouvelles formes de domination surgissent, contre lesquelles nous devons lutter.
Les femmes aujourd’hui travaillent, gagnent leur vie et parfois même celle du foyer, s’occupent des enfants tout en s’occupant de leur maison. Et aussi, plus que jamais, la femme est enchaînée, dissimulée sous des voiles, réduite à la servitude, et dépossédée de ses droits dans le monde, sous nos yeux.
La femme juive est autant responsable de son peuple (c’est à elle qu’incombe la tâche de la transmission du judaïsme dans le quotidien) que de sa vie. Ce magnifique rôle qui lui incombe n’est pas toujours simple à vivre. En effet, comment réussir sa vie de femme dans le respect des lois ? Mais comment s’en échapper, si l’on y croit ? Et que faire de la part de culpabilité liée à toute tentative de libération ? Ces lois dressent des limites rassurantes pour une femme élevée dans un schéma patriarcal. Comment ne pas se sentir écartelée entre le féminisme par lequel nous avons conquis notre liberté et les anciens ou nouveaux préceptes que l’on nous inculque ?
Car la religion, de quelque tendance qu’elle soit, semble vouloir remettre la main sur la femme qui s’est libérée, par le biais d’une nouvelle emprise. La famille, les traditions, la culture : tout joue contre la liberté de la femme, qui se retrouve au milieu du plus douloureux des déchirements : comment être soi-même en étant libre, quand on est femme, fille, mère, épouse ? Et pourquoi ces mots sont-ils parfois aussi contradictoires ?
On peut connaître la révolte, face à l’injustice d’une situation, et le questionnement. Mais peut-on vraiment se révolter contre ce en quoi l’on croit profondément et qui vous constitue intimement ? D’où le déchirement intérieur que peuvent ressentir les femmes qui veulent maintenir un lien essentiel avec leurs traditions, leur éducation, leur culture, tout en aspirant à l’indépendance que la révolution féministe leur a octroyées. Entre une identité féministe nécessaire et un retour en force des traditions et des coutumes, qui emprisonnent autant qu’elles constituent, le chemin n’est pas toujours facile à trouver pour la femme juive. La réponse est dans l’audace, c’est-à-dire le courage et l’ingéniosité pour sortir des situations complexes ou impossibles.
Aujourd’hui, deux questions primordiales se posent quant à l’évolution de la place de la femme au sein du judaïsme. Certaines femmes juives, divorcées civilement, n’obtiennent pas l’acte de divorce religieux de leur mari qui le leur refuse, ce qui les empêche de se remarier religieusement et d’avoir des enfants qui ne soient pas des « mamzer », c’est-à-dire des « batards ». Le problème du guett (acte de divorce juif) est aujourd’hui l’un des problèmes les plus urgents à résoudre du judaïsme contemporain. Nous ne pouvons pas continuer de donner de nous-mêmes une image aussi mauvaise, rétrograde et misogyne. Aujourd’hui, à cause de ces hommes qui exercent un chantage à l’égard de leur femme, en leur refusant le divorce, certaines restent enchaînées, parfois à vie, à leur mari. C’est inadmissible, d’autant que ces mêmes hommes vont à la synagogue, et parfois même se remarient avec la bénédiction de tous.
Le second chantier pour l’évolution du statut de la femme juive est le problème de l’étude. Aujourd’hui, en France, on interdit à plusieurs rabbins d’enseigner le Talmud aux filles et aux femmes, à qui il est permis uniquement d’étudier les « Maximes des pères », qui ne contient pas d’enseignement de la loi juive.
Par ailleurs, le Grand Rabbinat de Paris interdit la célébration de la bat-mitzva – communion juive – pour les filles dans les synagogues consistoriales. Toutes ces positions qui sont en opposition avec l’éthique juive révèlent un profond malaise au sein même de la communauté. Mais si les femmes ne demandent pas d’elles-mêmes cet apprentissage, sans pour autant sortir de leur judaïsme orthodoxe, qui le fera à leur place ?
Il est regrettable que le courant moderne-orthodoxe qui respecte les lois tout en prônant une vie moderne ne soit pas représenté dans notre pays où l’on préfère stigmatiser les courants et rejeter ceux que l’on trouve trop « libéraux » ou trop« orthodoxes ».
Quelle que soit la tendance ou l’appartenance communautaire, il me paraît important, voire essentiel, que la femme juive puisse être éduquée sur le plan intellectuel autant que moral, afin qu’elle soit à même de remplir pleinement tous les rôles qu’on lui demande d’assumer et qu’elle puisse, telle Esther, assurer la pérennité du peuple juif à travers la seule qualité qui lui était propre et qui est proprement féminine : l’audace. C’est grâce à l’audace qu’elle a su se présenter devant le roi Assuérus, c’est encore par l’audace qu’elle a accusé Aman et qu’elle a sauvé son peuple.
Publié le 30/11/2018